Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Récit

Comment Bahreïn est devenu indépendant

Il y a 47 ans, cet archipel de 750 km² et de 200 000 habitants prend ses distances vis-à-vis du protectorat britannique et du voisin iranien.

Une vue de Manama, la capitale de Bahreïn. Mohammed Al-Shaikh/AFP/Getty Images

Le royaume de Bahreïn n’a ni la richesse ni la puissance de ses frères du Golfe. Monarchie majoritairement chiite dominée par une famille royale sunnite, la stabilité de Bahreïn semble aujourd’hui dépendante du bon vouloir de ses voisins iranien et surtout saoudien. L’instabilité chronique de Bahreïn peut notamment être comprise par le contexte général dans lequel il a obtenu son indépendance. Retour 47 ans en arrière, jour pour jour.
Le samedi 14 août 1971, Bahreïn déclare son indépendance. Le lendemain, les traités de protection qui unissaient cet archipel au Royaume-Uni depuis 1820 sont annulés, et un traité d’amitié est signé entre les deux pays. L’édition de L’Orient-Le Jour du 16 août 1971 note qu’un « traité d’amitié a été signé dimanche (15 août 1971) au palais du gouvernement de l’émirat par cheikh Issa ben Salmane al-Khalifa, gouverneur, et sir Geoffrey Arthur, résident politique britannique dans le Golfe ».

Ce chapitre dans l’histoire millénaire de l’archipel commence trois ans et demi plus tôt, le 16 janvier 1968. Le Premier ministre britannique, le travailliste Harold Wilson, déclare alors à la Chambre des communes que le Royaume-Uni allait retirer toutes ses forces militaires du « golfe Arabo-Persique » d’ici à la fin de 1971. Au mois de mars cette année-là, le pouvoir a changé de mains au Royaume-Uni, et le gouvernement conservateur d'Edward Heath réitère la volonté de son pays de se retirer du golfe Arabo-Persique « en cours d’année ».
Les raisons de ce retrait font l’objet d’un débat entre les experts de cette époque. L’argument le plus populaire est que le retrait a été forcé par les difficultés qui ont caractérisé l’économie britannique d’après-guerre et qui ont culminé avec la dévaluation de la livre sterling en 1967. Une autre histoire attribue cette décision à la volonté des deux gouvernements successifs de MM. Wilson et Heath de satisfaire une opinion publique de plus en plus opposée aux engagements à l’étranger.
On peut aujourd’hui dire que la décision du retrait du golfe Arabo-Persique était un moyen pour le gouvernement travailliste de justifier les coupes obligées dans les aides sociales et que le gouvernement conservateur n’a pas pu par la suite annuler cette décision pour une question de crédibilité diplomatique. Ce retrait a permis le début de l’émergence de trois États indépendants et souverains dans la région : les Émirats arabes unis, le Qatar et Bahreïn.


(Pour mémoire : Bahreïn : le plus haut dignitaire chiite à Londres pour traitement médical)


Trois scénarios possibles
Le désengagement britannique ouvre la voie à une reconfiguration régionale. Selon la description retenue par l’ONU en 1971, Bahreïn est un archipel d’un peu plus de 750 km², « qui se compose de plus de trente îles dont certaines ne sont que des bancs de sable, situées au milieu du golfe Arabo-Persique, à quelque vingt-quatre kilomètres du point le plus proche d’Arabie saoudite, vingt-huit kilomètres environ de la pointe de la péninsule du Qatar et approximativement 240 kilomètres de la côte iranienne », avec un peu moins de 200 000 habitants.
L’Iran considère cet archipel qui a une large population chiite (au moins la moitié à l’époque) comme un territoire iranien pour des raisons historiques. Dans son ouvrage intitulé Sunnites et chiites : histoire politique d’une discorde (2017), Laurence Louër rappelle que « l’ancien Bahreïn s’est trouvé directement situé sur la frontière entre l’Empire ottoman et l’Empire safavide : au milieu du XVIe siècle, ce qui est aujourd’hui la province orientale d’Arabie saoudite est passé sous contrôle ottoman tandis qu’en 1602, l’archipel de Bahreïn a été intégré à l’Empire safavide ». En 1782, profitant des guerres intestines iraniennes, la tribu sunnite des al-Khalifa (toujours au pouvoir aujourd’hui) s’empare de l’archipel, avant de signer en 1820 le premier accord de protection avec les Britanniques, qui cherchaient de leur côté à se renforcer sur la route des Indes.
De l’avis de la mission iranienne à l’ONU en 1970, « Bahreïn fait partie de l’Iran, et c’est seulement la protection que la Grande-Bretagne a exercée pendant plus d’un siècle sur ces îles qui a empêché l’Iran d’exercer ses droits légitimes ». De son côté, l’Arabie saoudite, royaume sunnite et gros producteur mondial de pétrole, est liée par un oléoduc avec Bahreïn, qui a l’une des plus intenses activités de raffinage de la région. Le grand frère saoudien se voit comme un leader des mondes arabe et musulman et souhaite donc que Bahreïn reste arabe et sunnite pour préserver et renforcer les liens étroits qui unissent les deux pays.


