En fond de décor l’océan, et quelques falaises crayeuses qui s’y détachent. Au pied des spectateurs, une gigantesque ligne de sable blond et même rosé comme du champagne. En haut d’un talus gradé de planches, où se bousculent quelques touffes de salicorne, une cabane sur pilotis. Il y a même un maître-nageur, sexy comme le veut la tradition, dans son poste de vigie. La bande-son, kitsch mais réaliste, berce les invités et chaloupe la démarche des mannequins évoluant sur un ponton de bois au rythme du ressac et d’un vol de goélands. Mais ce n’est pas tout. Un mécanisme caché dans le décor pousse et aspire une vaste nappe d’eau dont le bleu reflète le bleu de la toile de fond, lui inspirant flux et reflux. Une vague de bien-être envahit les gradins où le bronzage des uns et des autres commençait à pâlir. Par la magie de Chanel, un été plus vrai que nature se déploie dans le frimas parisien, à l’heure même où les marronniers se dépouillent. Il faut encore se frotter les yeux pour s’assurer que oui, c’est bien Pamela Anderson, la sauveteuse la plus célèbre de la planète, qui garde, en tailleur Chanel cette fois, un œil protecteur sur tout ce beau monde.
Comme des rêves en bord de mer
Le Grand Palais en a pourtant vu d’autres sous Karl Lagerfeld, tantôt transformé en aéroport et tantôt en base de lancement de fusée, tantôt en ordinateur géant et tantôt en gorges du Verdon avec lichen et cascades, ou encore en atelier de couture plus vrai que nature, ou en supermarché à dévaliser avec toutes sortes de produits domestiques tagués Chanel, ou en cité grecque antique. Force est de reconnaître que cette fois, le Kaiser de la mode a frappé très fort. En guise d’hommage appuyé à Mademoiselle, dite Coco, dont l’histoire mouvementée a souvent eu pour décor les plages les plus célèbres de France, que ce soit sur l’Atlantique, à Deauville où Chanel a ouvert sa première boutique en 1912, Biarritz qui vit sa première enseigne en 1915, ou Roquebrune-Cap-Martin sur la Méditerranée où elle fit construire en 1928 La Pausa, une villa entourée d’orangers, d’oliviers, d’iris et de jasmin. Vendue par sa propriétaire en 1953, la demeure a été rachetée par la maison Chanel en 2015. Une autre inspiration serait l’île de Sylt, en Allemagne, où Karl Lagerfeld a passé ses vacances, enfant.
Pastels et palettes fruitées
La plage donc, et le programme est posé. Pas besoin de boule de cristal, un accessoire pourtant cher à la superstitieuse fondatrice de la maison, pour anticiper la note majeure de cette collection à la fois chic, Chanel oblige, et décontractée parce que la saison, mais plus encore la nouvelle génération d’acheteuses de la marque, l’exigent. De fait, respirant l’air du temps comme un Braque de haut pedigree, Karl Lagerfeld a osé introduire dans son aristocratique prêt-à-porter un scandaleux roturier : le brave cycliste qu’arbore désormais toute Parisienne faisant ses courses à la sortie du training, ou juste pour le confort, pour réchauffer une robe ou un jupon de danse, ou donner une cohérence à ces nouvelles baskets à grosses semelles sculptées. Le cycliste noir, dûment siglé, porté avec un body de même couleur, sert de base pour mettre en valeur de somptueux blazers déstructurés en tweed Chanel. À celles qui se sont lassées de la petite robe à fleurs centre européenne en coton léger et à manches bouffantes qui a envahi les plages dans toutes ses versions l’été dernier, Chanel présente une alternative pas si originale en soi, précédemment connue sous l’appellation de paréo, avec une néo-exotique version sarong. Lequel se noue à l’avant, se décline en tweed et se dégrade en couleurs fraîches et acidulées. La taille des pantalons, après avoir grimpé jusqu’au sternum, redescend de plusieurs centimètres pour retrouver sa place perdue à la fin des années 1990, juste en dessous de la ligne de la hanche, en guise de récompense à celles qui ont suivi avec le plus d’assiduité régimes et entraînements. Le maillot de bain fait partie des pièces maîtresses de cette collection, mais revu à la sauce 80’s, bling-bling comme jamais, couvrant comme un léotard mais asymétrique, agrémenté de chaînes et de bijoux divers. Si les mannequins vont pieds nus dans le sable fin, elles n’en portent pas moins des chaussures étudiées avec le génie d’un équipementier, sublimes méduses frappées du double C qu’on transporte entre écume et terre ferme au moyen d’un anneau qu’il suffit de se glisser au doigt. Partout court un imprimé parasols ou transats sur une palette gourmande tout de pastels fruités, entrecoupée de noir et de denim, indispensables classiques, sans compter, pour les mers septentrionales qui auront bientôt la cote dans un contexte de réchauffement climatique, des tailleurs coupés en imperméables, surlignés de ganses noires comme des croquis sortis d’un conte d’adultes.
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commentaires (1)
Il serait étonnant qu'il cesse de nous surprendre. Un nom qui résonne la poésie, la beauté, la création. Karl Lagerfeld
Sarkis Serge Tateossian
01 h 08, le 24 octobre 2018