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La Consolidation de la paix au Liban - Août 2018

La citoyenneté est la voie d’accès à la paix civile et à la stabilité sécuritaire et sociale

La citoyenneté est la réunion des droits et des obligations dans un État de droit. Établi entre l’État et le citoyen, le contrat social qui protège la citoyenneté repose sur deux piliers fondamentaux : Le premier se rapporte à l’engagement de l’État à assurer l’ensemble des droits de la population et le deuxième est de s’assurer que les citoyens accomplissent parfaitement leurs devoirs.

La participation politique fait partie des devoirs fondamentaux liés à la citoyenneté puisqu’elle permet de contribuer à la détermination des choix stratégiques, de demander des comptes à ceux qui bafouent les droits de l’homme et de les sanctionner. Elle ne suppose pas que les citoyens doivent être d’accord sur toutes les questions ou les défis auxquels ils sont confrontés ainsi que sur les moyens de les régler, puisque les intérêts contradictoires des uns et des autres déterminent leur positionnement qui sont eux aussi, par moments, antinomiques.

Le défi principal réside cependant dans la gestion pacifique de la diversité et de la différence, aussi importantes soient-elles, sans que cela n’affecte la stabilité et la paix civile. Il réside aussi dans la transformation de la diversité en autant de motivations pour aller à la recherche de solutions répondant aux intérêts des différentes parties.

© Illustration Mona Abi Wardé

Le dialogue sociétal(1) fait partie des moyens fondamentaux pour échanger des vues et des idées, exprimer des opinions et écouter celles des autres. Il est cependant soumis à des règles et des constantes auxquelles il faudrait se conformer si les intentions sont bonnes et si la volonté de progresser représente un objectif commun à tous.

La démocratie reste la base principale du dialogue sociétal. Elle repose sur la reconnaissance et le respect de l’opinion des autres et aide à trouver des solutions médianes. Parmi l’ensemble des institutions de l’État, c’est le Parlement qui a un rôle à assumer au niveau de ce dialogue et qui lui donne une dimension légale et institutionnelle, dans la mesure où la Chambre est l’une des trois institutions qui représentent les piliers fondamentaux de la structure de l’État.

Le Parlement a pour fonction de représenter les différentes parties de la société, quelle que soit leur composition et dans toute leur diversité. Il représente l’autorité législative, surveille l’Exécutif, approuve le Budget de l’État qui reflète la vision nationale, les politiques et les programmes de travail du gouvernement et élit un président de la République chaque six ans.

Si la représentation parlementaire de l’ensemble des composantes de la société est réelle et si les députés sont attachés aux intérêts des parties qu’ils représentent, le dialogue se déroulera donc au sein des institutions, d’une manière saine favorisant des solutions qui préservent les intérêts de tous. Si cette représentation est en revanche faible, la capacité du Parlement à gérer le dialogue s’affaiblit puisqu’il perdra la confiance de la population. Les gens n’auront plus confiance dans le pouvoir qui perdra sa capacité de protéger leurs intérêts par les lois qu’il sera facile d’outrepasser, ce qui menacera la stabilité et la paix civile.

Le Liban a traversé depuis 2005 de nombreuses épreuves qui ont failli faire voler en éclats la paix civile, à cause du non-respect des lois et des institutions, lequel s’est manifesté, entre autres, par une non-reconnaissance des résultats des élections législatives, ce qui a bloqué le dialogue au sein des institutions.

Les législatives sont organisées régulièrement chaque quatre ans, pour élire des députés qui assumeront durant cette période les responsabilités liées à l’autorité législative. Ils dirigent un dialogue national au nom des parties qu’ils représentent. Quant à la périodicité du scrutin, elle sert à confirmer que la durée de la députation est fixée à quatre ans seulement, conformément à la loi. Les élections représentent ainsi un moyen de demander des comptes aux députés et porter un jugement sur leur action, soit en les réélisant, soit en élisant d’autres.

La démocratie des élections est évaluée suivant des critères internationaux qui sont le fruit de longues expériences, dont : la justice de la représentation, la liberté de choix, l’intégrité du scrutin de manière à ne pas influencer le choix des électeurs et l’indépendance de la partie qui organise le scrutin.

