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La percée des cancres

Les apprentis sorciers, on ne les a vus que trop, au sein d’une faune politique libanaise où la tentation de l’aventure l’emporte trop souvent sur le respect des normes démocratiques.

De guerres de libération se soldant par un surcroît d’occupation en équivoques victoires divines, chèrement payées en termes de pertes humaines et de destructions, le Liban a largement eu son compte de ces hasardeuses entreprises. Mais il n’en a pas fini avec les apprentis tout court, ces personnages peuplant la scène publique, promus législateurs ou ministres, décrochant même les fonctions les plus hautes, alors qu’ils n’ont pas fait leurs classes, qu’ils n’ont pas absorbé (et encore moins digéré) les astreintes et contraintes fixées par la loi fondamentale. Les auraient-ils assimilées d’ailleurs, et là est le plus consternant, qu’ils s’en soucieraient comme d’une guigne.

Innombrables sont ainsi les hérésies constitutionnelles qui ont jalonné ces dernières années. À plus d’une reprise, des amendements constitutionnels sont venus autoriser, à titre unique et exceptionnel (?), des prorogations de mandat présidentiel. On a vu un président de l’Assemblée barrer l’accès à l’hémicycle aux élus, sous prétexte que le gouvernement de l’époque, torpillé par une cascade de démissions, avait perdu sa représentativité nationale : situation hors du commun, certes, mais qui commandait, au contraire, une session permanente du Parlement. La majorité issue des législatives de 2009 a été décrétée fictive, et donc nulle et non avenue, par ceux-là mêmes qui arguent aujourd’hui de leur dernier score électoral pour se tailler la part du lion dans le gouvernement en gestation, leur appétit démesuré prolongeant d’autant une crise vieille déjà de trois mois. Ce sont encore les mêmes – CPL, Amal et Hezbollah – qui ont provoqué une vacance présidentielle de deux ans en boycottant illégalement une Assemblée réunie spécifiquement, exclusivement, en qualité de collège électoral : blocage qui n’a pris fin qu’avec l’arrangement – actuellement vacillant – qui a permis simultanément l’élection de Michel Aoun à la magistrature suprême et le retour au Sérail de Saad Hariri.

Comme si toute cette chienlit institutionnelle n’était pas encore assez, voici maintenant que l’on augmente la pression sur le Premier ministre désigné, cruellement écartelé entre les exigences des uns et des autres. On lui a d’abord lancé entre les pattes celle d’une normalisation rapide avec le régime sanguinaire de Bachar al-Assad, éventualité qu’il ne saurait envisager, du moins dans un avenir prévisible. On s’est rabattu ensuite sur les lenteurs, l’indécision de Saad Hariri, dans le but déclaré de l’acculer soit à se soumettre, soit à se récuser. C’est le ministre sortant de la Justice en personne qui se joignait dernièrement à la cabale, se fendant d’une étude juridique pour professer que passé un délai raisonnable, il incombe au chef de l’État d’user de ses prérogatives, en collaboration avec le Parlement, pour forcer la main au Premier ministre désigné, en l’incitant notamment à faire preuve… d’équité !

Cette fumeuse thèse, s’appuyant selon son auteur sur plus d’un article de la Constitution, était la cerise sur le méchant gâteau. Mais on reste sur sa faim car le savant document reste muet sur le plus important, c’est-à-dire la fin de l’histoire : à savoir ce qui pourrait encore être fait au cas, plus que probable, où la cavalière mise en demeure serait rejetée.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Les apprentis sorciers, on ne les a vus que trop, au sein d’une faune politique libanaise où la tentation de l’aventure l’emporte trop souvent sur le respect des normes démocratiques. De guerres de libération se soldant par un surcroît d’occupation en équivoques victoires divines, chèrement payées en termes de pertes humaines et de destructions, le Liban a largement eu son compte...