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Des rébus en débat

Qui tracera enfin une frontière précise entre pragmatisme étatique et libertés publiques ? Peut-il d’ailleurs y avoir partout une même notion des droits de l’homme ? Et si c’est non, comme cela crève les yeux, existe-t-il quelque panacée universelle susceptible, pour le moins, de réduire les criantes inégalités en la matière ? Le débat n’est guère nouveau et il est sans doute appelé à perdurer. C’est pourtant sur ce thème glissant que, lundi au Caire, le président Emmanuel Macron et son hôte, le maréchal Abdel Fattah al-Sissi, ne craignaient pas de s’affronter en deux rounds, l’un confidentiel et l’autre public, que l’on pourrait néanmoins qualifier d’amicaux.

Se défendant de donner des leçons, le Français, représentant d’un pays reconnu entre tous comme la patrie des droits de l’homme, a ainsi soutenu qu’une société civile active et inclusive reste le meilleur rempart contre l’extrémisme et même une condition de stabilité. Inévitablement, il se voyait rappeler par l’Égyptien que vérité en deçà des Pyrénées est erreur au-delà ; que la terre des Pharaons n’est pas comme l’Europe ou l’Amérique ; et que l’on ne saurait imposer à toutes les sociétés un même chemin.

Tous arguments aisément prévisibles, connus d’avance, d’un côté comme de l’autre, et qui ne cachent guère, une fois de plus, la persistance d’un dilemme qui a connu, ces dernières années, un extraordinaire regain d’acuité dans notre partie de la planète. Le Moyen-Orient nouveau que promettaient les va-t-en-guerre George W. Bush et Condoleezza Rice s’est soldé par un effroyable chaos et tous les printemps arabes sont loin d’avoir accouché de floraisons de démocratie. Dans le cas précis de l’Égypte, des élections libres ont, le plus naturellement du monde, produit un régime islamiste promptement balayé par l’armée, phénomène noté bien auparavant déjà en Algérie. S’en satisfaire, s’en féliciter même, à la grande indignation des organisations humanitaires qui protestent contre la répression toujours en vigueur en Égypte, serait aussi cautionner, explicitement ou non, la barbarie du régime baassiste de Syrie. Qui, lui, et dès le début de la rébellion dans ce pays, avait délibérément sorti de leurs prisons des milliers de jihadistes, pour mieux se poser en seule alternative au spectre du terrorisme religieux.

Sur ce dilemme viennent se greffer, dans les démocraties occidentales, des considérations d’ordre non plus seulement moral, mais pratique, pour ne pas dire terre à terre. C’est sans la moindre gêne qu’un Donald Trump a blanchi le prince héritier d’Arabie dans l’affaire de l’assassinat du journaliste saoudien contestataire Jamal Khashoggi en arguant de l’extrême importance de l’alliance stratégique avec le royaume. Sensible aux exhortations des ONG, le chef de l’Élysée s’est abstenu cette fois, quant à lui, d’ajouter de nouveaux contrats d’armements à une liste d’achats égyptienne déjà impressionnante ; en revanche, il ramène dans sa besace pour près d’un milliard d’euros d’accords commerciaux…

Suprême ironie, on notera pour finir que dans la gestion de leurs propres affaires, les démocraties occidentales n’échappent pas elles-mêmes à ces choix délicats entre tolérance et fermeté, entre respect des libertés publiques et usage de la force pour préserver un ordre tout aussi public. Passablement fragilisé par la crise des gilets jaunes, le président Macron a du mal ainsi à faire adopter par le Parlement une loi anticasseurs. Exigée par une police débordée, celle-ci est en effet jugée trop dure par la gauche, et pas assez par la droite.

Dans le feu de la polémique, le débat menace d’être plus âpre, moins académique, moins courtois et amical, en somme, que celui de lundi au Caire.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Qui tracera enfin une frontière précise entre pragmatisme étatique et libertés publiques ? Peut-il d’ailleurs y avoir partout une même notion des droits de l’homme ? Et si c’est non, comme cela crève les yeux, existe-t-il quelque panacée universelle susceptible, pour le moins, de réduire les criantes inégalités en la matière ? Le débat n’est guère nouveau et il est sans doute...