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Culture

« A Private War » : aussi vraie soit l’histoire, manque la force du récit

Suivant les étapes marquantes de la carrière de la reporter de guerre Marie Colvin, tuée en Syrie, le premier long métrage du documentariste Matthew Heineman s’enferme dans un récit factuel, sabotant sa tentative d’adresser à un monde en guerre le message d’une combattante proche de la légende.

Rosamund Pike est Marie Colvin. DR

Le Sri Lanka, l’Irak, l’Afghanistan, la Libye, la Syrie : Marie Colvin a été au cœur de certains des plus violents conflits du début du siècle. Pour le Sunday Times, l’Américaine partait dans ces zones de crise seule, armée de son carnet, de son cache-œil et de ce courage qui mène les héros devant la mort.

Ce courage, A Private War l’établit sans rien attendre. Le film, où chaque guerre est un chapitre, commence avec le départ de la journaliste dans un Sri Lanka en pleine guerre civile, où elle perd l’usage de son œil gauche. Un départ qu’elle négocie auprès de ses supérieurs à Londres âprement et sans peur. Comme quelqu’un qui craint de ne pas se faire entendre, le film lâche son propos dès le début pour insister par la suite, au risque inévitable de se répéter. Dès la fin de l’épisode initiatique du Sri Lanka, tout est déjà dit : Marie Colvin n’avait peur de rien, c’était une femme endurcie et redoutablement indépendante. Atteinte de crises d’angoisse post-traumatiques et plongeant dans l’alcoolisme, elle a donné sa vie pour dénoncer les crimes humanitaires lors d’un travail mondialement reconnu. Si Rosamund Pike incarne religieusement la dégradation progressive du corps de Colvin, le film échoue dans la tâche essentielle du biopic : retranscrire l’évolution de son personnage central. Au contraire, A Private War divise, en périodes et lieux, la vie de la journaliste, pour les traiter inexorablement selon le même schéma.


Fascinante Rosamund Pike

Marie Colvin, forte et entêtée, brave toutes les mises en garde et tous les interdits pour se rendre au cœur du danger et rapporter au monde occidental la misère humaine des guerres civiles. Une négociation, un départ, une guerre, un risque de mort, un article retentissant, un retour. Jusqu’à son dernier reportage du siège de Homs, en 2012, où elle est tuée par les bombardements du régime syrien. La conclusion, vibrante, saisit avec efficacité le contraste glaçant entre les bombardements, l’écho mondial de la voix de Colvin et le silence banalisant de la mort de celle qui ne fut qu’une victime parmi tant d’autres.

Mais faire de son seul véritable pic d’intensité sa clôture ne permet pas à A Private War d’occulter ses manquements. Le biopic oscille entre des thématiques d’une complexité ambitieuse — les conflits civils, le reportage de guerre, les chocs traumatiques — et le récit d’une vie de femme aussi déterminée que sacrifiée.

À cette hésitation jamais résolue s’ajoute un balancement inégal entre temps longs et enchaînements rapides, entre cadres serrés et dynamiques style reportage et plans larges spectaculaires. En effet, Heineman emploie les grands moyens pour retranscrire dans un réalisme immersif le danger permanent d’une zone de conflit. Malgré ses efforts, la tension est aussi manquante que les véritables obstacles sur la route de la journaliste. Son seul et unique obstacle, ses flash-backs cauchemardesques, est réduit, si ce n’est à un passage anecdotique en hôpital psychiatrique, à un trait de caractère, au même titre que son alcoolisme, son humour et sa rage. Partagé entre l’émotionnel et l’historique, le film se heurte à un traitement confus et épais d’une vie hors normes.

En cherchant à la fois la profondeur du récit et l’exhaustivité d’un documentaire — domaine de prédilection d’Heineman, A Private War ne trouve que la surface morcelée d’un portrait de femme battante, à laquelle on a oublié de s’attacher.



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