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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Pourquoi Orban a fait de Netanyahu son meilleur allié

Israël s’accoutume mal de l’accueil réservé au Premier ministre hongrois, qui surfe dans son pays sur les pires clichés antisémites de l’Europe d’avant-guerre.

Le Premier ministre israélien et son homologue hongrois Viktor Orban. Photo AFP

La pilule a encore du mal à passer, à en croire les billets d’humeur parus hier matin dans la presse israélienne. Le Premier ministre hongrois Victor Orban, accusé de flirter avec l’antisémitisme, a atterri hier à Tel-Aviv. Il restera en Israël jusqu’à vendredi et s’offrira probablement une escapade au Mur des Lamentations, où il devra enfiler la kippa réglementaire, passant ainsi un coup d’éponge sur l’image de Fidesz, son parti au pouvoir depuis 2010 en Hongrie. Fidesz est un cas d’école de l’extrême droite européenne, sortie des marges de l’opposition ces dernières années. Les racines antisémites du mouvement ont été mises au goût du jour par un discours islamophobe à la faveur de la vague migratoire de 2015. Mais pour l’opposition libérale aux mouvances type Fidesz, une continuité existe entre leur antisémitisme « historique » et leurs lignes islamophobes. Pour se défaire du stigmate, Victor Orban a trouvé la combine : faire de Benjamin Netanyahu l’un de ses meilleurs alliés.

Deux forteresses assiégées
 « Ce matin même, Yossi Amrani (ambassadeur israélien en Hongrie) a donné une interview à Origo, un des principaux portails pro-Orban. Il a dit très clairement que nos deux pays partagent une même philosophie politique : Israël est un État juif et la Hongrie veut pouvoir affirmer de façon aussi évidente que c’est la nation des Hongrois », dit à L’Orient-Le Jour Márk Kékesi, sociologue à l’Université de Szeged, engagé depuis 2015 dans la défense des droits des réfugiés.
Politiquement, les deux dirigeants sont sur la même longueur d’onde : des hommes forts, qui puisent leur autorité d’un discours martial et civilisationnel, et obsédés par leur volonté de museler les contre-pouvoirs médiatiques et institutionnels. Cultiver une mentalité d’assiégé est aussi un registre privilégié des deux leaders. « Orban utilise le verbe “défendre” de façon anormale. Récemment, son parti a envoyé une brochure aux associations de pêcheurs hongrois. “Le gouvernement de Hongrie défend les eaux de pêche hongroises” pouvait-on lire. La Hongrie n’a même pas de façade maritime », se désespère M. Kékesi.

Le malaise Soros
Au plus fort de la crise des réfugiés en Europe il y a trois ans, la ligne ferroviaire reliant Belgrade à Budapest faisait office de balisage aux migrants venus de Syrie, d’Irak et d’Afghanistan. La Hongrie n’était qu’un lieu de passage vers l’Allemagne. Défiant toute logique, le gouvernement hongrois avait choisi d’agglutiner le flot de migrants à sa frontière, à coups de canons à eaux et de gaz lacrymogènes. Quelques semaines étaient passées et Budapest acceptait d’affréter des bus en partance pour la frontière autrichienne.
Rien n’a techniquement changé, mais M. Orban a eu son fait d’armes. Il s’est interposé entre la « forteresse chrétienne » et les « hordes » musulmanes. Budapest entame alors la construction d’une clôture de fortune d’environ 175 kilomètres le long de sa frontière avec la Serbie, dont certaines portions seront plus tard électrifiées. Mais en laissant partir les migrants vers l’Allemagne ou en les retenant derrière la frontière en Serbie, Victor Orban a tari les ingrédients d’une recette électorale qui marche. Pour continuer d’alimenter la machine, Budapest cherche un palliatif. Un homme va alors prendre une place centrale dans l’industrie de propagande du Fidesz : Georges Soros, un rescapé octogénaire de la Shoah, né en Hongrie et qui a émigré aux États-Unis à l’âge de 26 ans. Il y a bâti une fortune à neuf chiffres en spéculant sur les devises. La philanthropie est son hobby favori. Sa Open Society Foundations finance quelques associations de défense des droits des réfugiés. Mais cela ne constitue qu’une niche dans l’ensemble de ses activités. « Peu après le pic de septembre 2015, le nom de Georges Soros est apparu sur des milliers de panneaux d’affichage financés par le gouvernement, comme le cerveau derrière le complot visant à détruire l’Europe en la remplissant de musulmans », raconte Márk Kékesi. Le discours qui accompagne l’image aurait pu être directement extrait du Protocole des sages de Sion. « Nous combattons un ennemi qui est différent de nous. Non visible, mais caché (…). Pas national, mais international ; qui ne croit pas dans le travail, mais spécule avec l’argent ; qui ne possède pas sa propre patrie, mais sent que le monde entier lui appartient », déclamait Victor Orban dans un meeting politique en mars 2017. La communication du Fidesz reprend tout le répertoire de l’antisémitisme européen d’avant-guerre. Celle du juif bolchévique pour la droite et du juif capitaliste pour la gauche.

