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Moyen Orient et Monde - Anniversaire des Accords d'Oslo

Comment l’extrême droite israélienne a gagné la bataille des idées

Dès les premières années suivant les accords d’Oslo, le débat politique israélien se structure entre une gauche anémique, une extrême droite offensive et un « ventre mou » représentant une majorité d’Israéliens favorable au processus de paix, mais très sceptique à l’égard du partenaire palestinien.

5 octobre 1995, sur la place Zion de Jérusalem. Une foule très entraînée scande « Mort à Rabin » et « C’est un traître ». Un portrait du Premier ministre en uniforme SS flotte dans la cohue. Les images d’archives de la deuxième chaîne israélienne sont accablantes. La manifestation se déroule au pied d’un immeuble, dont les allers-retours de la caméra laissent voir au balcon deux barons du Likoud, Ariel Sharon et Benjamin Netanyahu. Ils s’abstiennent de commenter les appels au meurtre de la foule.

Passée l’euphorie de la signature des accords qui ont brièvement mis en sourdine ses contradicteurs, la droite dure et l’extrême droite nationaliste et religieuse se font plus bruyantes, battant le pavé chaque semaine jusqu’au pied de l’immeuble où Yitzhak Rabin habite. Une violence politique sans précédent depuis la fin des années 1940 se banalise au sein de la droite et de l’extrême droite parlementaire, tout comme dans le discours de certaines éminences religieuses. Des rabbins, assimilés au mouvement Kakh de Meïr Kahane ou au Gush Emunim ( « le bloc de la foi » ) qui a initié le mouvement de colonisation après la guerre des Six-Jours, prononcent une sorte de « takfir », le din rodef, une loi juive basée sur une interprétation du Talmud babylonien et qui enjoint à tuer quiconque met en danger la vie d’un autre juif. Les projets d’assassinat se voient donc justifiés religieusement. Ceux qui ont planté le décor sans pour autant appuyer sur la détente seront peu inquiétés au terme du procès de Ygal Amir, l’assassin de Ytzhak Rabin, en mars 1996.


(Lire aussi : Accords d'Oslo : l’histoire d’un rapprochement historique entre deux ennemis)


Scepticisme

L’ardeur déployée par les « faucons » ne rencontre pas de plaidoyer aussi agressif pour la paix. Plus de 10 ans auparavant, l’organisation « La paix maintenant », la plus connue de la nébuleuse pacifiste israélienne, était parvenu à rameuter 400 000 personnes, soit un dixième de la population israélienne de l’époque, pour dénoncer la complicité passive de l’armée israélienne dans les massacres de Sabra et Chatila. La marée humaine qui avait alors submergé les rues de Tel-Aviv avait indirectement pesé sur la démission du ministre de la Défense Ariel Sharon. Ce n’est qu’un exemple du temps où, en Israël, la gauche pacifiste pouvait imposer son agenda au gouvernement et paralyser littéralement un pays. Oslo aurait dû être « son » moment. Entre cette « gauche colombe » et son opposée, la droite et l’extrême droite nationale et religieuse, il existe un « ventre mou » indécis et donc susceptible d’être disputé par les deux pôles. En novembre 1993, l’opinion israélienne se prononce à 74 % pour un retrait partiel des territoires occupés (Golan non compris) moyennant la paix, et à 71 % pour un gel de la construction des colonies. Mais la méfiance à l’endroit du leadership palestinien a eu raison de sa détermination. Moins de 90 jours séparent la première rencontre d’officiels israéliens avec les représentants de l’OLP et la poignée de main entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin. Dans l’esprit des Israéliens, Yasser Arafat, toujours sanglé dans son uniforme paramilitaire, est intimement associé au terrorisme. En novembre 1994, soit un peu plus d’un an après la signature des accords d’Oslo, 65 % d’Israéliens pensent que les Palestiniens détruiraient Israël s’ils en avaient les moyens. Mais le niveau de soutien aux accords se stabilise paradoxalement autour de 50 %.

