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Culture - Exposition

Nacer, la parabole de l’exil

L’artiste présente à la galerie Mark Hachem des œuvres de l’exposition itinérante «Journeys Into the Future Through the Sea of the Past ».

« Erreur 404 », 2016, lithographie, 61 x 50 cm, par Nacer.

C’est un rouge qui crève les yeux. Une rature monumentale qui se serait transformée en balafre encore vermeille, comme si la plaie ne pouvait cicatriser ni le trait être effacé. Le tourbillon rappelle ceux de Cy Twombly, la tour de Babel qu’il recouvre, celles de Pieter Bruegel l’Ancien, mais l’artiste balaye d’un revers de main toute référence : « Je tiens à rester inculte », glisse-t-il dans un sourire, comme s’il s’agissait de préserver une certaine innocence.

À 23 ans, Nasreddine Bennacer quitte l’Algérie pour fuir la guerre civile, et s’installe à Paris. Restaurateur d’œuvres d’art à l’origine, il finit par développer sa propre pratique d’artiste. Les motifs de l’exil, des migrations et des frontières qui vont avec, qu’elles soient métaphoriques ou trop tangibles, traversent son œuvre. Celui de la communication aussi, maltraitée en temps de crise.

La tour de Babel a été rebaptisée en Autodafé, et plus loin, ce sont des micros et des téléphones en pierre, granit ou marbre que l’on retrouve, comme si la parole s’était fossilisée, désormais incapable d’émettre aucune onde. Face à un mur de paraboles, photographies d’Alger dont l’accrochage rappelle encore la trop célèbre architecture babylonienne, celui qui se fait appeler Nacer déplore : « Ça m’attriste énormément de voir mon pays dans cet état. Avant, les gens sortaient, tout le monde se parlait, et maintenant, chacun reste chez soi avec sa parabole, il n’y a plus de communication, les gens font des dépressions, vont voir le psy, prennent des cachets... » Les langues sont devenues rugueuses, comme ces langues de bois hérissées d’échardes et fichées dans le mur, qui surprennent le visiteur au détour d’une cloison.

L’œuvre de Nacer est protéiforme, elle est surtout très poignante. « Avec ma formation de restaurateur, je maîtrise quasiment tous les médiums. J’obtiens 5 % de ce que je veux dire avec ces médiums, ça bouillonne, mais le résultat n’est pas là », affirme-t-il avec humilité. Alors patiemment, il répète ses gestes, décline ses œuvres, avec une rare subtilité, et une recherche de la justesse qui le fait passer de l’installation à la peinture, du dessin à la photographie, en passant par la vidéo.

Étonnamment, ce foisonnement garde une puissante unité, que l’on retrouve dans l’équilibre délicat entre abstraction et figuration des séries au pastel noir. Sur l’une – Hashd –, les pèlerins qui tournent autour de la Kaaba deviennent de pures silhouettes noires et blanches, mêlées les unes aux autres. Une vidéo leur fait pendant, qui rappelle les foules en mouvement d’Artavazd Pelechian. Sur l’autre, des cracheurs de flamme devenus cracheurs de lumière irradient la toile.

De noir et de blanc, l’œuvre de Nacer tire des fils entre différents lieux, différents destins, qui semblent se croiser à travers les migrations successives, qu’elles soient tournées vers un avenir incertain, comme cette lettre retrouvée sur le corps d’un migrant originaire du Darfour et dont Nacer inscrit les derniers mots sur une ligne qui finit par épouser les formes d’un encéphalogramme, ou les réminiscences du passé.

Pour une telle œuvre, l’exposition ne pouvait être qu’itinérante : passée par Marseille, Nice et Palerme déjà, « Journeys Into the Future Through the Sea of the Past » est désormais à Beyrouth, à la galerie Mark Hachem. Elle « perd des plumes ou s’étoffe » au fil du temps, nous dit l’artiste, c’est selon : quoi qu’il en soit, elle évolue, et nous entraîne avec.

Galerie Mark Hachem, « Journeys Into the Future Through the Sea of the Past », jusqu’au 10 juillet 2018.Rue Rafic Salloum, Capital Gardens, immeuble Mina el-Hosn, Downtown, Beyrouth. Tél. : 01/999313

C’est un rouge qui crève les yeux. Une rature monumentale qui se serait transformée en balafre encore vermeille, comme si la plaie ne pouvait cicatriser ni le trait être effacé. Le tourbillon rappelle ceux de Cy Twombly, la tour de Babel qu’il recouvre, celles de Pieter Bruegel l’Ancien, mais l’artiste balaye d’un revers de main toute référence : « Je tiens à rester...

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