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Culture - Livres

Yasmine Ghata, histoires de pères

Pour son sixième roman, l’écrivaine revient sur l’histoire méconnue d’un artiste du XVe siècle, Siyah Qalam, peint à travers les yeux de sa fille.

Yasmine Ghata.

« Un jour, j’ai rencontré une jeune fille qui avait perdu son père jeune, comme moi, à l’âge de 6 ans, et qui m’a dit : “Bienvenue au club des filles sans père” », raconte Yasmine Ghata. Alors qu’elle s’apprête à publier son sixième roman, Le Calame noir (éd. Robert Laffont), l’écrivaine revient une fois de plus sur le motif du père absent, qui hante son œuvre depuis ses débuts : « Il y a un trauma. J’écris parce que je suis dans un processus de résilience », affirme-t-elle.
De fait, si l’intrigue se construit autour du personnage de Siyah Qalam, un peintre de la fin du XVe siècle ayant appartenu à la cour de Tabriz, ce dernier apparaît dans la narration moins comme la figure d’un artiste que comme celle d’un père. Orpheline, Suzanne parcourt une exposition à la Royal Academy de Londres dédiée à l’art turc, lorsqu’elle se retrouve visitée par la voix d’Aygül, la fille du Calame noir. Commence un récit enchâssé qui retrace la vie de ce peintre nomade à travers l’empire des steppes et les yeux de sa fille. Dieu vivant pour elle, il devient une sorte de père de substitution pour Suzanne. On s’attendrait à un petit récit initiatique, et pourtant, jamais les héroïnes, double l’une de l’autre et de l’auteure même, ne parviennent à s’émanciper de cette figure aussi vampirisante qu’absente.
Ghata décrit le personnage de Suzanne, récurrent dans ses romans et présent dès Muettes (2010), comme son « alter ego : j’en ai besoin pour fouler le territoire de l’écriture. Je suis encore très dépendante de cette figure pour prendre de la liberté à ce niveau. Elle est ma seule manière d’exister, elle me légitime dans l’écriture ». Cette dépendance, on la ressent dans la structure même du roman, bordé de considérations psychologisantes.

Yasmine Ghata se donnait pourtant un beau sujet : investiguer les silences de l’histoire, réécrire entre archives et fiction la geste de ce peintre énigmatique qui a marqué l’art de la miniature islamique tout en dérogeant aux canons de son époque... Son hommage à Siyah Qalam est subtil, et parvient à faire surgir un personnage plein d’ambiguïtés, qui traverse son siècle comme un prophète. De même, l’histoire fratricide de la dynastie turkmène des Moutons blancs s’écrit sur des accents bibliques, avant de le céder au fantastique avec la description des dessins du Calame noir, qui semblent animés par des forces venues d’un autre monde – cet arrière-monde qui balaye les steppes au rythme des hallucinations nomades.

Idéal invincible
Mais cette trame est aussi hantée – parasitée ? – par une obsession du père, traitée avec beaucoup plus de maladresse, et dont les ressorts idéologiques sont discutables. L’entité paternelle n’est jamais mise en question, et perdure comme un idéal invincible, point de référence, qui laisse entendre qu’une femme est vouée à rester incomplète en l’absence de la figure tutélaire du père : « Seul un père donne une valeur. (…) On n’est pas une femme sans la reconnaissance d’un père », écrit Yasmine Ghata. Disséminées à travers le roman, les assertions de ce type se multiplient, et donnent une coloration curieusement sexiste au roman, bien que l’auteure se défende de tout positionnement sur ce terrain-là : « Je ne suis absolument pas dans ce débat féministe, ce n’est pas ce qui m’anime. Pour moi, c’est anormal et contre nature de grandir sans ses deux parents, surtout quand la vie vous l’a arraché à un âge prématuré. Il me semble que j’ai manqué de quelque chose de fondamental et je suis dans ce manque jusqu’à aujourd’hui. Mon remède, c’est l’écriture. »
Reste qu’en subordonnant les individualités féminines à une figure tutélaire – évidemment masculine–, Ghata reconduit une vision essentialiste des femmes comme éternelles mineures. Quelque part, c’est comme si la fiction ne parvenait pas à trouver son envol, retenue par une histoire personnelle encore trop pesante. On ne peut que le regretter : la fable était prometteuse.

Yasmine Ghata, « Le Calame noir », éd. Robert Laffont, à paraître le 16 août 2018.


Pour mémoire
Exercice de style, de Yasmine Ghata, pour une mère romancière...

« Un jour, j’ai rencontré une jeune fille qui avait perdu son père jeune, comme moi, à l’âge de 6 ans, et qui m’a dit : “Bienvenue au club des filles sans père” », raconte Yasmine Ghata. Alors qu’elle s’apprête à publier son sixième roman, Le Calame noir (éd. Robert Laffont), l’écrivaine revient une fois de plus sur le motif du père absent, qui hante...

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