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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Kofi Annan et la Syrie : carnet de guerre d’un anti-héros

Début 2012, la Ligue arabe et l’ONU confiaient à l’ex-secrétaire général des Nations unies une « mission impossible » : arbitrer une solution politique pour la crise syrienne.

Kofi Annan reçu par Bachar el-Assad à Damas. Photo archives AFP

Lorsque Kofi Annan annonce depuis Genève, le 2 août 2012, qu’il abdique de son mandat d’envoyé spécial de l’ONU et de la Ligue arabe en Syrie, les hommages usuels ressemblent à un premier éloge funèbre. « Kofi Annan mérite notre profonde admiration pour la façon désintéressée avec laquelle il a mis ses formidables et prestigieuses compétences au service de ses missions difficiles et potentiellement ingrates », réagit Ban Ki-moon. Ce dernier se dit alors « redevable » de son prédécesseur ghanéen au poste de secrétaire général des Nations unies pour avoir engagé une bataille diplomatique qui ne promettait pas beaucoup de lauriers. La secrétaire d’État américaine de l’époque, Hillary Clinton, salue le démissionnaire, qui a « travaillé infatigablement à essayer de construire un consensus » en Syrie.

Kofi Annan, décédé il y a deux jours à l’âge de 80 ans, en avait pourtant vu d’autres, quand six mois plus tôt, il accepte sa « mission impossible ». Il dirigeait le département de maintien de la paix des Nations unies au moment du génocide rwandais en 1994 et du massacre de plusieurs milliers de musulmans à Sebrenica par les forces serbes l’année suivante. Sur ces deux échecs, Annan a bâti le concept de « responsabilité de protéger », ou l’obligation à agir de la communauté internationale pour empêcher génocides, crimes de guerre et nettoyages ethniques. La « responsabilité de protéger » est un des legs majeurs de l’ex-secrétaire général, mais elle souffre dès le départ d’une infirmité : les États sont-ils responsables individuellement, ou est-ce la communauté internationale, et auquel cas, la responsabilité collective dédouane les États de leurs obligations ?

Cette contradiction, qui le poursuivra en Syrie, est visible dès l’intervention de l’OTAN au Kosovo en 1999, où les armées occidentales bombardent les forces serbes pour protéger les Kosovars. Annan est personnellement favorable à l’intervention, mais doit la désavouer publiquement car elle n’a pas reçu l’approbation du Conseil de sécurité de l’ONU, que Moscou neutralise à coup de vetos pro-Serbes.


(Lire aussi : Kofi Annan et l'Afrique: la cicatrice du génocide, les succès d'un diplomate)


Faux-semblants
Alors, quand le conflit syrien lui assigne sa dernière corvée diplomatique, Kofi Annan est plus que lucide sur ses chances de réussite. « En tant qu’émissaire, je ne peux pas vouloir la paix plus que les protagonistes, plus que le Conseil de sécurité ou la communauté internationale », prévient-il. Les six mois qui suivront résumeront tout le drame du fonctionnaire onusien, sa volonté d’essayer quelque chose, son aspect naïf et son échec procurant un faire-valoir au reste du monde qui n’a pas grand-chose d’autre à proposer. Bachar el-Assad, qui le rencontre trois fois au cours de cette période, le traitera effectivement, ainsi que tous les observateurs de l’ONU déployés en Syrie par la suite, comme son idiot utile, gagnant du temps sur l’opposition et ses soutiens en faisant croire qu’il est prêt à négocier.

