Plusieurs localisations de prisons secrètes du Hezbollah à Beyrouth ont été énumérées samedi par un jeune chiite, Ali Walaa Mazloum, dans un post Facebook repris par plusieurs médias en ligne. Fils de Hussein Mazloum, alias hajj Walaa, ancien cadre du Hezbollah mort au combat en Syrie, l’auteur du post – injoignable depuis hier, selon un proche du jeune homme, interrogé par L’OLJ et qui a requis l’anonymat, et qui avait pourtant réussi à le contacter samedi – affirme avoir été détenu et torturé pendant environ un an dans l’une des prisons secrètes du parti chiite dans la banlieue sud.
Il en répertorie cinq en les situant avec précision par rapport aux commerces ou établissements environnants, photos à l’appui : la prison centrale située à Haret Hreik dans un abri souterrain relevant de la Fondation Beydoun pour la vente de chaises, une autre à Bir el-Abed (derrière le siège de la coopérative islamique), une troisième aménagée au septième étage du centre d’interrogatoire situé près du complexe d’al-Qaëm, la prison de Bir el-Abed près du complexe de Sayida Zaynab, et une dernière située près du complexe d’al-Moujtaba, derrière le siège de la télévision al-Manar.
Ces prisons, dit-il, sont « gérées par les deux unités de protection et de sécurité préventive » du parti et servent à accueillir « certains partisans qui ont commis des violations, ou certains Libanais (non partisans) et étrangers ». Ceux-ci sont séquestrés après avoir été « arrêtés ou kidnappés pour différents griefs ». « Dans ces prisons, le prisonnier est complètement interdit de voir la lumière du jour, étant astreint à rester dans une cellule d’isolement de 1,5 mètre de longueur et d’un mètre de largeur. Il lui est interdit de voir la télévision, de s’informer de ce qui se passe à l’extérieur, ni même de disposer de mouchoirs, de crayons ou de papiers », témoigne-t-il, avant de mentionner « les coups et la torture par tous les moyens, physiques et mentaux, subis par les prisonniers ». S’ils ne subissent pas une « privation prolongée d’alimentation », les prisonniers ne sont servis que « d’aliments de très mauvaise qualité et nuisibles à la santé ». Le seul contact autorisé entre les prisonniers et leurs proches se fait par visite d’une demi-heure par mois ou tous les deux mois, à condition que le prisonnier ne s’exprime pas sur les conditions de sa détention, « sous peine d’être torturé et privé de visites pendant quatre mois au moins et de subir une torture en parallèle », ajoute cet homme originaire de Brital (Baalbeck).
« J’ai subi avec ma famille toutes formes d’humiliation (…). J’entends intenter bientôt une action en justice (…), ce post pourrait me ramener en prison (…), mais je n’ai plus rien à perdre », conclut l’ex-partisan qui a voulu révéler « l’autre face du Hezbollah ».
Des sources du Hezbollah citées par la LBC confirment l’arrestation de M. Mazloum « pour son implication dans un trafic de drogue en Syrie ». Ce qui veut dire que le parti chiite a décidé de lever sa couverture sur les activités de son partisan pour des raisons qu’il reste à vérifier.
Mais, par-delà ce cas en soi, ce qu’il rapporte sur les prisons du parti chiite est confirmé par plus d’une personne interrogée par L’Orient-Le Jour. Sur la forme, le chercheur Lokman Slim, chiite indépendant, précise ainsi que « l’existence de ces prisons est une lapalissade pour les Libanais habitués aux méthodes du Hezbollah, notamment sa base populaire. Ce n’est un secret pour personne que les centres religieux constituent une couverture pour les centres de détention, ou les activités militaires du Hezbollah ».
Arrestations d’Européens
Sur le fond, la brève mention que Ali Mazloum fait sur l’arrestation d’étrangers est vérifiée par des informations que L’OLJ a pu obtenir sur deux cas de séquestration d’Européens. Il y a trois mois, un couple d’Allemands, arrêté dans la banlieue sud, aurait passé trois jours dans un centre de détention du Hezbollah, avant d’être livré à la Sûreté générale puis refoulé du territoire pour liens de parenté avec un journaliste basé à Jérusalem, apprend-on de sources diplomatiques accréditées à Beyrouth. Une citoyenne suisse aurait elle aussi été séquestrée pendant 48 heures puis libérée selon le même mécanisme, après avoir pris des photos dans la banlieue sud, rapportent ces mêmes sources. Pour rappel, le représentant du Parti socialiste français auprès de l’Internationale socialiste, Karim Pakzad, avait été appréhendé par des éléments armés du Hezbollah en 2008 pour avoir pris des photos d’une mosquée dans la banlieue sud. Sa détention de quelques heures avait été reconnue par le parti chiite, après la condamnation de l’incident par le Quai d’Orsay.
