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L’horreur au compte-gouttes

Rassuré quant à sa survie et apparemment peu soucieux d’éventuelles condamnations internationales, le régime de Damas s’est récemment hasardé à lever un minuscule coin de voile sur les sinistres performances de ses centres de détention : véritables usines de torture et de mort où, depuis le début de la rébellion syrienne, ont péri, dans d’horribles conditions, près d’une centaine de milliers de contestataires, selon les estimations d’Amnesty International.


Oh ! rien de fracassant dans ces tardives révélations officielles, puisque – généreuse innovation – les autorités se bornent à délivrer aux familles concernées les actes de décès de leurs êtres chers dont elles étaient sans aucune nouvelle depuis des années, leur permettant ainsi de faire leur deuil. Silence, évidemment, sur la cause de ces décès, la seule explication consignée étant généralement arrêt du cœur : obscène euphémisme qui, techniquement parlant, n’est même pas un mensonge, du moment que les tourments physiques et moraux, une fois portés à l’extrême, finissent toujours par avoir raison de ce muscle vital.


On retiendra encore que, selon les témoignages d’anciens geôliers qui ont déserté, toutes ces morts programmées faisaient l’objet d’une tatillonne comptabilité, assortie de photographies des cadavres. Dans ces prisons, on n’allait peut-être pas jusqu’à délester les agonisants de leurs dents en or ; mais on avait trouvé mieux en rançonnant les familles, leur vendant au prix fort des informations (le plus souvent mensongères, de surcroît) sur l’état de santé des disparus…


C’est pourtant ce même et sanguinaire régime porté à bout de bras par la Russie et l’Iran qui, après sept ans d’une guerre civile se soldant, à ce jour, par près de 400 000 morts, prétend récupérer sa place dans le concert des nations. Pour cela, il mise, bien sûr, sur le devoir de réalisme, de pragmatisme (jolis mots remplaçant avantageusement celui de cynisme) qui porte les États à s’accommoder même des pires turpitudes, pourvu seulement que leurs propres intérêts y trouvent leur compte.


Il n’empêche que ces États – et plus particulièrement ceux d’entre eux professant la démocratie – n’échapperont pas à l’embarras face à leurs opinions publiques. Quel pragmatisme pourrait justifier en effet l’absolution de crimes de guerre englobant le bombardement et le gazage de populations civiles et donc relevant de la justice internationale ? Quelle excuse serait alors celle d’une Europe qui se verrait reprocher d’avoir occulté, toutes proportions gardées, le lancinant traumatisme des camps de concentration nazis ? D’une Amérique qui a libéré le Vieux Continent, qui a mis sur place le tribunal de Nuremberg et qui n’hésite pas à sanctionner la Turquie, son alliée au sein de l’OTAN, pour obtenir la remise en liberté d’un de ses ressortissants, un seul, un pasteur accusé d’espionnage et de terrorisme? D’une Russie qui repêche Bachar al-Assad certes, mais où la seule évocation du Goulag de l’ère soviétique continue de donner des frissons à la population ?


De tous les pays confrontés au dilemme syrien, c’est le nôtre cependant qui occupe la position la plus délicate, et pas seulement en raison de la présence sur son sol de plus d’un million de réfugiés ; pas seulement non plus parce que des centaines de Libanais emmenés en captivité comptent parmi les malheureux fantômes qui ont peuplé les prisons syriennes. En fait, c’est tout un concentré de violence brute qui marque les rapports syro-libanais des dernières décennies. Or c’est avec l’auteur même de ces violences – un auteur qui n’a en rien renié, bien au contraire, ses basses œuvres – que des forces politiques locales exigent déjà, haut et clair, une normalisation en règle ; leurs représentants au sein du gouvernement sortant reprennent ainsi, de leur propre chef, leurs pèlerinages à Damas.


Simple détail, en définitive, que l’interminable querelle sur la composition de la nouvelle équipe ; détail, de même, que les trésors de sémantique qui présideront à la rédaction du programme gouvernemental. C’est sur la normalisation avec l’anormalité la plus criante que menace de porter le débat. Le décisif, le vrai.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Rassuré quant à sa survie et apparemment peu soucieux d’éventuelles condamnations internationales, le régime de Damas s’est récemment hasardé à lever un minuscule coin de voile sur les sinistres performances de ses centres de détention : véritables usines de torture et de mort où, depuis le début de la rébellion syrienne, ont péri, dans d’horribles conditions, près...