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Moyen Orient et Monde - Syrie

Syrie : Riyad et Abou Dhabi tentent à nouveau d’entrer dans la danse

Les deux pays auraient envoyé des troupes à l’est de l’Euphrate.

Les deux princes héritiers Mohammad ben Salmane et Mohammad ben Zayed à Abou Dhabi, le 22 novembre 2018. Bandar al-Jaloud/Getty Images/AFP

Riyad et Abou Dhabi seraient-ils en train d’avancer un pion sur l’échiquier régional ? Le quotidien turc Yeni Safak a rapporté, le 20 novembre, que des troupes saoudiennes et émiraties ont été déployées à l’est de l’Euphrate, dans les territoires syriens sous contrôle des Forces syriennes démocratiques (FDS), la coalition de combattants arabes et kurdes dominée par ces derniers et soutenue par les États-Unis. L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) a, pour sa part, rapporté hier qu’une « délégation du Golfe » rend visite aux « leaders des FDS à Kobané », quelques jours après avoir complété une « tournée sur les fronts à l’est de l’Euphrate ».

Si ces informations sont exactes, l’implication saoudo-émiratie à travers une visite aux FDS ou par l’envoi de troupes dans l’Est syrien est une initiative qui a des utilités sur plusieurs fronts pour le duo embourbé dans la guerre du Yémen. Cela lui sert d’abord dans ses guerres froides qui l’opposent à Ankara et Téhéran, deux capitales qui ont réussi à devenir des actrices régionales incontournables de la résolution du conflit en Syrie. Ensuite, l’envoi de troupes au sol en soutien au camp proaméricain constitue un bon point pour l’Arabie saoudite, pour qui les nuages les plus menaçants de la tempête née de l’affaire Khashoggi, et donc ceux qui importent vraiment, sont ceux qui viennent de Washington. Quant aux Émirats arabes unis, ils ont besoin d’un bouclier saoudien puissant et stable dans leur propre politique étrangère.


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Contrer Ankara et Téhéran
Le constat dans les capitales de la région est que la guerre en Syrie est bientôt terminée et que le régime de Bachar el-Assad est là pour rester. Il faut donc s’en accommoder. Ce constat a été dressé, ces dernières semaines, d’une manière plus ou moins claire. « Le gouvernement syrien est le souverain en Syrie et nous travaillons avec les États même si nous sommes en désaccord », avait ainsi déclaré Khaled ben Ahmad al-Khalifa, le ministre bahreïni des Affaires étrangères, questionné par la chaîne de télévision saoudienne al-Arabiya sur son accolade chaleureuse le 30 septembre dernier avec son homologue syrien, Walid Moallem, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies à New York. Le ministre bahreïni, dont le pays est un baromètre pour les tendances géopolitiques des capitales arabes du Golfe, avait ajouté qu’il est « nécessaire que les Arabes reprennent le leadership en Syrie, un pays arabe dont les citoyens sont des frères arabes ; (…) tout ce qui s’y passe nous concerne avant tout autre pays. Malheureusement, les États régionaux et internationaux se penchent sur la question syrienne alors que nous, les Arabes, sommes absents ». Dans la même lignée, les Émirats arabes unis auraient entamé des discussions pour rouvrir leur ambassade à Damas, selon une information du quotidien progouvernemental russe Nezavisimaya Gazeta le 11 novembre, reprise depuis par des médias arabes (pro-Assad et proqataris) et turcs (progouvernementaux), et jusqu’ici non démentie par les Émirats.

Ankara et Téhéran, deux puissances non arabes de la région, concurrentes de Riyad et Abou Dhabi, se sont engouffrés dans les ouvertures créées au fil du temps par les différentes mutations du conflit syrien ; de la répression violente aux différentes guerres qui l’ont composé. Ils sont les piliers, avec la Russie, des discussions d’Astana, le seul processus de résolution du conflit syrien efficace jusqu’ici sur le terrain. La Turquie a des troupes sur place, soutient et contrôle certaines forces militaires présentes dans la province d’Idleb, l’une des deux dernières poches territoriales hors du contrôle de Damas, et a bombardé des positions des forces kurdes à l’ouest de la ville de Kobané fin octobre dernier. L’Iran, pour sa part, légalise et légitime son implantation à long terme sur le territoire syrien à coup d’accords commerciaux et dans le domaine de la défense avec le régime de Bachar el-Assad, et contrôle presque toutes les milices combattant aux côtés de ce dernier.


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Amadouer Washington
Maintenant que ce conflit semble toucher à sa fin et que la carte géopolitique de la région longtemps restée floue commence à gagner en netteté, Riyad et Abou Dhabi chercheraient à s’engouffrer à leur tour en Syrie, avant que la brèche ne se referme, et qu’ils ne deviennent les grands perdants géopolitiques de ce conflit. « L’administration Trump tente de convaincre l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis que la zone de contrôle américaine dans l’est de la Syrie est un bon endroit pour défier l’Iran », souligne Nicholas Heras, chercheur au Centre pour une nouvelle sécurité américaine (CNAS) et expert des questions de sécurité au Moyen-Orient, qui précise que « l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont envoyé de petites équipes militaires dans l’est de la Syrie à différents moments au cours des 18 derniers mois ». Cette initiative, poursuit-il, peut également être interprétée comme un geste visant à contrer l’influence turque dans la Syrie d’après-guerre.