Et c’est compte-tenu de ce qui précède, que nous relevons par la suite les points les plus importants qui ont eu à notre avis un impact sur la démocratie des dernières élections au Liban.

La neutralité des organisateurs d’une consultation populaire est obtenue par le recours à une autorité indépendante qui commence sa mission à partir du moment où les registres d’électeurs sont établies et qui la termine avec l’annonce des résultats du scrutin et des jugements rendus au sujet des recours en invalidation présentés, ou encore par la mise en place d’un gouvernement neutre qui ne soit pas composé de ministres candidats.

Aux dernières législatives, le ministre de l’Intérieur était lui-même candidat – alors qu’il était supposé les organiser – en même temps que quinze autres ministres, dont notamment le chef du gouvernement. Ils ont tous mené leurs campagnes électorales, pendant qu’ils exerçaient normalement leurs fonctions ministérielles. La loi électorale contraint pourtant les présidents des municipalités (désireux de s’engager dans la bataille électorale) à présenter leur démission trois mois avant la fin du mandat de la Chambre en place. Les fonctionnaires de première et de deuxième catégorie (à l’exception des professeurs d’universités) sont pour leur part tenus de démissionner six mois à l’avance, et les magistrats, quels que soient leurs postes, deux ans à l’avance pour éviter les conflits d’intérêts.

La loi 44/2017 sur base de laquelle les élections parlementaires ont eu lieu le 6 mai dernier prévoit la proportionnelle, ce qui est théoriquement le meilleur mode de scrutin permettant de réaliser une justice de la représentation en donnant à tous l’occasion de prendre part à la consultation populaire, chacun en fonction de son poids politique, sans écarter qui que ce soit.

Mais comment l’effet de la proportionnelle a-t-il été neutralisé dans la loi ?

En vertu de la nouvelle loi électorale, le Liban a été divisé en 15 circonscriptions considérées comme étant « grandes ». Les critères pour la détermination de ces circonscriptions étaient cependant variables : tantôt, c’est le mohafazat qui a été adopté (les deux circonscriptions de Baalbeck-Hermel et du Akkar), tantôt c’est le caza (Zahlé, le Metn-Nord et Baabda), et tantôt des cazas ont été regroupés pour constituer une même circonscription (4 cazas dans la circonscription Liban-Nord 4 et deux cazas dans la majorité des circonscriptions).

Les critères retenus pour diviser les grandes circonscriptions en d’autres, plus petites, étaient également variables(2).

Cette subdivision se justifie par le fait que la loi a imposé le vote préférentiel au niveau de la petite circonscription, ce qui explique les manœuvres pour un découpage électoral variable. De petites circonscriptions ont été adjointes aux grandes pour relever le coefficient électoral, sans affecter le vote préférentiel, et empêcher ainsi des listes adverses de percer.

Ce phénomène a contraint les forces politiques à procéder à des alliances contre-nature et a transposé la compétition, à cause des voix préférentielles, au sein d’une même liste, voire d’un même parti, ce qui a perturbé les électeurs et compliqué leur choix. En raison de ce à quoi ils ont assisté lors de l’établissement des listes de candidats et de ce qu’ils ont entendu lors des campagnes électorales, les citoyens se sont abstenus de participer aux élections, alors que la proportionnelle était, au contraire, supposée les encourager à le faire.

Le coefficient électoral ou le seuil d’éligibilité fixé par la loi, c’est-à-dire le nombre de voix minimum qui permet à une liste d’obtenir un nombre de sièges déterminé, était également variable(3). Cette différence au niveau du seuil d’éligibilité établit une distinction entre les candidats et affecte la représentation des citoyens, surtout que le coefficient de 20 % (au Liban sud 3) est considéré comme étant très élevé – ce serait même la proportion la plus élevée au monde – et se pose ainsi en obstacle devant tout changement.

