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Lifestyle - Mode

Marine Serre définit le vêtement du futur

Cette créatrice de mode de 26 ans a gagné en 2017 le tiercé le plus prestigieux dont puisse rêver un jeune talent : le prix LVMH, le prix de l’Andam et le prix du Festival d’Hyères. Sa jeune marque éponyme incarne le concept de « Future Wear ». Le 9, elle partageait son expérience avec les étudiants de l’École de mode de l’ALBA.

Ce qui est fascinant avec les millenials, c’est qu’avec eux, tout va très vite. Tout se passe comme s’ils avaient l’intuition exacte de ce qu’attend ce monde, comme s’ils étaient bâtis sur mesure pour y répondre. Ce soir-là, dans le nouvel auditorium de l’Académie libanaise des beaux-arts, Marine Serre, bavardant avec les étudiants dans les travées, semblait une étudiante comme une autre. Presque le même âge, précisément les mêmes préoccupations. S’agissant d’une école de mode, les questions se bousculaient autour d’un même thème : que signifie faire de la mode aujourd’hui ? Quelle est la pertinence des grandes marques de couture en comparaison avec celles de la « fast fashion » ? Quelle peut être la réponse de la mode, une industrie réputée polluante, à la problématique de l’environnement ? Quelle chance peut avoir une petite marque de mode d’émerger au milieu des géants de l’industrie ? Et surtout, à quoi ressemblera la mode du futur ?


Qu’y a-t-il dans un vêtement ?
La salle grouillait d’étudiants de tous niveaux, avides de partager, par-delà le quotidien du stylisme et du modélisme, de véritables interrogations existentielles. La rencontre avait été préparée à l’initiative d’Émilie Duval, la directrice de l’École de mode de l’ALBA, qui avait croisé Marine Serre à La Cambre, Bruxelles, par ailleurs jumelle de l’école beyrouthine, où elles ont toutes deux fait leurs études. Étaient présents, pêle-mêle, de jeunes professionnels tels que Rym Beydoun (candidate au prix L’OLJ-SGBL dans le cadre de la troisième saison de Génération Orient), et Roni Helou, déjà sur le marché, ou encore Éric Ritter, professeur à l’École de mode de l’ALBA et créateur de la marque Emergency Room, en collaboration avec l’atelier de couture de la Fondation Safadi. Rabih Kayrouz, parrain de l’école, était venu jouer son rôle préféré qui consiste à écouter et conseiller les aspirants créateurs, source d’inspiration continue. Il avait tenu à prolonger le débat en invitant tous les présents, en soirée, à un dîner à Tawlet.


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Un petit film alternant défilés et modèles de Marine Serre a posé l’ambiance et lancé l’échange. La jeune créatrice a partagé son expérience en partant de ses propres questionnements à la veille de réaliser les pièces de son défilé de diplôme. Dans un monde pollué par la mode rapide, envahi de surplus, est-il éthique d’ajouter du vêtement au vêtement ? Qu’est-ce qui justifie le prix d’un vêtement de marque ? Est-ce davantage la qualité du tissu, le temps passé sur la production ou cette « part de l’ange », la part non quantifiable qu’est le talent du créateur ? En réponse à ces interrogations, elle décide de réaliser, à partir de ces vêtements en déshérence qui s’entassent dans les entrepôts de surplus, une mode nouvelle à travers laquelle, par intuition, elle entrevoit « la mode du futur ». Le Future Wear, selon Marine Serre, n’est pas autre chose que la reconversion géniale et nécessaire de ce qui existe. Véritable « nez » de l’air du temps, elle crée une ligne inspirée du sport en voyant de plus en plus de femmes faisant leurs courses en cyclistes. Des stocks de foulards de soie, triés par couleurs dominantes, sont convertis en robes. Des stocks de gilets cameraman sont découpés de manière à n’en récupérer que les poches pour créer un sublime imperméable/doudoune qui dispense de porter un sac et « où l’on peut transporter toute sa vie ». Parmi ses créations les plus remarquables, un manteau sur lequel une collection de porte-clés (« achetés 2€ pièce sur eBay ») s’anime joliment au moindre mouvement. Tout aussi remarquée, une robe réalisée avec deux couvertures bas de gamme imprimées de roses, sublimée par un travail couture extrêmement complexe sur ces mêmes roses. Les mannequins portent des sacs à mi-chemin entre la bombe et la boule de gym. « Que de l’improbable, des choses qui ne vont pas ensemble, mais qu’on met en harmonie », commente la créatrice dont la marque n’a qu’un an d’existence, sa collection de diplôme ayant été achetée « à 100% » par le concept store Broken Arm, à peine repérée lors de sa présentation à l’école.


Entre le lit et la machine à coudre
Pour Marine Serre, tout a donc commencé dans son studio parisien de 15m2, entre son lit, sa machine à coudre et un portant. Les prix remportés ont évidemment accéléré son passage au prêt-à-porter, et son équipe, qui ne comptait qu’elle, sa sœur et son compagnon, s’est étoffée d’une douzaine de collaborateurs supplémentaires. Celle qui a fait ses armes chez Margiela, Céline, Balenciaga et Dior produit aujourd’hui 5 lignes différentes, défile aux semaines de la mode et envisage deux collections par an. Son logo, une lune dans un cercle, démultiplié sur des combinaisons op’art ou simplement affiché sur une manche à la manière d’un logo sportswear (elle a créé une capsule pour Nike), raconte une belle histoire : celle de sa première collection, Radical Call For Love. « Je finissais mon stage chez Dior quand les attentats de novembre 2015 ont eu lieu à Paris. Je suis donc retournée à Bruxelles où les attentats m’ont suivie. C’est alors que je me suis interrogée sur l’importance ou même l’utilité de faire des jupes dans un tel monde. Mais je me suis dit que le vêtement, c’est ce que je fais et que je sais faire. Je vais chercher ma place et essayer de contribuer avec ce que j’ai à changer les choses. La lune, dans cette collection, était un hommage aux victimes. Il y a quelque chose à la fois de mystique et d’universel dans cette lune. Positionnée comme un logo, elle inspire une idée d’équipe, de rassemblement, de solidarité. La Lune ne m’appartient pas, elle n’appartient à personne et à tout le monde à la fois ».

Ce qui est fascinant avec les millenials, c’est qu’avec eux, tout va très vite. Tout se passe comme s’ils avaient l’intuition exacte de ce qu’attend ce monde, comme s’ils étaient bâtis sur mesure pour y répondre. Ce soir-là, dans le nouvel auditorium de l’Académie libanaise des beaux-arts, Marine Serre, bavardant avec les étudiants dans les travées, semblait une étudiante...

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