(Pour mémoire : Bahreïn : accusé « d’intelligence » avec le Qatar, le chef de l’opposition chiite acquitté)


Trois scénarios se dessinent pour le futur de l’archipel. Le premier, souhaité par l’Iran, est l’incorporation de Bahreïn à l’État iranien en tant que quatorzième province. Le deuxième, préféré par le Royaume-Uni, est l’indépendance de Bahreïn vis-à-vis de l’Iran et son incorporation dans la formation d’une union des émirats de la région, avec le Qatar et les sept émirats de la « côte de la Trêve », connue précédemment sous le nom de « côte des Pirates », par les Britanniques, en raison de l’insécurité à laquelle faisaient face leurs navires commerçants, avant les traités de protection « imposés » par Londres. Cette union a par la suite vu le jour, mais sans Bahreïn ni le Qatar, et elle est connue aujourd’hui sous le nom d’Émirats arabe unis. Le troisième scénario consiste à ce que Bahreïn devienne un État indépendant. Ce troisième scénario, qui n’est soutenu ni par le Royaume-Uni ni par l’Iran, les deux puissances étrangères explicitement et fortement intéressées par l’avenir de l’archipel, paraît le plus improbable. C’est pourtant celui qui va être privilégié en raison notamment de la volonté de Téhéran de ne pas ternir ses relations avec les pays arabes et occidentaux. Les faibles réserves de pétrole du pays et son intérêt limité en matière stratégiques finissent de convaincre le chah de lâcher du lest. Celui-ci ne peut toutefois pas donner l’impression de renoncer à ce « territoire iranien ». Le peuple iranien n’a pas oublié la destitution forcée en 1953 du très populaire Premier ministre Mohammad Mossadegh, que le chah a imposée en complicité ou en accord avec les Anglo-Américains. L’abandon des îles de Bahreïn risquerait de faire perdre davantage de légitimité à la monarchie.
Une solution intermédiaire est trouvée. À la demande de l’Iran et avec l’agrément du Royaume-Uni, le secrétaire général de l’ONU, U Thant, accepte d’exercer ses « bons offices pour s’assurer des vœux de la population de Bahreïn en ce qui concerne son statut ». Plutôt qu’un référendum, la mission de l’ONU est chargée de faire des consultations.

État indépendant, souverain et libre
La mission onusienne ne fait pas l’unanimité. L’édition de L’Orient du 1er avril 1970 rapporte que le journal al-Baas, l’organe officiel du parti au pouvoir en Syrie, qualifie la décision du secrétaire général de « nouveau pas dans la mise en œuvre de la conspiration tramée par la Grande-Bretagne et l’Iran contre l’arabisme du golfe Arabo-Persique ». Deux jours plus tard, le quotidien Le Jour du vendredi 3 avril 1970 écrit que des organisations et mouvements populaires koweïtiens mettent en garde les peuples du Golfe contre les « visées expansionnistes iraniennes dans le golfe Arabo-Persique en général et Bahreïn en particulier ». Ils dénoncent la mission visant à déterminer le sort de Bahreïn parce qu’elle constitue en soi la reconnaissance du « prétendu droit iranien sur la région. »
De retour de mission, l’émissaire de l’ONU, Vittorio Winspeare Guicciardi, remet son rapport au secrétaire général le 30 avril 1970. Le Conseil de sécurité se réunit onze jours plus tard à la demande des Iraniens et des Britanniques. La résolution 278 (1970) est alors adoptée à l’unanimité : « Le Conseil de sécurité fait sien le rapport du représentant personnel du secrétaire général. » Il accueille avec « satisfaction » et détermination les conclusions de ce rapport, en particulier celle selon laquelle « la majorité écrasante de la population de Bahreïn souhaite faire reconnaître son identité d’État pleinement indépendant et souverain, libre de décider lui-même de ses relations avec les autres États ».
L’Iran, qui avait prévenu qu’il respecterait les résultats de la consultation, le fait avec résignation. « Le gouvernement iranien aurait été heureux de voir Bahreïn se joindre à l’Iran, mais il ne souhaitait qu’une réunion volontaire, et non une réunion par la force qui n’aurait pu que susciter ressentiment et résistance », dit le représentant de l’Iran à l’ONU, M. Mehdi Vakil. Il exprime dans le même temps le vœu que les droits de l’homme fondamentaux des personnes d’origine iranienne résidant à Bahreïn soient pleinement respectés, sur un pied d’égalité avec ceux des autres habitants.
Le 13 mai 1970, le roi Fayçal d’Arabie saoudite adresse un message au chah d’Iran pour lui exprimer ses « sincères remerciements » et « (sa) profonde estime ».
Un an plus tard, Bahreïn décide de choisir la date du 16 décembre comme jour officiel de la célébration d’indépendance, en raison de l’accession au pouvoir de l’émir Issa ben Salmane al-Khalifa à cette même date en 1961.
Les premières élections législatives ont lieu en 1973, avec un vote au suffrage universel masculin. L’Assemblée qui est élue est composée de quarante membres, mais est dissoute par l’émir Issa ben Salman al-Khalifa après avoir voté contre une loi controversée sur la sécurité de l’État en 1975. L’émir a interdit à l’Assemblée de se réunir jusqu’à sa mort en 1999. Son fils, l’émir Hamad ben Issa al-Khalifa, lui succède, et sous son impulsion, Bahreïn change de Constitution et devient officiellement une monarchie constitutionnelle en 2002. L’émir prend le titre de roi. Sous la nouvelle Constitution, le Parlement bahreïni a deux Assemblées de quarante membres, l’une élue et l’autre nommée entièrement par le roi. Le pouvoir législatif est partagé entre le Parlement et le roi.
Pour beaucoup d’observateurs de la région, Bahreïn est considéré comme le maillon faible traditionnel des monarchies du Golfe. Les personnes de confession chiite sont aujourd’hui estimées à environ 70 % de la population. La famille régnante est de confession sunnite, et la religion est souvent instrumentalisée pour dénoncer le pouvoir presque absolu du roi et de la monarchie. En 2011, durant le « printemps arabe », l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unies ont envoyé des militaires et des policiers à la demande du roi de Bahreïn et dans le cadre d’un accord entre les pays du Conseil de coopération du Golfe, et ce pour mater les manifestants qui protestaient contre la monarchie en place, laquelle perçoit pour sa part la révolution islamique iranienne comme une menace parce que susceptible d’attirer sa population chiite. Bahreïn, ce maillon faible, cristallise les tensions sociales, politiques et historiques des pays du golfe Arabo-Persique. « Un adage y affirme même, par dérision, que cet archipel connaît une intifada tous les dix ans », rappelle Laurence Louër.