La justice au niveau de la représentation, que la loi était supposée assurer, fait défaut sur deux axes : la répartition déséquilibrée du nombre des électeurs au sein des circonscriptions(4), ce qui a provoqué un déséquilibre au niveau du poids représentatif d’un même siège. Au Liban-Sud 1, ce poids correspondait à 24,000 électeurs contre 42,000 au Mont-Liban 3, pour le même siège.

La représentation communautaire a compliqué davantage la formation des listes et la répartition des voix préférentielles. L’absence de toute référence au quota féminin dans la loi s’est répercutée sur la participation des femmes(5).

Le chiffre des dépenses électorales dans certaines circonscriptions a atteint 1,700,000 dollars par candidat(6), ce qui a porté à près de 650 millions de dollars la totalité des dépenses électorales dans toutes les circonscriptions et pour tous les candidats, selon le rapport de « Lebanese Transparency Association (LTA)». Des tarifs élevés pour la couverture médiatique et les publicités électorales ont été fixés ce qui a favorisé les grands financiers, sans compter que l’alinéa 2 de l’article 62 de la loi électorale exclut, pour ce qui est des dépenses électorales, les donations que les candidats et les partis avaient l’habitude de débloquer au cours des trois années qui ont précédé le scrutin, ce qui renforce les pots-de-vin politiques et fait des Libanais des ressortissants d’un État qui ne respecte pas les droits de ses citoyens. Des cas d’achat de places au sein de listes par de grands financiers ont été répertoriés, ce qui a également affecté la justice de la représentation (7).

Le discours électoral n’était pas non plus conforme aux critères les plus élémentaires définis par la loi. Il a été marqué par la diffamation, la provocation confessionnelle et communautaire, l’incitation à la haine et l’intimidation. La responsabilité de ces écarts est assumée par les candidats qui ont ainsi enfreint aussi bien la loi électorale que le Code pénal, ainsi que par les médias qui ne se sont pas abstenus de répercuter ce discours, conformément à la loi sur les imprimés. La période de silence électoral n’a pas été non plus respectée. Les candidats et leurs équipes électorales respectives étaient supposés suspendre la campagne et la publicité électorales à partir de 0 heures, la veille du scrutin et jusqu’à la fin de la consultation populaire. Le jour des élections, le rôle des médias se limite à la couverture du processus électoral (article 78).

Plus encore, le non-respect de l’heure de fermeture des bureaux de vote, fixée à 19h (article 87), est une violation flagrante de la loi, même s’il a été justifié par l’article 97 qui autorise les électeurs présents dans l’enceinte d’un bureau de vote à déposer leurs voix dans les urnes, passée cette heure, à condition de le consigner dans le procès-verbal établi par le chef du bureau. Le ministre de l’Intérieur a interprété l’enceinte du bureau de vote au sens large du terme en y incluant le périmètre des lieux. Il a ainsi autorisé tous ceux qui étaient présents autour des centres à voter. Il s’agit en fait d’une formule équivoque qui a fait l’amalgame entre l’enceinte et le périmètre des bureaux de vote, ce qui a fait que les élections se sont poursuivies dans certaines circonscriptions, jusqu’à une heure avancée de la nuit. Et c’est ainsi que pendant que des résultats préliminaires étaient annoncés dans certaines circonscriptions, dans d’autres le vote se poursuivait.

La provocation communautaire qui a ponctué les campagnes électorales a été à l’origine de deux incidents qui reflètent la gravité de la situation : le premier s’est déroulé dans un des quartiers de Beyrouth, après l’annonce des résultats. Les partisans de certains partis se sont rassemblés et ont déchiré les portraits et les slogans de personnalités qui figuraient sur des listes adverses, en employant des termes injurieux à leur encontre, avant de brûler des pneus, ce qui a provoqué des remous. Des responsables politiques sont intervenus pour mettre fin à ces agissements, ce qui porte à croire qu’ils les avaient eux-mêmes commandités puis suspendus.

Le deuxième incident a eu lieu à Choueifate (circonscription du Mont-Liban 4) entre les partisans de deux listes rivales d’une même communauté. Au cours de la dispute, une roquette a été tirée contre une permanence de l’un des deux partis, tuant un de ses responsables. Un candidat élu a protégé le tueur qui n’a toujours pas été arrêté, ce qui a accentué la tension.

