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Moyen Orient et Monde - Polémique

La bombe à retardement d’al-Jazira sur les lobbies pro-israéliens

Doha a censuré un documentaire de la chaîne sur les activités des cercles pro-israéliens aux États-Unis pour ne pas ternir son image envers Washington et la communauté juive.

Les bureaux d’al-Jazira à New York, le 13 janvier 2016. Brendan McDermid/Reuters

Le documentaire promettait d’être explosif. Offrant un aperçu de l’intérieur du fonctionnement des lobbies pro-israéliens aux États-Unis, le film était attendu avec appréhension pour certains, avec excitation pour d’autres. Devant être diffusé en début d’année sur la chaîne qatarie al-Jazira, la date de diffusion n’a cessé d’être repoussée par la direction, alimentant un peu plus le suspense. Mais la sentence finale est tombée finalement en mars dans une tribune de Clayton Swisher, le directeur de la cellule d’investigation d’al-Jazira, publiée dans le journal juif américain Forward : le film intitulé The Lobby – USA n’apparaîtra pas sur les écrans, du moins pour le moment.

Doha, qui finance al-Jazira, a fini par céder aux pressions politiques : ne pas diffuser le documentaire pour obtenir en échange l’appui « d’une partie de l’aile droite israélienne », rapporte Le Monde diplomatique. L’émirat se trouve dans une position régionale bien délicate alors qu’il est soumis à un blocus lancé en juin dernier par l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte. Isolé par ses voisins et cherchant à faire fructifier ses relations à l’extérieur du Golfe pour garder la tête hors de l’eau, Doha ne peut se permettre de froisser Washington et son allié israélien. Selon le quotidien israélien Haaretz, un lobbyiste engagé par le Qatar et chargé d’améliorer l’image de l’émirat auprès de la communauté juive, Nick Muzin, a reçu dès octobre dernier la confirmation verbale que le documentaire ne serait pas diffusé. Une source a pour sa part affirmé au Haaretz que l’émir lui-même, cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, aurait aidé à prendre cette décision. Interrogée durant le week-end sur le sujet par L’Orient-Le Jour, al-Jazira n’a pas souhaité répondre.

L’initiative de ne pas diffuser le documentaire a été prise au grand dam de M. Swisher. Selon lui, elle donnerait de la crédibilité aux propos des détracteurs de la chaîne qui l’accuse d’antisémitisme et qu’elle « est effectivement un agent étranger sous la direction et le contrôle du gouvernement du Qatar ». « Je confesse ma propre déception face à la non-réponse d’al-Jazira à ces attaques. En partie à cause de cette profonde frustration et de mon incapacité à obtenir une réelle transparence sur la décision de retarder notre diffusion, j’ai demandé et reçu un congé sabbatique », écrit-il dans Forward.

L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais des extraits de The Lobby – USA ont fuité en ligne dès la fin du mois d’août sur les sites The Electronic Intifada et Grayzone project. Le Monde diplomatique a également publié un rapport détaillé sur le sujet après avoir pu visionner une version presque définitive des quatre épisodes du documentaire. Différents personnages-clés des cercles américains pro-israéliens apparaissent dans les images filmées au cours de l’année 2016 par James Anthony Kleinfield, un jeune fraîchement diplômé d’Oxford, surnommé « Tony » et infiltré par al-Jazira en tant que stagiaire au sein de l’organisation pro-israélienne basée à Washington, The Israel Project (TIP).


