Titulaire de la chaire internationale d’Histoire turque et ottomane au Collège de France, Edhem Eldem est également professeur à l’Université de Boğaziçi à Istanbul, ce qui lui permet, comme il le soulignera lui-même, d’être au cœur de la réalité du terrain et de mettre ainsi en évidence la « fusion presque organique entre politique, idéologie et histoire », loin d’être sans conséquence sur l’histoire même du pays. Eldem n’hésite pas à parler d’une Turquie « Cliomane » tout autant que « Cliopathe », néologismes dont il est l’auteur et qui révèlent à la fois cette attitude à vouloir donner à tout prix une dimension politique et idéologique à l’histoire, et le désir « quasi-obsessionnel » d’enfermer le pays dans des mythes, dénis… allant jusqu’au négationnisme.
La Turquie balance, selon les époques, entre l’affirmation d’un héritage multiple – hittite, sumérien, parfois étrusque – associé à l’héritage kémaliste, et son « glorieux » passé ottoman. Cela passe également par une surenchère de dates clés de l’Histoire et de commémorations à venir : figurent ainsi en tête de liste 2023, le centenaire de la République turque, 2053 pour les 600 ans de la prise de Constantinople, 2071 la célébration du millénaire de la bataille de Manzikert…Tout cela bien évidemment exacerbant un nationalisme doublé d’un populisme, déjà bien ancrés.
Pourquoi avoir choisi ce titre : L’Empire ottoman et la Turquie face à l’Occident ? L’auteur se défend de faire référence à Huntington en ayant pris le parti d’utiliser le terme « face » non pas « et » dans son titre et s’attache avant tout à mettre en avant toutes les formes d’interactions, dépassant de loin l’opposition pure et dure, donc réductrice, des relations entre ces deux blocs ; en effet, ces dernières se sont révélées d’une grande complexité, et ce à plus d’un égard !
Pour lui, dans l’histoire de ces relations, trois phases semblent se distinguer très nettement : cela va des premières influences, s’échelonnant du XVIIIe siècle aux années 1830, à la rupture, sans oublier la phase (dès 1839 avec le décret de Gülhane) de l’engagement plus intense dans ces relations et prélude à cette rupture qui se dessine dès le début des années 1870. Bien sûr, ces périodes ne signifient pas pour autant qu’il n’y a jamais eu auparavant de confrontation entre l’Occident et les Ottomans, mais celle-ci gagne en intensité avec le temps.
Ajoutons à cela que la société ottomane n’a pas attendu ce face à face avec l’Occident pour connaître des mutations qui ne sont pas nécessairement une empreinte de cet Occident se montrant de plus en plus arrogant. Les périodes analysées ont profondément marqué les régimes se succédant au cours du XXe siècle.
Cette publication sort des sentiers battus ; Edhem Eldem s’évertue à déconstruire les mythes bien ancrés de part et d’autre de ces deux mondes et des représentations qu’ils se font l’un de l’autre. Il nous oblige à sortir de nos perceptions habituelles et à renoncer à une lecture trop linéaire.
Les relations entre l’Occident et l’Empire ottoman ont toujours été passionnelles et elles le demeurent encore aujourd’hui, plus que jamais, avec une Turquie revendiquant haut et fort son histoire ottomane.
Cette publication n’est qu’une sorte de prélude, appelant une suite, tant le sujet est riche, vaste et bien amené !
BIBLIOGRAPHIE
L’Empire ottoman et la Turquie face à l’Occident de Edhem Eldem, Collège de France/ Fayard, 2018, 80 p.
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