Étiqueté casher
 « Je vais vous le dire tout de suite, je ne suis pas d’accord avec l’écrasante majorité des juifs hongrois qui pensent que cette campagne est antisémite. Je ne suis pas un grand amateur d’Orban, mais Georges Soros, c’est juste de la politique », confie à L’Orient-Le Jour Péter Feldmájer, avocat et ancien président du conseil de la communauté juive de Hongrie. « Je suis allé en France. C’est horrible, un désastre. L’armée doit défendre les synagogues, les écoles, les magasins… Nous n’avons rien de tout ça en Hongrie », poursuit M. Feldmájer.
Pour Márk Kékesi, c’est toutefois une forme plus subtile d’antisémitisme que le gouvernement Orban utilise, réveillant sans les nommer des instincts puissamment enfouis dans la société hongroise. Ce qui n’empêche pas Budapest de jouer sur deux tableaux. « Orban utilise les juifs hongrois comme une couverture pour sa politique xénophobe. Il répète souvent que le but de sa rhétorique anti-immigration (comprendre antimusulmans) est de “défendre” les minorités du pays, les juifs et dans une moindre mesure la communauté LGBT », explique M. Kékesi.
L’été dernier, Yossi Amrani avait demandé au gouvernement de cesser la campagne anti-Soros, s’alignant ainsi sur la majorité des organisations représentatives de la communauté juive. Mais deux jours plus tard, l’ambassadeur était désavoué par son propre Premier ministre. Benjamin Netanyahu accusait M. Soros de « porter atteinte au gouvernement israélien démocratiquement élu en finançant des organisations qui diffament l’État juif et cherchent à lui nier le droit à se défendre ». Pour la première fois dans son histoire, l’État d’Israël prenait officiellement le parti d’un gouvernement étranger contre sa communauté juive. Le Premier ministre israélien s’était rendu à Budapest au plus fort de l’hystérie anti-Soros, sans aucun état d’âme. En Israël, beaucoup dénoncent le « blanchiment » de la politique de M. Orban, auquel Benjamin Netanyahu délivre un « certificat casher ». C’est un échange de bons procédés entre les deux hommes : la Hongrie bloque systématiquement les initiatives estampillées hostiles à l’État hébreu au sein des institutions de l’Union européenne, que le Likoud et le Fidesz élèvent au rang des ennemis de la nation.

La pilule a encore du mal à passer, à en croire les billets d’humeur parus hier matin dans la presse israélienne. Le Premier ministre hongrois Victor Orban, accusé de flirter avec l’antisémitisme, a atterri hier à Tel-Aviv. Il restera en Israël jusqu’à vendredi et s’offrira probablement une escapade au Mur des Lamentations, où il devra enfiler la kippa réglementaire, passant...

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