Le 21 mars 2012, l’émissaire parvient à produire un rare spectacle d’unité au Conseil de sécurité, qui adopte une déclaration approuvant le plan en six points d’Annan. Le succès est modeste : une simple déclaration est beaucoup moins contraignante qu’une résolution et les objectifs (cessez-le-feu, facilitation de l’assistance humanitaire, libération des prisonniers politiques, libéralisation des visas d’entrée pour les journalistes et arrêt de la répression des manifestants) ne sont tributaires d’aucune échéance. Bachar el-Assad accepte le plan qui prévoit également un « processus politique pour répondre aux aspirations légitimes » du peuple syrien. Le président syrien a peu à perdre. Par certains aspects, il est même gagnant : nonobstant le fait que son régime a déjà tué plus de 10 000 personnes, son acceptation du plan peut passer pour de la bonne volonté à entamer le dialogue. Du coup, à Washington et à Paris on hésite : doit-on continuer à approvisionner l’Armée syrienne libre (ASL) en armes et en argent liquide, au risque de contrarier Damas qui se montre sous un jour nouveau ? Rien ne permet de prouver que le plan Annan a eu un impact négatif sur les fournitures occidentales aux rebelles, mais il a pu, à un moment critique, les dissuader de fournir plus que juste assez.

Lorsque le 27 mars, on demande à Kofi Annan si processus politique signifie départ de Bachar el-Assad, l’émissaire répond que « c’est au peuple syrien de choisir ». Il devient alors la risée des réseaux sociaux et de l’opposition, qui lui rétorquent que le peuple syrien n’a pas la capacité de décider pacifiquement du sort de Bachar el-Assad. « Ce mois-ci, rapporte le Washington Post en avril 2012, des manifestants à travers le pays portaient des banderoles appelant au renversement d’Annan, le serviteur de Bachar et de l’Iran ».


(Lire aussi : Kofi Annan, une vie pour les Nations unies)


« Le monde est rempli de fous dans mon genre »
Le plan Annan prévoit le déploiement de 250 observateurs à travers le territoire syrien. En comparaison, ils étaient 2 000 au Kosovo en 1999, sur un territoire environ dix-huit fois plus petit que la République arabe syrienne. Le 18 avril, le ministère syrien des Affaires étrangères propose de nommer des observateurs russes, brésiliens, indiens, chinois et sud-africains. L’issue de l’affaire semble cousue de fils blancs. Le cessez-le-feu entré en vigueur six jours plus tôt est déjà consommé. Trois mois pénibles passent, à l’issue desquels Kofi Annan tente de sortir par le haut. « L’Iran peut avoir un rôle positif », proclame-t-il le 10 juillet, « l’Iran doit faire partie de la solution à la crise syrienne ». L’émissaire s’exprime après une entrevue avec le ministre iranien des Affaires étrangères Ali Akbar Salehi. Depuis l’échec du cessez-le-feu, Kofi Annan fait porter ses espoirs sur l’idée, forgée à Genève le 30 juin, d’un gouvernement transitoire. Téhéran n’avait pas été invité en Suisse. « Inviter l’Iran à discuter de la meilleure transition possible vers une Syrie post-Assad, commente alors l’expert des questions iraniennes Karim Sadjapour pour l’Associated Press, c’est comme inviter des végétariens à un barbecue ».

Le 19 juillet, Moscou et Pékin apposent pour la troisième fois leur veto à une résolution assortissant le plan Annan de mesures contraignantes. Il n’en faut pas plus pour que le Ghanéen, à la patience olympienne, dépose les armes. « J’ai fait de mon mieux », souffle-t-il amer à la conférence de presse qui rend publique sa démission. « Je crois que Ban Ki-moon a dit que quelqu’un vous remplacera », remarque un journaliste assis dans la salle. « Le monde est rempli de fous dans mon genre. Ne soyez pas surpris si quelqu’un décide de prendre ce poste », répond-il, sur un ton espiègle, et avec ce sourire tranquille qui le caractérisait.

Lorsque Kofi Annan annonce depuis Genève, le 2 août 2012, qu’il abdique de son mandat d’envoyé spécial de l’ONU et de la Ligue arabe en Syrie, les hommages usuels ressemblent à un premier éloge funèbre. « Kofi Annan mérite notre profonde admiration pour la façon désintéressée avec laquelle il a mis ses formidables et prestigieuses compétences au service de ses missions...

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