Bibliographie

Britain’s Decision to Withdraw from the Persian Gulf, 1964–68: A Pattern and a Puzzle, Shohei Sato, Journal of Imperial and Commonwealth History vol. 37, n° 1, mars 2009, pp. 99 –117
Le Bahreïn, maillon faible du Golfe, Laurence Louër, Sciences Po. CERI CNRS, 2011
 Le jeu des six familles, Olivier Da Lage et Gérard Grzybek, Autrement ciel ouvert, 1985
Muhammad Reza Pahlavi and the Bahrain Question, Roham Alvandi, British Journal of Middle Eastern Studies vol. 37, n° 2, 2010, pp. 159-177
Sunnites et chiites – Histoire politique d’une discorde, Laurence Louër, Seuil, 2017
Une production pétrolière modeste compensée par une intense activité de raffinage, Jean Chapelle, Le Monde diplomatique, mai 1973


Pour mémoire

Le militant de Bahreïn Nabil Rajab fait citoyen d’honneur de Paris

Dans une déclaration historique, Bahreïn soutient « le droit d’Israël à se défendre »

Bahreïn : Vingt-quatre chiites déchus de leur nationalité

Le royaume de Bahreïn n’a ni la richesse ni la puissance de ses frères du Golfe. Monarchie majoritairement chiite dominée par une famille royale sunnite, la stabilité de Bahreïn semble aujourd’hui dépendante du bon vouloir de ses voisins iranien et surtout saoudien. L’instabilité chronique de Bahreïn peut notamment être comprise par le contexte général dans lequel il a obtenu son...

commentaires (3)

L'ancien royaume de Bahrein comportait, outre la petite ile actuelle, le Qatar et une bonne partie de ce qui est maintenant la région Est de l'Arabie Saoudite: Qatif, Al Ahsa etc...Il aurait été bon de le rappeler.

Georges MELKI

09 h 55, le 17 août 2018

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • L'ancien royaume de Bahrein comportait, outre la petite ile actuelle, le Qatar et une bonne partie de ce qui est maintenant la région Est de l'Arabie Saoudite: Qatif, Al Ahsa etc...Il aurait été bon de le rappeler.

    Georges MELKI

    09 h 55, le 17 août 2018

  • le royaume opprime ses citoyens chiites, il a fait appel à l'armée saudi, pour écraser les manifestants, il y a eut des menaces , des tortures et des licenciements de chiites dans l'indifférence des pays "défenseurs de droits de l'homme"

    Talaat Dominique

    23 h 04, le 14 août 2018

  • AUJOURD,HUI BAHREIN CET ETAT ARABE EXISTE ET EST MENACE PAR LES VISEES IRANIENNES !

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 13, le 14 août 2018

Retour en haut