(Lire aussi : Netanyahu : La paix avec les Palestiniens passe par la "normalisation" avec les pays arabes)


Activité de fantassins

Pendant le tournage en caméra cachée, les individus que « Tony » côtoie lui dévoilent les coulisses des lobbies pro-israéliens telles que le rapprochement avec les membres du Congrès américain à coups de billets ou l’organisation de manifestations montées de toutes pièces pour discréditer la conférence nationale de 2016 des Étudiants pour la justice en Palestine. « Tony » suit à cette occasion des étudiants du programme de bourse de la Hoover Institution, un think tank américain proche du Parti républicain. Ces derniers, qui ne montrent pas un intérêt particulier pour la manifestation, sont obligés d’y participer par leurs supérieurs. « C’est en fait la première activité de fantassins que nous avons été obligés de faire », dit l’un des étudiants dans le bus affrété pour l’occasion dans l’un des extraits du documentaire. Un second explique avoir peur d’être clairement identifiable avec un ami sur les images de la manifestation au risque d’être vus comme des « traîtres vendus à la conspiration juive pour de l’argent », avant d’ajouter « nous le sommes, nous coûtons 50 000 dollars, plus les bénéfices ».

Au détour d’une conversation avec Eric Gallagher, un ancien employé de TIP, « Tony » apprend aussi l’identité du financeur de l’organisation Canary Mission : Adam Milstein, un riche investisseur immobilier et philanthrope américano-israélien. L’objectif de Canary Mission est de traquer les étudiants et les professeurs partisans de Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), une campagne internationale propalestinienne qui appelle au boycottage d’Israël dans différents domaines. Avec l’aide du ministère israélien des Affaires stratégiques, l’organisation récolte leurs informations personnelles en ligne et les publie de manière anonyme sur son site et sur les réseaux sociaux en les taclant de racisme et d’antisémitisme. Une collaboration délicate, soulignée par la directrice générale du ministère : « Nous sommes un gouvernement qui travaille sur un sol étranger et nous devons être très, très prudents. » Suite à la publication des extraits, M. Milstein a démenti être le financeur de Canary Mission et M. Gallagher a déclaré que ses mots avaient été sortis de leur contexte par al-Jazira.

Les brefs aperçus du documentaire mettent en lumière la bataille qui se joue en coulisses entre pro-israéliens et propalestiniens aux États-Unis. Si Doha garde le documentaire dans un tiroir pour éviter de ternir son image face à Israël et la communauté juive, il reste une carte que l’émirat peut jouer selon l’état de ses relations à l’avenir avec l’État hébreu et Washington.

La chaîne qatarie avait déjà diffusé une série de quatre épisodes sur le même sujet au Royaume-Uni en 2017. On peut notamment y voir un diplomate israélien discutant avec une fonctionnaire britannique pour faire « tomber » Alan Duncan, le ministre britannique des Affaires étrangères, qui avait critiqué la colonisation des territoires palestiniens par Israël. Mise dans l’embarras par cette ingérence dans les affaires d’un pays étranger, l’ambassade israélienne au Royaume-Uni s’était vue contrainte de présenter des excuses et de mettre à la porte son diplomate.


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Le documentaire promettait d’être explosif. Offrant un aperçu de l’intérieur du fonctionnement des lobbies pro-israéliens aux États-Unis, le film était attendu avec appréhension pour certains, avec excitation pour d’autres. Devant être diffusé en début d’année sur la chaîne qatarie al-Jazira, la date de diffusion n’a cessé d’être repoussée par la direction, alimentant...

commentaires (2)

mais aussi l'hypocrisie qatari devoilee mais jamais critiquee ! La bombe à retardement semble ne vouloir jamais exploser, pour cause d'affinites qatari-BIBI !!

Gaby SIOUFI

12 h 42, le 18 septembre 2018

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Commentaires (2)

  • mais aussi l'hypocrisie qatari devoilee mais jamais critiquee ! La bombe à retardement semble ne vouloir jamais exploser, pour cause d'affinites qatari-BIBI !!

    Gaby SIOUFI

    12 h 42, le 18 septembre 2018

  • Visionné ou pas tout le monde sait très bien que le lobbying est pratiqué par tous. Le documentaire n'aura rien appris a personne autre que certains noms qui seront vite fait remplacer par d'autres...

    Pierre Hadjigeorgiou

    10 h 14, le 17 septembre 2018

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