Avec la disparition d’Antoine Sfeir, trouve son triste épilogue un des exemples les plus remarquables, les plus réussis du phénomène de transplantation intellectuelle et professionnelle engendré par la guerre de quinze ans, et qui a poussé nombre de talents libanais à aller s’épanouir sous des cieux plus cléments.
C’est au service étranger du journal Le Jour, puis de L’Orient-Le Jour, qu’on l’a vu faire ses premières armes en journalisme. Avec le déferlement de violence de 1975, nos locaux, sis à l’époque dans les quartiers ouest de Beyrouth, devinrent, à l’instar des agences de presse internationales, une escale obligée pour les foules de reporters et envoyés spéciaux accourus afin de couvrir le calvaire libanais. Et c’est Antoine, Tony pour nous, qui déployait le plus de patience et de zèle quand il s’agissait d’aider maints collègues étrangers à s’y retrouver, dans les méandres d’un conflit aussi complexe. Le dense réseau d’amitiés françaises qu’aura valu à son auteur ce véritable apostolat s’avérera précieux quand Antoine sera lui-même happé par l’horreur de la guerre, et qu’il choisira de s’expatrier après avoir été enlevé, séquestré et même torturé par une des innombrables factions armées palestiniennes qui contrôlaient le secteur.
Très vite, nombre de quotidiens et de revues françaises de grand renom ont su tirer parti de la collaboration d’Antoine Sfeir. Tout aussi vite, le journaliste, fondateur des Cahiers de l’Orient, se doublera d’un prodigue auteur d’essais sur le Proche et le Moyen-Orient, d’un professeur de relations internationales, d’un estimé conférencier, d’un politologue présidant d’éminents centres de réflexion, et d’un débatteur vivement sollicité à l’antenne des radios et sur les plateaux de télévision à chacun des grands hoquets de la tumultueuse actualité régionale. Ses amis libanais de passage l’ont souvent vu se faire accoster dans la rue par des inconnus qui le complimentaient sur son art d’expliquer en termes digestes les mille et un tours et détours d’un Orient compliqué, au sein duquel son pays d’origine n’a jamais cessé d’occuper la première place.
Atteint d’un mal incurable, l’irréductible Antoine Sfeir trouvait encore la force, ces dernières années, d’organiser des croisières politiques dans cette partie du monde, coachant des dizaines de touristes avides d’apprendre et de comprendre, et faisant appel à ses confrères et amis libanais pour les y aider. Cette saloperie de cancer, c’est moi qui aurai sa peau, m’assurait-il entre deux bouffées de Gitane sans filtre, son visage ravagé par les stigmates du mal, lors de sa dernière expédition à Beyrouth. De fait, il s’est battu comme un lion, tenant l’ennemi en respect de longues années durant.
Avec Antoine disparaît une présence libanaise qui s’exprimait avec puissance au cœur de la communication dans sa patrie d’adoption, la France, qui lui a réservé les plus grands honneurs. Objet de fierté pour les Libanais, son parcours est également motif à consolation pour sa famille, mon affectueuse sympathie allant particulièrement à sa fille aînée Marie-Jo, ma filleule.
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commentaires (6)
Antoine Sfeir un journaliste de talent que l'on écoutait avec grand plaisir. Et qui à chacune de ses interventions nous éclairait parfaitement sur la situation politique de son pays le Liban et plus généralement du Moyen Orient. Riposa in Pace.
Rocchesani Marcel
21 h 43, le 27 octobre 2018