«Pays du Cèdre », on veut bien. Le vénérable conifère nous a rendu bien des services à ce jour, le moindre n’étant pas d’avoir offert à notre impossible mosaïque un emblème fédérateur et dépassionné, sans connotation conflictuelle, version sylvestre de l’or tant son bois est incorruptible, tout de racines profondes, de culminations orgueilleuses, d’ombres et de lumières. On ne pouvait trouver mieux pour incarner l’allégorie de la Patrie. Mais le Liban charnel, en ses contrées les plus arides, est surtout terre d’olives, et l’olive en est le miracle. Du haut des montagnes, en direction de la mer, on peut caresser du regard les vastes étendues argentées que le vent peigne et ébouriffe, trousse et rebrousse, révélant dans leur houle des nuances d’orage où domine le vert-de-gris, comme si les arbres étaient de bronze et que le temps et que les brumes océanes y avaient déposé quelques paillettes d’azur. Voici venue la saison de la récolte. Au pied des arbres, on a étendu des draps bariolés. On va gauler les branches comme on chasse les esprits, comme on ouvre un coffre à trésors, comme on force le destin. Il va pleuvoir sur les draps des dragées vertes ou noires, mûres ou moins mûres. Les plus belles iront aux provisions, perdront leur astringence dans la soude ou le sel. Les autres iront au pressoir. On célébrera la récolte. Il y aura fête et partage. L’olivier réconforte et rassemble. Il y a de la paix, il y a de la transmission dans ce bel arbre.
Chez nous, on a la main lourde sur l’huile d’olive, soleil liquide qui irradie dans les assiettes blanches. Plus jaune ou plus verte, mais toujours un peu plus fermentée que dans les pays voisins, on n’imagine pas qu’un foyer libanais puisse en être dépourvu. Le pain, l’olive et l’huile d’olive, on pourrait ne vivre que de cela. C’est bien ce que nous affirmons quand nous nous imaginons dépourvus de tout. Quand un Libanais n’a plus rien, il lui reste les olives.
Au milieu du siècle dernier, quand Beyrouth avait encore ces rutilances qui fascinaient tant les jeunes générations rurales, on ne quittait pas son village pour la ville sans un bocal où les mères enfermaient ce rien qui reste quand précisément on n’a rien. Cela s’appelle la dignité et la dignité pousse sur cet arbre-là, velours d’orage et moire de vent.
Aujourd’hui, les campagnes ont achevé de se vider. Beyrouth Léviathan, capitale tentaculaire, ville pays, entasse plus de la moitié de la population dans ses plis.
Mais c’est une autre forme d’exode rural qui commence : celui des oliviers eux-mêmes. Taillés en pompons, en cubes, en trucs qui ne ressemblent à rien, ils ornent les terre-pleins des autoroutes, se hissent au sommet des gratte-ciel et semblent crier au secours sur leur coin de balcon. Un olivier transformé en plante d’agrément, en bête de cirque, en élément de décor, dépossédé de sa fonction nourricière, isolé de son milieu naturel, séparé des siens, transporté à dos de camion comme un sapin de Noël sans saison, quelle infinie solitude et quelle tristesse… Quel mépris, surtout, de la générosité de la terre et des mains qui la servent. De quels terribles augures ce phénomène est-il le précurseur ?
commentaires (9)
Délicieuse plume de Fifi Abou Dib. La Méditerranée, ou la civilisation de la vigne et de l'olivier. J'ai vu dans le lobby d'un grand hôtel du Moyen Orient, une "petite oliveraie" décorative reconstituée. On avait pris des carcasses de vieux oliviers défunts. On les avait mis, non dans des cercueils mais dans de grands pots de terre stérile qui jamais ne demandera à boire. Et puis, on avait reconstitué à partir de matériaux industriels, les feuilles des oliviers, une par une ... Et on les avait incrustées sur les branches défuntes des carcasses d'oliviers. Toute la clientèle de cet hôtel était ravie de boire un drink au milieu de L'Oliveraie, le bar de cet hôtel.
COURBAN Antoine
07 h 52, le 26 octobre 2018