Réfugiés syriens remis à Damas
Il y a par ailleurs des informations que livre à L’OLJ le journaliste Fidaa Itani, exilé à Londres, jadis proche du Hezbollah, et qui avait eu l’occasion de faire une tournée dans l’un de ses centres.
Il s’attarde sur les cas d’arrestations de réfugiés syriens dans les geôles du Hezbollah, et étaye ce faisant la thèse de Ali Mazloum. « Dans la foulée des attentats terroristes ayant visé la banlieue sud entre 2012 et 2013, des milliers de réfugiés syriens ont été arrêtés dans les prisons du Hezbollah dans la banlieue sud, le plus souvent arbitrairement, subissant des interrogatoires de plusieurs mois, avant d’être livrés soit à l’État libanais, soit au régime syrien », affirme M. Itani, qui pose la question subsidiaire de savoir comment des Syriens ayant fui le régime et censés bénéficier d’une protection onusienne se voient ainsi livrés à leur bourreau en Syrie, depuis le territoire libanais, et sous l’égide du Hezbollah ? Il souligne en outre que des agents de services libanais sont même soupçonnés d’avoir pris l’initiative de livrer au parti chiite certains opposants syriens présents au Liban. Nombreux sont ceux qui sont portés disparus depuis 2011.
Et ceux qui parmi les Syriens ont été libérés et sont restés au Liban opposent un silence complet à toute question sur leur expérience dans les prisons du Hezbollah, constatent de pair MM. Itani et Slim.
Des chiites naturalisés syriens
Fidaa Itani révèle par ailleurs l’existence d’autres centres de détention du parti chiite en dehors de la capitale, précisément à Baalbeck et dans le Hermel (Békaa-Nord), limitrophe de la Syrie. D’autres se situeraient en territoire syrien, là où le Hezbollah a une emprise « totale », comme Qousseir (qui fait face au Hermel) ou Sayida Zeinab (dans le rif de Damas) – une emprise opposable même aux services de renseignements syriens. « Il faut savoir que là où il y a une zone sécurisée du Hezbollah, ou un dépôt d’armes, il y a un centre de détention central ou secondaire, parfois itinérant », précise-t-il. « Aussi bien au Liban qu’en Syrie, les prisons du Hezbollah accueillent des Syriens de l’opposition civile, des islamistes, des membres du Front al-Nosra ou des membres de l’État islamique (ces derniers sont souvent transformés en agents du Hezbollah) » , ajoute le journaliste.
Ces centres de détention ont des finalités militaires, certes, mais sont devenus aussi, en Syrie notamment, « les centres du pouvoir iranien », le support de sa politique expansionniste. Ils constituent un lieu de répression pour les Syriens civils qui refusent de coopérer avec le Hezbollah sur des questions qui sont pour lui d’ordre stratégique, comme la vente de leurs terrains. Fidaa Itani donne l’exemple de propriétaires de terrains situés dans les environs de zones de combats, comme à Zabadani (aux environs de Madaya), où les habitants sunnites ont fini par vendre leurs propriétés foncières à la milice chiite, souvent par la force, après un passage dans l’un de ses centres de détention. Cet exemple se serait reproduit à Baba Amr (Homs). Si le Hezbollah a tenu à acheter les terrains alors qu’il aurait pu les confisquer de facto, c’est qu’il « tient à établir une présence chiite irrévocable sur le long terme », fait remarquer M. Itani.
Cette « purge démographique », selon lui, aboutit progressivement à une recomposition du territoire syrien sur des bases communautaires, qui se confirme rapidement : le Hezbollah aurait déjà offert aux familles de ses « martyrs » des propriétés foncières en Syrie et « des milliers de chiites, libanais ou non, auraient été naturalisés syriens ». « La Syrie qui comptait un maximum de 300 000 chiites avant la guerre en compte désormais près de 800 000 », affirme avec certitude le journaliste.
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16 h 43, le 21 août 2018