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Vous avez dit dialogue ?

Séduisant certes est le projet présenté d’abord à l’Assemblée de l’ONU, puis au sommet francophone d’Erevan par le président Michel Aoun, et qui vise à faire du Liban une académie de rencontre et de dialogue dédiée au genre humain. Après tout, notre diversité spirituelle et notre multilinguisme bien connus devraient suffire pour nous prédestiner à de tels honneurs.

Il est toutefois des images d’Épinal, poncifs et autres clichés qui, en réalité, n’ont cours que sur le papier. C’est surtout le cas quand le timing est mal choisi, car implacable est le témoignage de la simple, de la banale actualité. Son dada humaniste, le président Aoun lui offre, par deux fois plutôt qu’une, un somptueux baptême médiatique; mais il le fait à l’heure précise où les Libanais s’avèrent impuissants à dialoguer avec… les autres Libanais. Où la scène politique libanaise a tout l’air d’une tour de Babel, du haut de laquelle on échange invectives et défis, alors que tout en bas, au ras du sol, dépérissent la société et l’économie sans que s’en émeuvent les responsables. Où encore les revendications des factions sont crûment brandies au nom des droits inaliénables des communautés religieuses. Où enfin l’on s’évertue à qui mieux mieux, depuis des mois, à bloquer la formation d’un gouvernement (ironiquement dit d’unité nationale), les plus zélés étant les proches, très proches même, du chef de l’État.

Rencontre, disait-on ? Entre les hommes qui nous gouvernent, elle n’est trop souvent que le résultat d’une conjonction d’intérêts bassement matériels; rien de tel, n’est-ce pas, qu’un partage équitable des territoires, et des avantages qui vont avec, pour instaurer les plus improbables des ententes. Ah, pour un peu, on en oubliait que dans notre pays, où l’on a pourtant la gâchette facile, c’est le ridicule qui, lui, ne tue pas ; à preuve cette Semaine mondiale de l’énergie que s’enorgueillit d’héberger, en 2020, un Liban privé de courant électrique depuis des décennies, du fait d’une endémique et insolente corruption.

Est-il besoin de rappeler que ce problème de communication et d’interaction créatrices, productives, utiles dont nous souffrons ne se limite guère au champ politique ? Dans ce tragique laisser-aller où l’on a criminellement enfermé leurs existences, c’est avec la terre et l’eau aussi que les Libanais ne savent plus dialoguer, c’est avec cette nature qui s’est montrée si prodigue pour nous et qui n’est pas payée de retour. Par la grâce des carrières sauvages et qui jouissent néanmoins de protections occultes, nos splendides montagnes sont criblées de plaies béantes. Un littoral qui, naguère, n’avait rien à envier à la Riviera française ou italienne est squatté de force, envahi de mauvais béton. Et non contents de polluer à outrance notre lopin de Méditerranée, eaux usées, déchets chimiques et détritus de toute sorte ont réduit à l’état de dépotoir flottant le premier fleuve du Liban, le Litani, et avec lui le lac de Qaraoun : eaux convoitées de longue date par Israël, qui nous accuse de laisser toutes ces ressources vitales s’en aller en pure perte à la mer.

Dialoguer, disait-on ? C’est en priorité avec leurs consciences engourdies que les responsables seraient bien inspirés de faire un brin de causette.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Séduisant certes est le projet présenté d’abord à l’Assemblée de l’ONU, puis au sommet francophone d’Erevan par le président Michel Aoun, et qui vise à faire du Liban une académie de rencontre et de dialogue dédiée au genre humain. Après tout, notre diversité spirituelle et notre multilinguisme bien connus devraient suffire pour nous prédestiner à de tels honneurs. Il est...