Une gauche ankylosée

La gauche pacifiste a donc une bataille des esprits à jouer. Mais par son attitude, Yitzhak Rabin va subtilement la mettre hors jeu. Contrairement à ce que son image posthume de « martyr de la paix » a construit, le Premier ministre de l’époque n’est pas un homme de gauche. Il se convertit tardivement à l’idée d’une paix négociée avec l’OLP et n’a jamais approuvé l’idée d’un État palestinien. Il le réaffirme la veille de sa mort dans un entretien accordé à la télévision espagnole, soutenant une « entité » palestinienne qui serait « moins qu’un État ». Son parti en revanche possède une « aile gauche » minoritaire qui, avec le Meretz et une galaxie hétéroclite d’associations et d’ « électrons libres » issue de l’intelligentsia artistique et universitaire, a constamment défendu le compromis territorial. Yitzhak Rabin ne veut pas être associé à des organisations comme La paix maintenant. Il se protège du terme « gauchiste » devenu infamant en Israël avant même les déboires du processus d’Oslo. Ce dernier point explique en partie l’espace politique et médiatique concédé aux « faucons » dans la période post-Oslo. La gauche pacifiste israélienne avait dès avant 1993 perdu son potentiel mobilisateur et se voyait déjà taxée « d’antipatriotique » et « d’irresponsable ».

Prendre par la main ou annoncer la couleur

L’extrême droite profite également du flottement entretenu par le Premier ministre et son entourage sur leurs intentions. Les deux formules favorites de Rabin, pour conjurer les peurs tout en faisant montre d’optimisme, est qu’il faut « donner une chance à la paix », mais que « rien n’est irréversible ». Ron Pundak, l’un des artisans des accords d’Oslo, confiera plus tard au spécialiste français d’Israël, Samy Cohen : « Il n’y avait pas d’objectif final, l’instruction était d’essayer de parvenir à un accord qui laisserait toutes les options ouvertes : il y aurait un État palestinien et peut-être pas, il y aurait un retrait israélien et peut-être pas, il y aurait seulement une autonomie palestinienne et peut-être pas (…) » Yitzhak Rabin veut s’assurer que chaque avancée dans l’application des accords rencontre une contrepartie sécuritaire. Il faut « faire la paix comme si le terrorisme n’existait pas et combattre le terrorisme comme si le processus de paix n’existait pas » : c’est avec ce précepte que le Premier ministre compte prendre la société israélienne par la main. Mais le temps joue contre lui. Le 25 février 1994, Baruch Goldstein, un colon de Kyriat Arba et séide du rabbin Meïr Kahane, abat à l’arme à feu 29 Palestiniens dans le caveau des Patriarches. C’est un des premiers actes majeurs de sabotage du processus de paix. S’ensuit une vague d’attentats qui fauchent 76 Israéliens, parfois en plein cœur des grandes villes de l’État hébreu, entre avril 1994 et novembre 1995. Rabin garde le cap, mais les exigences sécuritaires le contraignent à adopter une approche prudente et graduelle, sans dévoiler clairement le point d’arrivée du processus d’Oslo (le savait-il lui-même ? ). L’horizon des accords, c’est l’extrême droite qui le fixe. Elle multiplie les évocations génocidaires. « N’ont-ils pas dit les Juifs à la mer ? » devient la réponse à toutes les questions que les accords d’Oslo avaient omis de poser.

C’est donc une détermination molle, inhibée par le scepticisme à l’égard de la sincérité des Palestiniens, qui caractérise la majorité de l’opinion israélienne. C’est une constante jusqu’à aujourd’hui, bien qu’elle ait subi des altérations. Un cinéaste amateur israélo-canadien a conduit ces dernières années en Israël et dans les territoires palestiniens une série d’interviews disponibles sur YouTube (The Ask Projet) tournant principalement autour de la perception mutuelle des deux sociétés. À la question posée aux Israéliens « Accepteriez-vous un État palestinien ? » une réponse synthétise bien la combinaison entre le désir de paix et la mentalité d’assiégé : « Oui, mais un État démilitarisé. »


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A CAUSE DU FANATISME A TOUTE ECHELLE QUI Y SEVIT !

LA LIBRE EXPRESSION

08 h 08, le 13 septembre 2018

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  • A CAUSE DU FANATISME A TOUTE ECHELLE QUI Y SEVIT !

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 08, le 13 septembre 2018

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