Rechercher
Rechercher

Don Donald

Omniprésent dans les films de gangsters hollywoodiens est le rackett à la protection. Le principe en est terriblement simple. Les négoces en tous genres sont ainsi tenus de payer régulièrement une dîme substantielle au caïd du secteur qui, en retour, se porte garant de leur sécurité, corps et biens. Décliner la gracieuse offre, c’est se livrer aux coups impitoyables, assénés pour l’exemple, du protecteur imprudemment éconduit. C’est à ce genre de persuasion, rien moins qu’amicale, que les États-Unis viennent de se livrer publiquement – et de la plus humiliante des façons – envers leur client saoudite. Le plus frappant est que l’un et l’autre des partenaires n’en sortent pas grandis.

C’est vrai pourtant que dès le départ, c’est sur un marché on ne peut plus pragmatique que reposait l’alliance contractée en 1945, à bord du croiseur Quincy, par le président Franklin Roosevelt et le roi Abdel Aziz Ibn Saoud. Retour de la conférence de Yalta, le président américain étendait l’ombrelle militaire US au-dessus de l’Arabie et de la dynastie royale, tous deux faisant partie désormais des intérêts vitaux des États-Unis. Damant le pion aux Britanniques, les Américains obtenaient en échange l’assurance d’un approvisionnement régulier en pétrole.

Au fil des décennies, le vieux couple a connu bien des secousses, souvent graves. Des soupçons de complicité avec el-Qaëda ont ainsi pesé sur certains membres influents de la famille royale au lendemain des attentats de 2011 ; la mollesse de l’administration Obama face au conflit de Syrie, puis l’accord sur le nucléaire iranien ont suscité colère et inquiétude à Riyad. Depuis, comme on sait, Donald Trump a dénoncé l’entente avec Téhéran. Peu auparavant, c’est l’Arabie saoudite qu’il avait choisie pour son premier déplacement à l’étranger, y récoltant de faramineuses commandes pour les industries US. Que le roi Salman ait effectué l’an dernier une visite proprement historique en Russie, qu’il y ait même signé toute une volée d’accords de coopération, y compris dans le domaine militaire, n’a pas fait sortir Trump de ses gonds; ce qui, pour lui, a dépassé les bornes, c’est la hausse record des prix du pétrole, laquelle fait aussi l’affaire de Moscou.

Il y a deux semaines déjà, à la tribune de l’ONU, le chef de la Maison-Blanche accusait les pays producteurs d’arnaquer le monde, s’en prenant particulièrement aux royaumes du Golfe que l’Amérique défend pour rien. Samedi dernier il récidivait de manière plus brutale encore, révélant devant une foule de partisans la mise en garde qu’il avait adressée à Salman : sans le soutien militaire américain, le vieux monarque ne resterait pas deux semaines au pouvoir.

Cette assertion a sans doute du vrai, comme le laisse croire l’étourdissant silence des Saoudiens, qui ont avalé l’affront. Mais même en admettant que seuls sont permanents les intérêts des puissances, c’est une image encore moins séduisante de l’Amérique que vient d’offrir crûment au monde Donald Trump. Ce qu’il affirme (et confirme ?), c’est que la plus grande démocratie du globe s’accommode fort bien d’alliés régis par des systèmes peu démocratiques, autoritaires, théocratiques, médiévaux parfois, en tout cas brouillés avec les droits de l’homme, aussi longtemps toutefois que ces derniers filent doux. Et qu’à la longue il n’y a pas d’exceptions à la règle, comme le montre la longue liste de dictatures froidement larguées, déchues, une fois pressé jusqu’au bout le citron.

Doublement maladroite est cependant la démonstration. Quand il souligne en traits gras la vulnérabilité de l’Arabie une fois privée du parapluie yankee, c’est un cadeau de prix que fait l’homme à la houppe au rival régional de la même Arabie : son propre ennemi, l’Iran qui n’est certes pas, lui non plus, un parangon de démocratie. Mieux encore, s’accordent à juger les spécialistes, le pétrole plus rare, et donc cher, est la conséquence logique, inévitable, des sanctions américaines visant, outre la République islamique, tout pays qui se hasarderait à s’approvisionner en brut auprès de celle-ci. C’est dans les deux pieds, en somme, que Trump se tire une balle.

* * *

Pour universellement adoré que demeure le dieu pétrole, ce fracassant épisode de la chronique conjugale saoudo-américaine est riche d’enseignements : surtout pour les petits pays qui croient trouver stabilité, prospérité et sécurité dans le giron de quelque mécène étranger. Si le Liban actuel n’en fait pas techniquement partie, ce n’est pas par mérite, par vertu ou volonté d’indépendance : c’est seulement parce que les deux principales forces politiques qui s’y affrontent se réclament qui de l’Arabie, et qui de l’Iran. Hier au vingtième siècle et jusqu’à l’indépendance, c’est entre France et Grande Syrie que se situait le débat. Avant-hier, c’est-à-dire au siècle précédent, c’est auprès des puissances de l’époque que chacune des communautés libanaises sollicitait et trouvait protecteur.

Comment, de la sorte, un peuple deviendrait-il nation ?

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Omniprésent dans les films de gangsters hollywoodiens est le rackett à la protection. Le principe en est terriblement simple. Les négoces en tous genres sont ainsi tenus de payer régulièrement une dîme substantielle au caïd du secteur qui, en retour, se porte garant de leur sécurité, corps et biens. Décliner la gracieuse offre, c’est se livrer aux coups impitoyables, assénés pour...