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Bouchons de crise

L’interminable conflit de Syrie fait irrésistiblement songer à un de ces barils métalliques rongés par la rouille dont on n’a jamais fini de colmater les trous, une nouvelle fuite se déclarant sitôt opéré le bricolage.

Lundi était une de ces journées particulières où a été bouché un de ces gros trous, mais seulement pour voir apparaître un trou plus gros encore. À Sotchi, les présidents de Russie et de Turquie parvenaient à court-circuiter de justesse un assaut contre la ville assiégée d’Idleb, tenue par les rebelles, que préparait de longue date le régime de Damas : opération menaçant de se solder par un véritable bain de sang, doublé d’une crise humanitaire de vaste envergure. La parade consiste en la prochaine création d’une zone démilitarisée contrôlée par la Russie et la Turquie et le retrait des combattants jihadistes. Le même soir cependant, c’est sur le terrain que la tension montait de plusieurs crans, mettant en jeu cette fois… Russes et Israéliens.

Dans un espace aérien syrien écumé par les aviations militaires d’une bonne dizaine de nations, et où les bouchons ne sont pas rares, il n’arrive pas bien souvent à la DCA syrienne de descendre un appareil ennemi. Cette fois, elle s’est avisée de faire mouche, mais en se trompant de cible, descendant un Ilyouchine de reconnaissance (quinze morts), alors qu’elle croyait cibler une formation de F-16 frappés de l’étoile de David. Explication selon Moscou : les intrus israéliens s’étaient camouflés dans le signal radar de l’avion russe. Tout aussi grave est le fait que Moscou n’avait été prévenu qu’en toute dernière minute d’un raid visant la région de Lattaquié, qualifié pour la première fois d’hostile. Et pour cause : non seulement ce secteur constitue le fief alaouite du président Assad, mais il abrite les deux bases de Tartous et Hmeimim, symboles de la présence navale et aérienne russe en Syrie. Tout cela poussait hier Moscou à tempêter, à convoquer l’ambassadeur d’Israël, à se réserver même un droit de riposte, avant d’adopter, par la voix de Vladimir Poutine lui-même, un ton plus conciliant, évoquant ainsi un enchaînement de circonstances accidentelles tragiques.

Dans l’immédiat, cet incident illustre les énormes risques de dérapage, accidentel ou non, inhérents aux jeux de guerre, surtout dans un théâtre aussi encombré de protagonistes étrangers que la Syrie, ciel et terre. Fortuites ou non, de telles sorties de piste n’ont pas même épargné des avions civils et leurs innocents passagers, quand elles survenaient au-dessus du Sinaï, du Golfe, de l’ex-Union soviétique ou de l’Ukraine. À plus longue échéance cependant, l’incroyable destin de cet Ilyouchine patrouillant tranquillement en Méditerranée et pulvérisé par méprise vient rappeler sur quels subtils fondements repose la scabreuse coordination militaire convenue entre le tsar Poutine, impétueux challenger de l’Amérique, et Benjamin Netanyahu, allié de la même Amérique.

Scabreuse certes, mais pas si improbable qu’il n’y paraît, les deux partenaires ayant en effet plus d’un point d’intérêt en commun. Porté à bout de bras par l’ours russe, le régime de Bachar el-Assad reste ainsi un moindre mal (sinon l’ennemi de prédilection) pour l’État hébreu. Outre une même crainte du péril islamiste, l’influence croissante de l’allié iranien en Syrie n’est pas sans porter ombrage au meneur de jeu russe, en même temps qu’elle menace la singulière stabilité régnant depuis des décennies, grâce aux bons soins des Assad père et fils, sur le Golan syrien occupé et annexé par Israël. Pour ces raisons sans doute, Moscou fait mieux, en réalité, que tolérer tout juste les frappes aériennes israéliennes visant périodiquement les convois et entrepôts d’armes iraniennes destinées au Hezbollah et même, à l’occasion, des positions de gardiens de la révolution : toutes actions que Netanyahu se promettait, hier encore, de poursuivre sans relâche.

Reste à savoir si, dans ce qui ressemble chaque jour un peu plus à un combat de Nègres dans un tunnel, froids calculs et inavouables intérêts survivront aux méprises et autres accidents. Tant va la cruche à l’eau, et avec elle le tonneau…


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com



L’interminable conflit de Syrie fait irrésistiblement songer à un de ces barils métalliques rongés par la rouille dont on n’a jamais fini de colmater les trous, une nouvelle fuite se déclarant sitôt opéré le bricolage. Lundi était une de ces journées particulières où a été bouché un de ces gros trous, mais seulement pour voir apparaître un trou plus gros encore. À Sotchi, les...