Les Européens poursuivent leur bras de fer avec les États-Unis sur la question du nucléaire iranien. En marge de l’ouverture de la 73e Assemblée générale des Nations unies à New York, les représentants des pays européens signataires de l’accord sur le nucléaire iranien (JCPOA) se sont réunis lundi soir et ont unanimement réaffirmé leur volonté de faire barrage aux sanctions américaines, infligées à la République islamique depuis le 7 août dernier.
Ils ont notamment décidé l’adoption d’un dispositif visant à les contourner. « Concrètement, les États membres de l’Union européenne vont instaurer une entité légale pour faciliter les transactions financières légitimes avec l’Iran (…). Cela permettra aux compagnies européennes de continuer à commercer avec l’Iran conformément au droit européen. (Ce système) pourrait être ouvert à d’autres partenaires dans le monde », a expliqué la chef de la diplomatie de l’Union européenne, Federica Mogherini, dans une déclaration lue lundi soir conjointement avec le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif. « Conscients de l’urgence et de la nécessité d’obtenir des résultats tangibles, les participants ont salué les propositions pratiques visant à maintenir et développer les canaux de paiement, notamment l’initiative d’instaurer une structure » ad hoc « (SPV, Special Purpose Vehicle) pour faciliter les paiements liés aux exportations iraniennes, dont le pétrole », précise le communiqué commun publié à l’issue de la réunion des pays signataires du JCPOA.
Cette structure agira comme un système de troc sophistiqué à partir de la vente de pétrole iranien. Elle n’utilisera donc pas de devises en dollar et permettra ainsi aux entreprises concernées d’échapper aux sanctions de Washington. Ce système sera sans doute similaire à celui de l’Union soviétique qui, dans les années 50-60, effectuait un commerce de troc en échangeant des matières premières contre des biens industriels et de consommation est-européens. Ce geste de Bruxelles s’inscrit dans la stratégie européenne de sauvegarde de l’accord nucléaire qui représente pour l’UE la seule voie possible pour empêcher la République islamique d’obtenir la bombe atomique.
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« Compliqué sur le long terme »
L’UE avait déjà adopté une loi de « blocage » des sanctions américaines en mai dernier et s’était accordée en juillet, avec les autres signataires du JCPOA et l’Iran, à faire en sorte qu’il puisse continuer à exporter son pétrole malgré les pressions de Washington. Mais malgré la bonne volonté dont Bruxelles semble vouloir faire preuve, plusieurs entreprises européennes quittent le territoire iranien les unes après les autres, craignant de subir de plein fouet le courroux américain. Une situation embarrassante pour l’UE qui peine alors à fournir les garanties économiques réclamées par l’Iran pour rester au sein de l’accord nucléaire.
Ainsi, pour accroître la pression sur les Européens et tenter d’engendrer des résultats de manière plus rapide, Téhéran n’hésite pas à jouer la carte de l’intimidation en mettant en route des centrifugeuses ou en brandissant la menace de quitter le JCPOA. Car pendant que les sanctions américaines consument l’économie iranienne à petit feu, l’Iran ne voit aucun résultat concret de la part de ses partenaires.
(Pour mémoire: Les Européens cherchent à contourner les sanctions contre l'Iran)
Mais même s’il revêt en soi quelque chose de nouveau, le système de troc décrété par l’UE fait des sceptiques chez les observateurs européens. « Si le mécanisme paraît marcher sur le papier, il reste très compliqué à mettre en place sur le long terme, notamment en ce qui concerne les estimations et le contrôle des marchandises troquées », affirme à L’Orient-Le Jour Christian Lequesne, professeur à Science-Po Paris et spécialiste de la politique étrangère européenne. Il faudra sans doute attendre l’arrivée de la deuxième salve de sanctions américaines, le 4 novembre prochain, qui porteront sur le pétrole pour voir si cette mesure peut réellement porter ses fruits.
En revanche, en appliquant ce système, Bruxelles risque également de s’attirer les foudres de Washington. Donald Trump avait déjà prévenu via Twitter, début août dernier, en ciblant directement les initiatives européennes de contournement des sanctions américaines que « les entreprises qui feront des affaires avec l’Iran n’en feront plus avec les États-Unis ». Les Européens défient donc une fois de plus l’administration américaine qui pourrait prendre des mesures de représailles contre les entreprises européennes.
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commentaires (3)
Je crains que l'Europe ne fasse une énorme gaffe.
Remy Martin
10 h 18, le 26 septembre 2018