La démocratie, une représentation juste et la liberté de participation constituent une garantie pour la stabilité et la paix civile. La violation des critères de justice, d’équité et de respect du point de vue de l’autre, ainsi que les discours de haine, la provocation, la diffamation et le non-respect des dispositions des lois sont autant de facteurs qui menacent la paix civile et qui accentuent en définitive la tension dans une société où la diversité, les différences et les sources de tension sont nombreuses.


* Directeur exécutif du Arab NGO Network for Development



(1) Le dialogue sociétal est une forme développée du dialogue social tripartite – État, patronat, travailleurs – lequel est un mécanisme permettant de régler les conflits entre le patronat et les travailleurs sous la houlette d’un État neutre (théoriquement). Lorsque le dialogue s’élargit à des domaines dépassant le cadre des relations de travail entre ces deux entités, et porte à titre d’exemple sur les questions en rapport avec l’identité, le mécanisme et les outils de gouvernance, les grandes options économiques dans la perspective d’un règlement de crises telles que le chômage, la dette publique, le déficit budgétaire, l’inflation, les politiques fiscales, la protection sociale, il est impératif que des parties sociales représentant les intérêts de forces sociales, dépassant le simple cadre des travailleurs, y prennent part.

(2) A titre d’exemple, le mohafazat de Baalbeck-Hermel est resté une même grande circonscription. En revanche, deux cazas ont été regroupés pour constituer une petite circonscription (Marjeyoun-Hasbaya) au sein de la grande circonscription du Liban-Sud 3. Deux autres cazas ont été regroupés pour former la circonscription du Liban-Sud 1, mais chacun est resté une petite circonscription sans liaison géographique entre eux (Saïda-Jezzine). Certains cazas ont été considérés comme de grandes circonscriptions (Le Metn-Nord et Baabda). Deux autres cazas ont été regroupés pour former une grande circonscription (Békaa-Ouest et Rachaya). Beyrouth a été divisée en deux circonscriptions, Est et Ouest, suivant le découpage qui s’était imposé durant la guerre civile.

(3) Il a atteint 20 % dans la circonscription Liban-Sud 3 (où le taux de participation était de près de 50 %) et 5 % à Beyrouth 1 (où le taux de participation était de près de 31 %).

(4) – ils étaient 122 000 dans la circonscription Liban-Sud 1 et 460 000 dans la Liban-Sud 3 – et la distribution tout aussi variable des sièges dans les circonscriptions – située dans une fourchette allant de 5 dans le Liban-Sud 1 à 13 dans la circonscription du Mont-Liban 3 – (Tirés du site du ministère de l’Intérieur consacré aux élections : elections.gov.lb 2018)

(5) Sur les 113 candidates qui se sont présentées aux élections, seules 86 ont pu faire partie de listes et 4,6 % des candidates ont été élues, soit 6 seulement, ce qui représente un autre indicateur de l’absence de justice

(6) 5 000 livres pour chaque électeur dans les grandes circonscriptions, 150 millions de livres qui est la somme forfaitaire pour chaque candidat et 150 millions de livres par liste pour chaque candidat.

(7) Les médias ont fait état de cas de pots-de-vin et d’achats de voix. Les observateurs de la LADE et de l’Association libanaise pour la transparence ont relevé des cas similaires, mais sans preuves concrètes à cause des difficultés rencontrées pour obtenir celles-ci et les documenter.



Les articles, enquêtes, entrevues et autres, rapportés dans ce supplément n’expriment pas nécessairement l’avis du Programme des Nations Unies pour le développement, ni celui de L'Orient-Le Jour, et ne reflètent pas le point de vue du Pnud ou de L'Orient-Le Jour. Les auteurs des articles assument seuls la responsabilité de la teneur de leur contribution.


Le dialogue sociétal(1) fait partie des moyens fondamentaux pour échanger des vues et des idées, exprimer des opinions et écouter celles des autres. Il est cependant soumis à des règles et des constantes auxquelles il faudrait se conformer si les intentions sont bonnes et si la volonté de progresser représente un objectif commun à tous.
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