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Liban - Débat

Sans liberté d’expression, le Liban perd « sa raison d’être »

Issa Goraieb, éditorialiste de « L’Orient-Le Jour », et Ibrahim Najjar, ancien ministre de la Justice, ont décortiqué l’état des libertés lors d’un débat organisé par le Rotary Beyrouth.

MM. Najjar et Goraieb au cours du débat.

Les menaces planant sur la liberté d’expression et l’impuissance récurrente de la justice à protéger ceux qui s’expriment librement atteignent le Liban au cœur de ce qui est sa raison d’être. C’est ce qui peut être retenu des interventions des deux conférenciers Issa Goraieb, éditorialiste de L’Orient-Le Jour, et Ibrahim Najjar, ancien ministre de la Justice, au cours d’un débat organisé par le Rotary Club de Beyrouth lundi soir sur la liberté d’expression. Le modérateur de ce débat, Camille Menassa, ancien journaliste lui-même, a introduit cette réflexion par un exposé sur les profondes transformations dans la société d’information qui est la nôtre aujourd’hui, du pouvoir de l’argent et de la mainmise des politiques totalitaires qui peuvent faire d’un outil d’ouverture un instrument de haine. Il a appelé les gouvernants à cesser de considérer les médias comme un moyen d’asseoir leur pouvoir, les journalistes à ne porter allégeance qu’au seul public, et ce dernier à faire obstacle aux restrictions des libertés. C’est un constat somme toute assez pessimiste qu’a fait Issa Goraieb en estimant que le temps où la presse pouvait être qualifiée de quatrième pouvoir, faire tomber ou du moins vaciller un gouvernement, « est révolu ». Les médias exercent toujours une influence sur l’opinion publique, mais c’est celle-ci qui a cessé de peser auprès des gouvernants « en raison de l’intrusion du facteur milicien dans la politique », a-t-il dit. « Cette liberté d’expression est un élément constitutif du Liban, elle est vitale pour nous tous, pas seulement pour les professionnels de l’information », a-t-il martelé.


(Lire aussi : Farès Souhaid à « L’OLJ » : Le silence des autorités politiques face aux atteintes aux libertés est alarmant)


Le journaliste a évoqué les convocations multiples d’internautes à l’ère des réseaux sociaux, y voyant un indicateur de velléités liberticides et d’intolérance à l’encontre de toute sorte de critique. Un fait d’autant plus grave qu’avec le progrès des technologies, falsifier les documents et accuser quelqu’un à tort est devenu à la portée de tous.

Face à une telle réalité, quels recours ? Issa Goraieb a insisté sur les lois, celles qui doivent interdire les dérives comme les appels à la violence par exemple, mais aussi la nécessité de développer des jurisprudences concernant les réseaux sociaux. Mais il a surtout mis en avant la primordialité de l’indépendance des journaux malgré les contraintes. « Je suis fier d’appartenir à un journal qui n’est pas la propriété de quelqu’un en particulier, mais dont l’actionnariat reflète la diversité du pays et où personne n’est majoritaire », a-t-il déclaré. Il a même cité des exemples de circonstances où la rédaction de L’OLJ a exercé sa liberté face aux actionnaires et à la régie de publicité.

M. Goraieb a terminé son allocution par une citation de Ghassan Tueni : « La liberté d’expression s’use quand on ne s’en sert pas. »


(Lire aussi : SOS libertés publiques)


