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Culture - Livre / Exposition

Carla Henoud, ses yeux dans nos bleus

À travers son premier ouvrage « Le Chariot de Farah », notre collègue puise dans ses pérégrinations le long de la Corniche de Beyrouth pour tisser l’arbre généalogique de trois générations de vendeurs de jus d’orange. Un émouvant hommage à sa ville qu’elle accompagne d’une exposition* de ses photos, qui s’ouvre demain à la boutique Maison Rabih Kayrouz...

Un magnifique saut de l’ange immortalisé par la caméra de Carla Henoud.

Estampillé sur le bras droit, le tatouage d’un plongeur effectuant un magnifique saut de l’ange semblerait la propulser de la terre ferme vers le grand bleu. C’est qu’il faut avoir connu Carla Henoud, ou sinon avoir fait un tour du côté de son compte Instagram aux cinquante nuances de bleu, pour savoir qu’elle a, et bien avant cet ornement de l’épiderme, la Méditerranée qui lui coule sous la peau. Mais pas n’importe laquelle. « Je suis fascinée, jusqu’à l’obsession, par la Corniche de Beyrouth. Certes, c’est un cliché de notre ville, mais c’est un lieu qui me réconforte et m’offre une fenêtre infinie d’imagination, dont la seule limite est l’horizon », concède notre collègue, auteure et photographe. Alors, pour creuser des moments de silence dans une ville schizophrène, se consoler d’un chagrin ou s’abandonner au bonheur mélancolique de ces voyages immobiles qu’elle affectionne, Carla Henoud quitte épisodiquement son bureau à L’Orient-Le Jour où elle travaille depuis 1999 pour rejoindre cet espace talisman par lequel elle basculerait, telle une Alice à la curiosité intacte, vers l’envers de son monde.


Femme dans un univers d’hommes
Tant et si bien qu’aujourd’hui, avec une cohérence tranquille, à l’issue de trois ans de crapahutage sur cet étroit ruban qu’on appelle communément Raouché, Carla Henoud publie son premier ouvrage, Le Chariot de Farah, pour lequel la Corniche de Beyrouth a servi à la fois de décor, de matière et de personnage principal. À propos de la genèse de ce projet, l’auteure raconte : « L’idée de départ, en me rendant dans cet espace à toutes les heures de la journée, était simplement de renouer avec la photographie que j’avais longtemps mise en sourdine et qui était, à la base, mon langage avant celui des mots. »

Femme dans un univers très masculin, clin d’œil inconscient à la narratrice de son livre, Farah, qui reprend en main le chariot de jus de fruits de son père Amir et son grand-père Kamal, Carla Henoud, une fois sur la Corniche, aligne sa patience à celle des pêcheurs à la ligne, fidèles des aubes ou des crépuscules. Elle attend les hasards qui finissent, naturellement, par mordre l’hameçon de son objectif. « De cette côte qui devient de plus en plus polluée, une sorte de mer urbaine, sale par moments, brute, violente, il me semblait essentiel d’en extraire une poésie, plus souterraine », confie celle qui, par le simple geste d’une photo, protégerait les moments d’un Beyrouth qui nous file d’entre les mains. Et de poursuivre à ce sujet : « Au début, j’étais protégée par ma caméra et, au fur et à mesure, je me suis mise à me dévoiler, me mêler aux gens, apprivoiser les plongeurs, les nageurs, les coureurs, les passants et les habitués des heures et des points précis, à connecter avec eux. Ils m’inspiraient. Je les prenais en photo et ce qui les entoure, jusqu’à me retrouver au bout de trois ans avec des milliers d’images saisies. Ce sont des moments de plus en plus rares. »


Triple hommage
Une fois ces moments précieusement collectionnés, ce castelet de personnages rangé dans son disque dur, Carla Henoud troque sa casquette de photographe pour celle d’auteure en se glissant dans la peau de Farah, narratrice de cet ouvrage, dont « Ali, le vendeur de jus de fruits de la Corniche, m’a inspiré l’histoire ». À travers le regard de Farah, cette femme qui dépose tous les jours « son chariot au 32e réverbère de la Corniche » , « à la fois rebelle, marginale, mais aussi tendre et écorchée, qui fait survivre l’un de ces métiers qui se perdent, un peu comme les maisons qu’on détruit », l’auteure explore l’arbre généalogique de trois générations de vendeurs de jus de fruits de la Corniche. Et elle enrobe de sa plume aigre-douce les itinéraires de la vie entre guerres, mariages, ruptures, décès et autres « bleus à l’âme ».

Au fil de cet ouvrage hybride, où « les images se sont greffées aux mots, grâce à François Sargologo, plasticien et photographe qui a su les faire dialoguer sans pour autant que l’un ne sous-titre l’autre », par-delà la saga familiale, c’est en filigrane que se dresse le portrait du combat intime d’une femme qui, à la force de son chariot élimé, trouve sa place parmi les hommes et que se cartographie la mémoire d’un Beyrouth, aussi éclatant qu’éclaté, qui est cher à Carla Henoud et à qui, cela va sans dire, elle dédie ce projet. « J’ai eu la chance d’avoir été portée par des gens qui ont saisi l’essence de mon projet. Robert Matta, principal sponsor, François Sargologo, qui a fait la mise en page, et Rabih Kayrouz, qui m’a invitée à exposer mes photos dans sa boutique du port », conclut celle qui, pour accompagner le lancement du Chariot de Farah, présentera donc une série d’une vingtaine de photos à la boutique Maison Rabih Kayrouz, dans une installation des architectes Ghaith&Jad, lauréats du prix L’OLJ - SGBL dans le cadre de la saison 2 de Génération Orient. De grands formats qui promèneront, sur ce chariot du bonheur, ces éclats de mer, morceaux de soleil et bribes d’instants de simple félicité, comme il manque à un Beyrouth qui semble se délaver de tous ses bleus.

Une histoire de Farah (bonheur), on vous l’avait bien dit.

*Le vernissage de l’exposition de Carla Henoud aura lieu demain jeudi 18 octobre à 18 heures à la boutique Maison Rabih Kayrouz, dans le quartier du Port, et se prolongera jusqu’au 10 novembre. Horaires d’ouverture : de 11h00 à 19h00.

Estampillé sur le bras droit, le tatouage d’un plongeur effectuant un magnifique saut de l’ange semblerait la propulser de la terre ferme vers le grand bleu. C’est qu’il faut avoir connu Carla Henoud, ou sinon avoir fait un tour du côté de son compte Instagram aux cinquante nuances de bleu, pour savoir qu’elle a, et bien avant cet ornement de l’épiderme, la Méditerranée qui lui...

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