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La république de l’absurde

Les premiers jours de janvier sont généralement l’occasion de mettre à l’épreuve toutes les bonnes résolutions que l’on s’était risqué à prendre – promis, juré – entre deux lampées de ce délicieux champagne de la Saint-Sylvestre. Les Libanais cependant n’auront pas le loisir de s’attarder à un tel rituel puisque c’est un programme encore plus démoralisant qu’on leur propose.

Durant le plus gros de l’année dernière, on nous avait concocté un vertigineux plongeon dans l’absurde : des élections à l’ombre d’une loi électorale inimaginable d’incohérence, puis sept mois de vains efforts visant à former un gouvernement d’unité. Voici qu’en guise d’étrennes pour 2019, c’est dans le même absurde – agrémenté, il est vrai, de quelques incongruités nouvelles – que la république nous convie à patauger.

Au chapitre des inédits, vous aurez sans doute cru rêver au spectacle des tourments qu’a vécus cette parlementaire musulmane, visiblement animée d’excellentes intentions, assistant à la messe dominicale puis s’avançant bravement pour solliciter la bénédiction du prêtre au moment de la communion. Littéralement crucifiée par une cabale d’imbéciles qui ont enflammé les réseaux sociaux, la téméraire s’en allait alors faire amende honorable auprès de la hiérarchie religieuse sunnite et se résignait à présenter ses excuses… au Créateur !

L’incident est tristement significatif, certes, des tensions sectaires devenues la trame du jeu politique dans notre pays qui, pourtant, persiste à se poser en modèle de coexistence. Ces tiraillements, qu’il a pudiquement qualifiés de politiques, le président de la République allait hier jusqu’à y voir une guerre froide faisant rage dans nos murs. Mais il n’a pipé mot des fauteurs de guerre, dont le plus vibrionnant, le plus acharné à poser ses conditions et à bloquer ainsi la formation d’un gouvernement, se trouve être son propre gendre. En fait d’innovation, voilà que ce dernier ressort ses idées de la cuvée 2018 : la plus brillante étant un monstrueux cabinet de 32, ce qui donnerait une place au chaud aux élus sunnites proches de Damas. Mais tant qu’à faire, pourquoi pas des strapontins aussi pour ces non-élus qui ont affiché des scores plus qu’honorables lors de la dernière consultation, mais qu’a pénalisés une interprétation boîteuse du scrutin proportionnel?

C’est toutefois à la perspective d’un prochain sommet arabe à Beyrouth que devrait revenir la palme de l’absurdité. La première raison en est que, par une cruelle ironie, cette conférence à caractère essentiellement économique va avoir pour cadre un pays surendetté, privé de gouvernement, en proie à une corruption dévorante et où la classe gouvernante, tout à ses querelles intestines, massacre assidûment l’économie locale, insensible qu’elle est aux souhaits et besoins des citoyens.

Ni cet excès d’honneur ni cette indignité ? Plutôt que de paraphraser Racine en déclarant forfait pour ennuis de santé, le Liban va s’encombrer d’une conférence à problèmes : le plus embarrassant de ceux-ci étant une éventuelle participation de la Syrie, objet principal des dissensions nationales. Que l’on imagine un moment la scène : Saad Hariri dans la même salle que Bachar el-Assad, qu’il accuse d’avoir fait assassiner son père. Et qui, croyant faire ainsi bonne mesure, vient d’accuser le Premier ministre désigné et d’autres piliers du 14 Mars de financer le terrorisme en Syrie.

Des sommets d’absurdité, qu’on vous disait …


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Les premiers jours de janvier sont généralement l’occasion de mettre à l’épreuve toutes les bonnes résolutions que l’on s’était risqué à prendre – promis, juré – entre deux lampées de ce délicieux champagne de la Saint-Sylvestre. Les Libanais cependant n’auront pas le loisir de s’attarder à un tel rituel puisque c’est un programme encore plus démoralisant qu’on...