« Nous n’avons pas d’État de droit »
« Le Liban est un pays où les libertés sont fondamentales, elles sont l’une des raisons d’être de ce pays », a déclaré d’emblée Ibrahim Najjar. Le juriste a axé son intervention sur la liberté dans les textes, d’une part, dans la pratique, de l’autre. « Les textes libanais sont d’une grande générosité et d’une grande clarté », a-t-il dit. Non seulement la Constitution libanaise consacre les libertés dans son préambule, mais celles-ci sont réaffirmées et régies par d’autres textes, notamment la révision de la Constitution qui a donné l’accord de Taëf, ou encore le code pénal qui définit les délits punissables, notamment l’atteinte au chef de l’État et aux dirigeants de pays amis. La loi sur les imprimés qui régit la presse et les médias a connu un nombre surprenant d’amendements au cours des années, ce qui prouve, selon M. Najjar, l’intérêt porté par le législateur libanais à la question des libertés. Il met toutefois l’accent sur une particularité surprenante de la législation libanaise : en cas de diffamation, la personne mise en cause est protégée, même si les critiques sont fondées. Un état de fait dont de nombreux politiciens tirent profit…

Passant des textes au contexte, M. Najjar a déploré les cas d’intimidation auxquels sont souvent soumis les internautes. « Nous n’avons pas d’État de droit au Liban », a-t-il lancé. Il a accusé les gens au pouvoir « de ne pas avoir de conscience professionnelle » et « de ne pas respecter la Constitution ». Preuve en est, selon lui, le non-respect du principe de séparation des pouvoirs, suivant lequel les ministres ne devraient pas être capables de faire pression sur les juges. « Les juges doivent reconquérir leur liberté d’expression, a-t-il martelé. Nous devons être dignes de l’État de droit. »

L’ancien ministre a enfin plaidé pour une culture des libertés sans laquelle le Liban cesserait d’avoir un sens. Prié de répondre à une question posée par Issa Goraieb sur la raison pour laquelle la justice ne se saisit pas des innombrables scandales qui éclatent quotidiennement dans la presse et les médias, M. Najjar n’a une fois de plus pas mâché ses mots. Soulignant que le ministère de la Justice ne peut se saisir de pareilles affaires, il a déploré qu’il n’y ait pas « de magistrature digne de ce nom dans ce pays, capable de demander des comptes aux ministres et députés ». « Nous parlons de la corruption depuis des années, et pourtant, aucun corrompu n’est derrière les barreaux ! » s’est-il indigné.


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Les menaces planant sur la liberté d’expression et l’impuissance récurrente de la justice à protéger ceux qui s’expriment librement atteignent le Liban au cœur de ce qui est sa raison d’être. C’est ce qui peut être retenu des interventions des deux conférenciers Issa Goraieb, éditorialiste de L’Orient-Le Jour, et Ibrahim Najjar, ancien ministre de la Justice, au cours d’un...

commentaires (5)

Ces messieurs auraient dû avoir le courage de nommer en toutes lettres cette "milice the menace" qui sème la terreur auprès de l'opinion publique. Faut faire gaffe. Certains n'en sont pas revenus...en lisant cette affirmation je veux dire! Lol

Tina Chamoun

22 h 05, le 07 novembre 2018

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Commentaires (5)

  • Ces messieurs auraient dû avoir le courage de nommer en toutes lettres cette "milice the menace" qui sème la terreur auprès de l'opinion publique. Faut faire gaffe. Certains n'en sont pas revenus...en lisant cette affirmation je veux dire! Lol

    Tina Chamoun

    22 h 05, le 07 novembre 2018

  • Vous êtes vexé de mon commentaire?

    FRIK-A-FRAK

    19 h 54, le 07 novembre 2018

  • Les insultes que profèrent occasionnellement les politiques, les uns contre les autres, sont les meilleures tueuses de la liberté d'expression, car elles laissent croire, à tort, que les diffamations blessantes de personnes physiques en font parties. Il serait nécessaire que l'Etat et les intellectuels tracent les contours de la "liberté d'expression" pour la purifier du mélange des genres.

    Shou fi

    11 h 16, le 07 novembre 2018

  • SANS LA LIBRE EXPRESSION LE LIBAN SERAIT UN CORPS SANS AME !

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 05, le 07 novembre 2018

  • Totalement d'accord.

    Sarkis Serge Tateossian

    03 h 09, le 07 novembre 2018

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