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La Consolidation de la paix au Liban - Août 2018

Sortir de l'ombre : migrants et réfugiés au Liban

J’ai d’abord connu Omar durant l’été 2016. Il avait 9 ans. C’était un garçon à la voix basse, aux yeux rêveurs mais au regard insistant. À l’époque, Omar avait déjà travaillé tout une année dans le restaurant d’un complexe vacancier de la Békaa. Son travail était assez simple : livrer la nourriture aux clients du restaurant. Cependant, pour un garçon de sa taille et doté d’une constitution plutôt frêle, c'était un travail exigeant. Le week-end étant particulièrement chargé, au bout de quelques mois, Omar fut invité à travailler le dimanche, son seul jour de congé. Omar sentit qu'il n'avait d'autre choix que d'accepter, et peu après, il se retrouva en train de travailler 8 heures par jour, 7 jours par semaine. Quand il put enfin trouver le courage de demander une augmentation, on lui répondit sur un ton menaçant : « Tu devrais dire merci d'avoir un travail ! ».

© Illustration Hassan Youssef

La famille de Omar avait fui la ville d'Alep en pleine guerre, en 2014. Elle avait trouvé refuge dans une petite tente louée dans l'un des camps de réfugiés de la Békaa. Son père Walid, menuisier de profession, se démena pour trouver du travail. Au bout de quelques mois de séjour, ses économies fondirent et la famille dut affronter un avenir incertain. Omar ne rêvait que de retourner à l'école et de retrouver les jouets qu'il avait abandonnés en quittant Alep. De son côté, son père répétait que la vie lui avait appris une précieuse leçon. « Les rêves, ce n’est pas pour des gens comme moi. J'espère seulement que mes enfants auront une vie meilleure que la mienne ».

Des millions de migrants et de réfugiés qui considèrent ce petit pays comme leur foyer provisoire vivent dans un état de grande vulnérabilité. Leur séjour au Liban n’est qu’une période d’attente indéfinie. Faute d’avoir su mettre en œuvre, tout au long des décennies passées, une politique énergique qui se serait attaquée aux causes profondes de la pauvreté et des inégalités dans la société, une sous-classe de migrants facilement exploitables s’est créée et s’est maintenue sur place. Privés de nombreux droits fondamentaux, ces migrants sont essentiels pour maintenir un certain statu quo, car facilement utilisables et remplaçables. En fait, la gouvernance du laisser-faire, typique de la politique libanaise, remonte à bien avant l'afflux récent de réfugiés venus de la Syrie voisine. L'une des premières manifestations de ce modèle politique est illustré par le refus persistant de l'État libanais de réglementer, par le biais d’une législation déterminée, le secteur du travail domestique, où depuis des décennies sévissent les abus.

Plus récemment, du fait principalement d’un défaut de statut légal ou de papiers d’identification, un phénomène en hausse dû aux restrictions croissantes sur les conditions de résidence des différentes catégories d'étrangers au Liban, on constate une augmentation des cas d'exploitation des travailleurs et de conditions de travail indécentes. C'est aussi l'une des principales raisons de l'augmentation du travail des enfants, ces derniers étant moins susceptibles d'être arrêtés pour vérification de papiers. Et certes, si ce type d'exploitation cible principalement les migrants et les réfugiés, il a également facilité les conditions d’exploitation des travailleurs libanais. Le dumping sur les salaires et les conditions de travail indécentes a contribué à dégrader les conditions de travail aussi bien pour les travailleurs libanais que pour les étrangers.

Dans l’histoire contemporaine du Liban, de grandes vagues d'émigration se sont produites ; mais en dépit des précieuses leçons infligées par l’expérience aux émigrés libanais, l'idée de la responsabilité de l'État à protéger les siens n’a pas encore germé. Au contraire, l'émigration est toujours perçue comme la solution naturelle à de nombreux problèmes auxquels le pays est aujourd’hui confronté.

L’opinion publique au Liban redoute la moindre tentative de remédier aux griefs des migrants et des réfugiés, par des politiques justes et humaines. C’est en grande partie le résultat de tactiques alarmistes que des politiciens mettent en œuvre pour faire des migrants des boucs émissaires, leur reprocher leurs propres échecs et les blâmer pour les problèmes structurels plus profonds du pays.

Mais contrairement à la croyance populaire, ce n'est pas là un jeu à somme nulle. Certes, des pressions énormes s’exercent aujourd’hui sur le Liban, mais protéger les migrants et les réfugiés ne devrait pas être compté au nombre de ces pressions. Au contraire, tout le monde pourrait tirer bénéfice d’une sortie de l’ombre des migrants et réfugiés, vers des conditions de vie et de travail décentes. Quand des migrants et des réfugiés sont bien intégrés socialement, quand tous les enfants peuvent avoir accès à l'éducation, quand les soins de santé ne sont plus un rêve, quand les papiers ne sont plus un obstacle au travail et que tout le monde pourra travailler dans la sécurité et la dignité, une société plus pacifique, tolérante et juste aura été édifiée. Alors, et alors seulement, l’on pourra commencer à s’attaquer aux causes sous-jacentes de l'inégalité. Et alors, même si les migrants et les réfugiés ne sont là que provisoirement, leur séjour n'aura plus consisté en un séjour d'attente indéfinie.


* Association Insan


Les articles, enquêtes, entrevues et autres, rapportés dans ce supplément n’expriment pas nécessairement l’avis du Programme des Nations Unies pour le développement, ni celui de L'Orient-Le Jour, et ne reflètent pas le point de vue du Pnud ou de L'Orient-Le Jour. Les auteurs des articles assument seuls la responsabilité de la teneur de leur contribution.



La famille de Omar avait fui la ville d'Alep en pleine guerre, en 2014. Elle avait trouvé refuge dans une petite tente louée dans l'un des camps de réfugiés de la Békaa. Son père Walid, menuisier de profession, se démena pour trouver du travail. Au bout de quelques mois de séjour, ses économies fondirent et la famille dut affronter un avenir incertain. Omar ne rêvait que de retourner à...

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