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Culture - Rencontre

Michel Ocelot : Et si, grâce au conte, on changeait le monde ?

Après « Kirikou », « Princes et princesses » ou encore « Azur et Asmar », le réalisateur français est de retour sur les écrans pour faire rêver petits et grands avec son nouveau film sorti le 10 décembre, en sa présence, au Liban : « Dilili à Paris ».

Michel Ocelot présentant son film à Beyrouth.

Le plan d’ouverture met en scène une famille kanak vaquant à ses tâches quotidiennes : on fait la cuisine, on s’active auprès du feu dans une ambiance sereine. D’un coup, un changement de perspective nous fait réaliser la tromperie : on n’est pas en Nouvelle-Calédonie mais dans le Paris de la Belle Époque, en pleine Exposition universelle. Comme cette foule de curieux, on a assisté à ce spectacle vivant. On aurait pu en rester là si Dilili, petite fille kanak appartenant à la troupe, n’avait pas croisé le regard bleu azur d’Orel, jeune coursier parisien, décidant là du début d’une aventure.

Ce dernier va l’accompagner dans sa quête de fillettes enlevées par des voyous surnommés les « Mâles Maîtres » sévissant depuis plusieurs jours dans la capitale. Leur chemin sera truffé de grandes personnalités ayant marqué cette période parisienne : Marie Curie, Claude Monet, Edgar Manet, Emma Calvé, Auguste Rodin ou encore Louise Michel, entre autres. L’aidant à glaner des informations, ils vont lui permettre d’arracher les petites filles des mains de leurs ravisseurs.


Robes
Fruit d’un travail minutieux de six ans, le septième film d’animation du réalisateur français Michel Ocelot traite le monde avec son habituelle et tendre naïveté. Cependant, le parti pris technique est différent des autres films : ce sont des photos de Paris qui servent d’arrière-plan. « Il n’y a aucun secret. Je prends une photo, je dispose les dessins dessus et c’est tout », relate-t-il. Les personnages dessinés se fondent ensuite sur les paysages parisiens, lesquels sont ainsi revisités, et la magie peut opérer.

Michel Ocelot s’arrête sur le choix de cette période de la Belle Époque. « La principale raison est un peu surprenante parce qu’elle n’est pas sérieuse : c’est à cause des robes, très longues en ce temps-là. Après 1900, les femmes ont arrêté d’en porter et cela fait moins rêver. Je me suis donc penché sur cette époque à cause des vêtements, avant de me rendre compte d’à quel point elle était sensationnelle. » En effet, les personnages ne marchent pas, mais glissent sur l’écran dans des bruissements de froufrous et d’étoffes soyeuses.

Qu’il soit mis en valeur par Woody Allen dans Minuit à Paris ou par Michel Ocelot dans Dilili à Paris, ce Paris de la Belle Époque émerveille toujours le spectateur, tant cette période apparaît dynamique intellectuellement et artistiquement. Manque à celle-ci peut-être la diversité, lacune qu’Ocelot a décidé de pallier en choisissant une héroïne métisse, moitié française, moitié kanak. « La diversité me tient à cœur, et le problème de Paris à cette époque, c’est qu’il n’y avait que des Blancs, ce qui me gênait », confie-t-il.


(Lire aussi : Michel Ocelot : Le Liban est fascinant, avec son histoire, son présent, ses problèmes, ses émigrés...)


Girl power
Il y a comme une évidence dans la vie animée par le réalisateur. Son univers fait de petits détails trouvant chacun leur importance, de son usage des ombres et de sa maîtrise du mouvement lui confère une grâce innocente. « Paris est une fête », disait Hemingway, et les images du film disent de même. Cependant, derrière tout cela, il y a un message clair : Dilili, courageuse, curieuse, émancipée, invite toutes les fillettes et les femmes du monde entier à se libérer. « Le point de départ du film, ce n’était pas Paris, mais toutes les horreurs que les hommes font aux femmes et aux filles. En vous renseignant sur le sujet, vous en perdez le sommeil tellement c’est abominable ce qu’on leur fait », s’insurge-t-il.


À quatre pattes
L’histoire prend une tournure étonnante lorsqu’à son tour, Dilili vient à disparaître. On tombe alors, en partant à sa recherche, sur le siège des Mâles Maîtres, ayant investi les égouts. Stupéfaction en voyant que le trône sur lequel est assis le leader de ces derniers est composé de femmes à quatre pattes, couvertes de noir.

La violence de ces images est d’autant plus déroutante qu’elles nous frappent sans transition. Le réalisateur revendique un culot selon lui nécessaire. « Quand vous savez tout ce que les hommes font aux femmes, ce que je montre là, c’est de la bluette. C’est symbolique. » Éveilleur d’esprits, sensibilisant ou habituant à différentes réalités depuis la nuit des temps, le conte serait-il une réponse aux maux de notre temps ? Pour Michel Ocelot, « il est un moyen d’expression très commode parce qu’on peut faire quelque chose de joli, et sous couvert de joliesse, dire ce que l’on veut sans que les gens se méfient ».

Dès lors, son film n’est pas réservé qu’aux enfants. « Je ne fais jamais de films pour les enfants, je fais des films tout court », insiste-t-il.

Se pose la question de savoir si ces images particulièrement gênantes n’auraient pas un effet pervers, habituant dès le plus jeune âge à la vision de femmes humiliées, et en quelque sorte, les normalisant.


Éduquer les hommes
Pour sortir de cette barbarie, les grands noms de l’époque contrastent avec ces Mâles Maîtres, qui ressemblent à s’y méprendre à certains terroristes ayant attaqué Paris et d’autres villes ces dernières années. Frappant la ville et les femmes, leur émancipation progressive dans une société où elles trouvent de plus en plus leur place ne leur convient pas. Invité à présenter son film à Beyrouth par l’Institut français du Liban, dans le cadre des « 16 jours contre la violence faite aux femmes », Michel Ocelot a, au cours de la soirée d’avant-première qui s’est déroulée aux Beirut Souks, invité les femmes à s’affranchir d’elles-mêmes. « Il faut faire comprendre aux femmes dans toutes les sociétés qu’il y a des pays où on a dépassé ce stade de domination, où la civilisation est venue en antidote », assure-t-il. Avant de conclure, lucide : « Mais ce sont les hommes qu’il faut soigner en priorité. »

Le plan d’ouverture met en scène une famille kanak vaquant à ses tâches quotidiennes : on fait la cuisine, on s’active auprès du feu dans une ambiance sereine. D’un coup, un changement de perspective nous fait réaliser la tromperie : on n’est pas en Nouvelle-Calédonie mais dans le Paris de la Belle Époque, en pleine Exposition universelle. Comme cette foule de curieux, on...

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