En dépit des nombreux problèmes quotidiens libanais, les milieux politiques locaux avaient ces derniers jours les regards tournés vers Sotchi (Russie) en raison de l’importance de l’événement qui s’y est déroulé et de ses retombées sur la région, dont le Liban. Le dernier sommet entre le président russe Vladimir Poutine et son homologue turc Recep Tayyip Erdogan a ainsi jeté les bases d’un règlement pour la province d’Idleb, qui constitue le dernier bastion rebelle en Syrie. En principe, cette province devrait ainsi revenir dans le giron de l’État, sans une grande bataille annoncée, dans un délai de trois mois. Autrement dit, avant la fin de l’année 2018, le président syrien devrait avoir repris le contrôle de l’ensemble du territoire national, excepté quelques poches encore aux mains de différentes organisations... et les bases militaires américaines au nord et à la frontière avec l’Irak et la Jordanie (Tanaf), qui constituent à elles seules un grave problème.
Avec la solution pour Idleb, qu’elle se fasse comme prévu selon l’accord entre Poutine et Erdogan ou par le biais d’un combat limité avec les combattants jihadistes dont aucun pays ne veut, le plan de faire tomber l’État syrien et de morceler la Syrie aura échoué, après plus de sept ans d’un conflit à plusieurs épisodes, tous plus sanglants les uns que les autres.
Selon des informations diplomatiques rapportées par plusieurs sources concordantes, Damas et Téhéran auraient été informés au préalable des dispositions de l’accord conclu entre Poutine et Erdogan. D’ailleurs, ces capitales ont été les premières à afficher leur satisfaction dès qu’il a été annoncé. Cet accord a toutefois été rendu possible en raison de plusieurs facteurs.
D’abord, le président russe veut clore le plus rapidement possible les problèmes du terrain syrien pour pouvoir passer au volet politique. Ensuite, son homologue turc, qui a longtemps utilisé la carte des réfugiés syriens pour pouvoir ensuite faire pression sur la politique syrienne et avoir une part au sein du pouvoir dans ce pays, s’est retrouvé avec une crise économique sans précédent qui a transformé la présence des réfugiés syriens en un poids supplémentaire. De plus, en raison des développements militaires en Syrie, le président turc, qui a longtemps joué la carte de l’opposition, a perdu tout espoir de voir celle-ci reprendre l’initiative sur le terrain. Il considère désormais les différents groupes qu’il a appuyés tout au long des sept années écoulées comme un poids et non plus comme un moyen. C’est ainsi qu’il a accepté de considérer le groupe de Hay’at tahrir al-Cham (ex-Front al-Nosra) comme terroriste, alors que Poutine a, de son côté, accepté de donner une chance à une solution négociée pendant trois mois, selon un calendrier bien précis. Les combattants qui désirent régulariser leur situation pourront le faire, et les autres, considérés comme terroristes, seront isolés dans un petit espace géographique qui pourrait être le théâtre d’une bataille. Mais celle-ci, si elle a lieu, sera limitée et les civils devraient ainsi être épargnés. La possibilité d’affrontement reste tributaire de la position finale de la Turquie. L’hypothèse est privilégiée car, parmi ces combattants, il y aurait près de 7 000 étrangers, que leurs pays d’origine n’entendent pas accueillir. S’il n’y a pas de bataille, ces combattants devront quitter le territoire syrien par le même chemin qu’ils ont pris pour s’y rendre, c’est-à-dire via la Turquie. Ce dont le président Erdogan ne veut pas, d’autant qu’il connaît parfaitement l’idéologie et l’engagement de ces combattants qui ont été, dans une certaine mesure, formés et entraînés sur son territoire. Mais en même temps, il y a en Turquie un important bloc politique islamiste qui ne verrait pas d’un bon œil une bataille contre ces combattants et des partis laïcs qui, au contraire, ne veulent pas en entendre parler... Le dilemme serait donc transposé à l’intérieur même de la Turquie. En même temps, Erdogan ne veut pas non plus d’une bataille à large échelle qui devrait forcément provoquer une nouvelle vague de réfugiés syriens en Turquie, alors que ce pays traverse une grave crise économique.
Ces considérations prises en compte, il est clair que le plan adopté lors du dernier sommet Poutine-Erdogan est une solution qui convient à la plupart des protagonistes et qui, en même temps, retire aux Américains et à leurs alliés la carte de l’utilisation d’armes chimiques et du massacre de civils en perspective, tout en leur enlevant le prétexte de lancer des opérations de représailles. La seule partie qui a indirectement exprimé son mécontentement de la conclusion de cet accord, c’est Israël qui s’est empressé il y a deux jours de bombarder des installations syriennes à Lattaquié, provoquant indirectement, selon les communiqués russes, la chute d’un avion russe avec son équipage de 14 militaires. Mais, selon tous les observateurs, les raids de ce genre ne sont pas en mesure de modifier les rapports de force en Syrie, ni les données sur le terrain. Il s’agit simplement d’un moyen de pression pour s’inviter indirectement à la table des négociations.
Avec cet accord, l’épisode « opposition contre régime » est donc sur le point de se terminer en Syrie. Mais selon les spécialistes, le conflit syrien entrera dans une nouvelle phase, peut-être plus grave, avec le maintien de la présence militaire américaine dans ce pays. Au moment de son élection, le président Donald Trump avait annoncé son intention de retirer ses troupes de Syrie, laissant la scène syrienne aux Russes. Au bout de deux ans, il semble que les forces militaires aient réussi à le faire changer d’avis. Avec la guerre économique déclarée à l’Iran, les problèmes soulevés en Irak et la présence militaire en Syrie, une nouvelle confrontation se profile à l’horizon qui pourrait de nouveau redistribuer les cartes régionales et internationales.
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commentaires (5)
Et nous, on croyait que nos milieux politiques ne voyaient pas plus loin que leur nez voilà que "les milieux politiques locaux avaient ces derniers jours les regards tournés vers Sotchi"...a cette distance il faut être des Pinocchios bien mûrs...
Wlek Sanferlou
23 h 07, le 20 septembre 2018