Soutenir les forces proaméricaines ou, à terme, remplacer les États-Unis sur place permet effectivement de satisfaire également la volonté du président américain Donald Trump de se retirer de Syrie, dans le cadre de sa politique d’America First. Ce serait une sorte de « service rendu » à Washington que de prendre graduellement le relais dans l’est de la Syrie. Cela permettrait aux États-Unis de conjuguer les différentes tendances en leur sein concernant le dossier syrien et ses ramifications : celles d’affronter Assad et l’Iran, de soutenir les forces kurdes, de préserver l’alliance avec Ankara et de voir ses alliés s’impliquer plus fortement dans le domaine de la défense. « Idéalement, les États-Unis aimeraient que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis déploient des centaines, voire des milliers de leurs propres soldats dans l’est de la Syrie, avec la possibilité de mener des patrouilles avec des véhicules mécanisés et des opérations aéroportées avec des hélicoptères. Ces forces ne seraient pas obligées de mener des opérations offensives, ce qui ne nécessiterait aucun recours à des chars ou à de l’artillerie lourde, mais des opérations antiterroristes seraient nécessaires, ce qui impliquerait la présence de forces spéciales », explique M. Heras.

S’impliquer directement en Syrie permettrait donc au duo Riyad-Abou Dhabi de faire face aussi bien à Ankara qu’à Téhéran, tout en satisfaisant l’allié tout-puissant américain, alors qu’ils se retrouvent dans une posture difficile sur tous les dossiers, du Liban au Yémen, et que des membres de tous bords du Congrès américain continuent de faire entendre leur insatisfaction quant au « règlement » de l’affaire Khashoggi. Dans le contexte actuel, la zone à l’est de l’Euphrate consolidée par les Américains et leurs alliés pourrait fournir une seconde chance à l’alliance saoudo-émiratie de s’impliquer en Syrie.


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Riyad et Abou Dhabi seraient-ils en train d’avancer un pion sur l’échiquier régional ? Le quotidien turc Yeni Safak a rapporté, le 20 novembre, que des troupes saoudiennes et émiraties ont été déployées à l’est de l’Euphrate, dans les territoires syriens sous contrôle des Forces syriennes démocratiques (FDS), la coalition de combattants arabes et kurdes dominée par ces...

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Les arabes sont déjà divisés grâce à l'Iran

Eleni Caridopoulou

20 h 51, le 28 novembre 2018

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Commentaires (9)

  • Les arabes sont déjà divisés grâce à l'Iran

    Eleni Caridopoulou

    20 h 51, le 28 novembre 2018

  • MBS n'a apparememnt pas appris de ses expériences diverses...et continue de foncer, comme un gamin qu'il est encore ! Irène Saïd

    Irene Said

    16 h 07, le 28 novembre 2018

  • Chacun avance ses pions. C’est pas fini en Syrie ...beaucoup d’enjeux ,un régime qui ne satisfait pas grand monde , l’Iran qui s’enracine , une Turquie qui ne pense qu’à eliminer les kurdes en alimentant un réseau trouble, Israël qui ne sait plus où donner de la tête . Voyons la suite ....

    L’azuréen

    15 h 45, le 28 novembre 2018

  • LES DEUX SYRIES CA ARRIVE AVANT DE SERIEUSES NEGOCIATIONS...

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 32, le 28 novembre 2018

  • L'Iran n'a aucun intérêt que la Turquie prenne trop ses aises dans la région ... Pour plein de raisons que les dirigeants perses le savent. N'en parlons pas. Élémentaire !

    Sarkis Serge Tateossian

    08 h 58, le 28 novembre 2018

  • Et puis c'est un ordre et les arabes exécutent. Entrer dans quelle sorte de danse? on les voit au Yémen non?

    FRIK-A-FRAK

    06 h 36, le 28 novembre 2018

  • Si les usa se sont mis en tête d'utiliser les bensaouds wahabites en terre arabe pour contrer la Turquie et l'Iran NPR, je peux d'ores et déjà déclarer qu'ils ont perdu la GUERRE au M. O . Le Yémen en est la plus belle illustration. C'est un aveu de faiblesse qui cache mal une débandade américaine évidente. La bensaoudie et les emirats ! Helow , rien que ça ??? Hahahaha....

    FRIK-A-FRAK

    05 h 48, le 28 novembre 2018

  • MBS ne devrait apparaître sur aucune scène internationale jusqu’au Règlement du dossier Khashoggi.. Le tribunal saoudien a-t-il enquêté sur le lieu où se trouve le corps du journaliste avec les 15 suspects?

    LeRougeEtLeNoir

    04 h 30, le 28 novembre 2018

  • De toute manière il est important pour le monde arabe de mettre des garde-fous devant les ambitions turques ... La Turquie depuis une vingtaine d'années (depuis l’avènement du effendi Erdogan en politique)tente de profiter de toutes les opportunités dans la région pour accomplir son rêve "ottomanique", diviser les arabes pour mieux contrôler la situation. Certains dirigeants faibles peuvent tomber dans le piège. Attention! Cela dit on connait bien les limites (l'intellect) du président Erdogan, une telle campagne restera dans une phase imaginaire. Heureux pour l'orient

    Sarkis Serge Tateossian

    01 h 14, le 28 novembre 2018

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