Ils ont la vingtaine et des rêves plein la tête. Ils sont nés ou ont grandi à Tripoli, capitale du Liban-Nord. Ils y vivent toujours, du moins en partie. Nous avons choisi de faire le portrait vidéo de cinq jeunes originaires de cette grande ville à l'histoire compliquée. Cinq jeunes qui ont dû faire face à des situations difficiles mais qui s'accrochent et ne lâchent rien face à l'adversité.
Ali a 23 ans et un lourd passé derrière lui. Originaire de Jabal Mohsen, il a quitté les bancs de l’école à 15 ans pour combattre. Alors que les armes de la guerre civile libanaise se sont tues au début des années 1990 dans l’ensemble du pays, elles continuaient jusqu’à récemment à briser le silence de la rue de Syrie, à Tripoli. Cette rue, ligne de démarcation entre deux quartiers ennemis, était jusqu’en 2014 le théâtre d’affrontements entre Alaouites de Jabal Mohsen et sunnites de Bab el-Tebbané. Comme une survivance, alimentée par la guerre en Syrie, des affres de la guerre civile libanaise. Il y a quelques années, Ali est devenu le chef de l’un des gangs durant les combats. Il n'avait pas 20 ans et contrôlait déjà une rue. « Il n'y avait pas de travail, il n'y avait rien à faire. Donc j'ai pris les armes et j'ai combattu comme tous les autres. J'ai été blessé quatre fois, raconte le jeune homme aujourd’hui. Je n'avais pas peur car je ne ressentais rien à cause de toutes ces drogues que je prenais à l'époque. » Aujourd'hui, les affrontements se sont terminés, suite à l'application d'un plan de sécurité et Ali réapprend à vivre.
Abderrahman a la petite vingtaine. La violence et le vacarme des armes, il connaît. La misère aussi. Il est de Bab el-Tebbané. Comme Ali, l’ancien combattant de Jabal Mohsen, il a quitté l’école trop tôt, passant ses journées à traîner dans la rue. Pour fuir les violences, il a voulu partir, aller voir ailleurs. Contraint de revenir dans son quartier pour des raisons familiales, il a décidé de se mettre au service de sa communauté. « À chaque fois que je travaille dans les quartiers, je remarque que les enfants ont beaucoup d'asthme, de cancers, mais à Tripoli, personne ne fait attention à l'environnement. J'ai ressenti le besoin de m'occuper de ça, car personne ne s'en soucie. »
Moustapha, qui vit à Tripoli, dans le quartier de Bab el-Tebbané, n'a pas de papiers. Ils seraient plusieurs milliers dans son cas. Des jeunes nés au Liban, y ayant vécu toute leur vie, dont les parents sont Libanais. La raison ? Leurs parents, issus de milieux défavorisés, et souvent par ignorance, ne les ont pas enregistrés auprès des autorités compétentes dans l’année suivant leur naissance. Résultat, ils n’ont aucune existence légale, ne peuvent être scolarisés dans une école, ne peuvent être inscrits à la Caisse nationale de la Sécurité sociale, ne peuvent voyager… « Je n'ai rien qui prouve que je suis Libanais, dit Moustapha. Je n'ai qu'un papier que je peux utiliser pour passer les barrages dans le pays. Franchement, je rêve de quitter ce pays, vu qu'il ne m'accorde même pas une pièce d'identité. Prendre ma femme et mes enfants et partir. »
Fatma, 23 ans, non plus n’a pas de papiers libanais. Sa mère est libanaise et son père jordanien, d'origine palestinienne. Au pays du cèdre, les mères ne peuvent transmettre la nationalité à leurs enfants. La mère de Fatma a accouché aux Etats-Unis, pour que sa fille puisse obtenir la nationalité américaine grâce au droit du sol. Fatma vit donc au Liban grâce à un permis de résidence. Mais la jeune fille a des rêves plein la tête, des rêves de cinéma notamment. Et malgré les difficultés, les discriminations et les obstacles liés à son statut, elle est déterminée à les réaliser, ses rêves. « Ma mère a fait de son mieux pour me donner un passeport qui me permette de voyager où je veux et quand je veux et ça m’aide beaucoup dans la vie. Pour elle, comme pour moi, ce n’est pas grave de ne pas avoir la nationalité. La seule raison pour laquelle je la veux, c’est parce que cela m'aiderait dans mon travail. »
Waël el-Jundi a 26 ans. Aujourd’hui, il est à la tête de sa propre entreprise d’ameublement intérieur, Shapes design, avec un showroom en centre-ville et un atelier dans son quartier d’origine, Bab el-Tebbané, dans lequel il emploie huit ouvriers. Il lui aura fallu de la sueur et beaucoup de nuits sans sommeil pour en arriver là. Il aura aussi fallu une bonne dose d’ambition au petit garçon de 12 ans qui servait thés et cafés dans la menuiserie en bas de chez lui après l’école pour devenir ce jeune homme, téléphone vissé à l’oreille, gérant son entreprise. « Mon rêve, c’est que soit établie une grande zone industrielle, dans laquelle on trouverait absolument tout pour la maison », dit-il.
Cette série sur ces jeunes Tripolitains fait partie d'un projet plus vaste parrainé par Open Media Hub, une organisation qui soutient les médias dans le voisinage de l'Union européenne. Après cette série, nous vous proposerons donc les portraits d’autres jeunes, issus cette fois-ci du pourtour méditerranéen ou d’un peu plus loin, pour essayer de dresser, à travers cette mosaïque de profils, le portrait d’une génération.
commentaires (4)
Belle jeunesse.
Sarkis Serge Tateossian
17 h 25, le 27 septembre 2018