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Saad Hariri et Hariri Saad

Le procès Hariri, c’est un peu comme ces classiques du polar à la couverture écornée à force d’être lus et relus, à l’intrigue et à l’épilogue archiconnus, mais qui ne manquent pas de vous faire frissonner à chaque relecture.

Ce sont néanmoins des précisions inédites que vient d’apporter l’accusation, dans le cadre de ces audiences finales du Tribunal spécial pour le Liban entamées il y a quelques jours à La Haye. Certaines donnent effectivement froid dans le dos car elles montrent avec quelle assiduité, quelle froide détermination, quel luxe de préparatifs, quelle implacable préméditation a été préparé le monstrueux attentat à la bombe de 2005, qui a coûté la vie à l’ancien Premier ministre et à une vingtaine d’autres personnes. On apprend ainsi que le sort de Rafic Hariri était déjà scellé dès le moment où il claquait la porte d’un pouvoir totalement contrôlé par la Syrie, soit un peu moins de quatre mois avant l’explosion fatidique : quatre mois durant lesquels ses déplacements ont été patiemment, minutieusement surveillés en permanence, les équipes de pisteurs usant, comme on sait, d’un dense réseau de téléphonie mobile qui a été parfaitement reconstitué par les enquêteurs.

Mais c’est surtout au plan des implications politiques que des points sont, pour la première fois, mis sur les i. Est explicitement défini ainsi le mobile du crime, c’est-à-dire l’inquiétude que suscitait auprès de Damas et de ses alliés la politique de plus en plus nettement souverainiste de Hariri. Et surtout, c’est un niveau supérieur dans la hiérarchie du Hezbollah (dont plusieurs cadres étaient déjà pointés du doigt) qu’atteignent les soupçons de l’accusation quand elle paraît balayer de la main la fiction d’un parti idéologique dont l’aile paramilitaire est qualifiée de terroriste dans le même temps que son aile politique est jugée tout à fait fréquentable ; quand, en rapport avec la traque téléphonique de la cible Hariri, elle cite, sans avoir l’air d’y toucher, un des plus proches conseillers de Hassan Nasrallah.

De fait, étrangement intouchables sont, pour la juridiction internationale, les États, et avec eux les entités politiques telles que les partis. Seuls en effet sont passibles de poursuites les individus, quand bien même ils figureraient tout au haut de la chaîne de commandement. C’est dire que ces derniers n’ont pas trop à s’en faire : surtout quand au gré des décès, morts violentes et prétendus suicides de comparses, ils ont vu disparaître, tels des fusibles sautant opportunément, les maillons faibles qui pouvaient permettre de remonter jusqu’à eux.

Face à une situation aussi complexe, c’est à une pathétique schizophrénie de nécessité, de devoir, que s’estime astreint Saad Hariri. Fils et héritier du leader sunnite assassiné, il ne peut que réclamer vérité et justice en se défendant cependant de tout esprit de vengeance ; et le Premier ministre désigné qu’il est aussi ne cesse de se dire soucieux, avant toute chose, de stabilité : en clair, c’est à l’impunité des coupables qu’il semble se résigner d’office, par crainte de quelque coup de force auquel se livrerait la milice pro-iranienne. Ce singulier dédoublement, Hariri fils l’assumait il y a deux ans, aux portes mêmes du Tribunal spécial. C’est le même choix qu’il faisait déjà en 2010 en s’en allant donner l’accolade, à Damas, à Bachar el-Assad.

Dans un pays devenu ingouvernable et où la loi est bafouée tous les jours, reste toutefois à convaincre les citoyens que la sacro-sainte stabilité vaut bien toutes les compromissions. Que les moutons peuvent dormir tranquilles, même si le loup campe bel et bien dans la bergerie…

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Le procès Hariri, c’est un peu comme ces classiques du polar à la couverture écornée à force d’être lus et relus, à l’intrigue et à l’épilogue archiconnus, mais qui ne manquent pas de vous faire frissonner à chaque relecture.Ce sont néanmoins des précisions inédites que vient d’apporter l’accusation, dans le cadre de ces audiences finales du Tribunal spécial pour le...