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Liban - Commémoration

Gebran Tuéni est mort pour un État de droit et non un État policier

Treize ans après l’assassinat du journaliste et PDG d’« an-Nahar », où en sommes-nous des valeurs de souveraineté, d’indépendance et de liberté qu’il a défendues ? Deux de ses collègues témoignent.

Gebran Tuéni a défendu les valeurs auxquelles il était attaché jusqu’à sa mort.

Il y a exactement treize ans, le 12 décembre 2005, Gebran Tuéni, alors député et PDG du quotidien an-Nahar, est victime d’un lâche attentat à la voiture piégée dans la région de Mkallès. Âgé de 48 ans, il a payé de sa vie le prix de la lutte acharnée qu’il menait pour défendre les valeurs auxquelles il était attaché, à savoir la défense des libertés, ainsi que de l’indépendance et de la souveraineté du Liban.

Que reste-t-il aujourd’hui de ces valeurs, à une époque où les interpellations de blogueurs et d’activistes sur les réseaux sociaux se multiplient ?

« Rien », affirme à L’Orient-Le Jour Nabil Bou Mounsef, rédacteur en chef-adjoint d’an-Nahar. « Treize ans plus tard, nous nous trouvons à la pire phase par laquelle le Liban puisse passer, poursuit-il. Une simple comparaison entre l’époque de Gebran Tuéni et celle que nous vivons actuellement nous permet de constater à quel point le paysage est sombre. Et pourtant, à l’époque, le Liban était gouverné par un régime policier libano-syrien. Cette occupation justifiait la répression. Nous vivions dans un état de guerre qui s’est concrétisé par la série d’attentats qui ont eu lieu à l’époque, mais qui ont aussi mené au retrait total des forces et des services de renseignements syriens du Liban (le 26 avril 2005). Aujourd’hui, qu’est-ce qui justifie cette tendance à la répression, sinon la volonté de rétablir un État policier ? »

Nabil Bou Mounsef dénonce dans ce cadre les interpellations répétées de journalistes, mais aussi d’activistes sur les réseaux sociaux. « Si les commentaires sur les réseaux sociaux dérangent, qu’on élabore des lois strictes qui réglementent les activités sur ces réseaux, à l’instar de la loi sur les imprimés, s’insurge-t-il. Des personnes sont mortes pour que le Liban soit un État de droit et non un État policier. » Et de marteler : « Le Liban d’aujourd’hui n’est pas le pays pour lequel Gebran et tous les autres martyrs sont morts. À l’époque, on avait encore une dignité. Aujourd’hui, l’ambition des Libanais est réduite au simple désir de trouver une solution à la crise des déchets ou encore un moyen pour se protéger des maladies dues à la pollution, de nettoyer le fleuve du Litani, qui était l’un des plus importants fleuves mais qui ressemble désormais à un égout géant, ou de s’épargner l’effondrement financier qui se dresse comme une épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes. Même aux pires moments de la guerre, nous n’avons pas vécu ce que nous vivons aujourd’hui ! Est-ce cela, l’image du Liban rayonnant ? C’est déprimant. Personne ne peut nous blâmer si nous ressentons la frustration et le désespoir, sachant qu’il s’agit de sentiments qui vont à l’encontre de tout ce en quoi Gebran Tuéni a toujours cru. Le sourire n’a pas quitté ses lèvres, jusqu’à sa mort. »



« Le rêve est mort avec les martyrs… »
Rajeh Khoury, analyste politique à an-Nahar et al-Charq al-Awsat est tout aussi pessimiste. Soulignant que son parcours dans le journalisme est jalonné de « tragédies », il note que le sang des hommes politiques et des journalistes tués au fil du temps « a été sacrifié sur l’autel de la liberté, de la souveraineté et de l’indépendance du pays ». « Ce qui distingue le Liban des autres pays de la région reste son pluralisme, poursuit-il. La diversité culturelle qui y existe en a fait une oasis dans cette région. Le Liban a inspiré aux pays arabes les vertus de liberté, de démocratie et des droits de l’homme, mais aussi celles d’un pays souverain. La presse était tellement libre qu’elle faisait office d’une tribune pour les régimes arabes oppresseurs. »

Rajeh Khoury affirme que Gebran Tuéni a été assassiné parce qu’on voulait « faire taire le quotidien an-Nahar qui faisait l’apologie de la liberté, de la souveraineté et de l’indépendance du Liban ». « Le meurtre de Gebran Tuéni n’est qu’un maillon d’une chaîne d’assassinats qui ont commencé en 1966 par la tentative d’assassinat de Riad Taha (alors président de l’ordre de la presse) et qui a continué avec l’assassinat en 1980 de Salim el-Laouzi (fondateur et rédacteur en chef de l’hebdomadaire al-Hawadeth), la tentative d’assassinat de Marwan Hamadé (octobre 2004) et de May Chidiac (septembre 2005) et l’assassinat de Samir Kassir (juin 2005). »

Pour lui, les libertés sont au croisement de deux chemins : celui de l’effondrement de la situation générale dans le pays, notamment sur les plans politique et économique, et celui de l’avenir incertain de la presse, notamment écrite, qui constitue l’échine de l’opinion publique, et à l’ère des médias sociaux qui ont porté préjudice au métier avec les commentaires irresponsables qui y sont publiés.

Et Rajeh Khoury de conclure : « Au Liban, la liberté, la souveraineté et l’indépendance n’ont pas pu être réalisées. Il en est de même du grand rêve que se faisaient pour le Liban Gebran Tuéni et tous ceux qui ont payé de leur vie leur attachement au pays. Le rêve est mort avec eux. »


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Il y a exactement treize ans, le 12 décembre 2005, Gebran Tuéni, alors député et PDG du quotidien an-Nahar, est victime d’un lâche attentat à la voiture piégée dans la région de Mkallès. Âgé de 48 ans, il a payé de sa vie le prix de la lutte acharnée qu’il menait pour défendre les valeurs auxquelles il était attaché, à savoir la défense des libertés, ainsi que de...

commentaires (2)

Le paysage est actuellement super sombre , au moins en 2005 la plume de Gebran Tuéni ce vrai orthodoxe reflétait l'espoir qu'on ne trouve plus de nos jours . Paix à son ame .

Antoine Sabbagha

21 h 39, le 12 décembre 2018

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Commentaires (2)

  • Le paysage est actuellement super sombre , au moins en 2005 la plume de Gebran Tuéni ce vrai orthodoxe reflétait l'espoir qu'on ne trouve plus de nos jours . Paix à son ame .

    Antoine Sabbagha

    21 h 39, le 12 décembre 2018

  • Sans liberté de paroles, pas de pays !

    TrucMuche

    15 h 25, le 12 décembre 2018

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