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Moyen Orient et Monde - Kurdistan

Quand Souleimaniyeh se rêve en capitale de la culture irakienne

Dans la deuxième ville de la région autonome du Kurdistan irakien, un collectif d’artistes et d’acteurs de la société civile s’affaire depuis quatre ans à transformer une ancienne usine de tabac désaffectée en un gigantesque centre culturel polyvalent. Malgré les obstacles, le projet novateur et ambitieux est en passe de voir le jour. Reportage.

Plan en 3D du centre culturel. Crédit photo : Chalabi Partners and Associates

À deux pas du centre-ville, peu de gens remarquent les bâtiments poussiéreux situés derrière un petit jardin le long de Salem Street, la principale artère de la ville de Souleimaniyeh. Au-delà d’un grand portail surveillé par un garde nonchalant, les vestiges du fleuron de l’industrie du tabac à Souleimaniyeh attendent pourtant de renaître depuis la fermeture de l’usine il y a une vingtaine d’années suite à l’embargo imposé par la communauté internationale au pays. Une fois à l’intérieur du site où de longues allées s’étirent entre les bâtiments, il n’est pas rare de s’égarer en cherchant les quelques édifices dans lesquels la scène artistique locale s’emploie déjà à développer ses propres créations. Dans un énorme hangar à plusieurs étages en partie rénové, un panneau en bas d’un escalier de service indique qui a investi les lieux : « Welcome to the X-line ».

Rasho, un des concepteurs de ce projet artistique alternatif, accueille le visiteur dans le grand hall de l’atelier des artistes de la X-line. Tout en faisant visiter les lieux où de jeunes créateurs s’affairent sur des toiles et des maquettes, il raconte l’histoire de ce projet ambitieux : « L’idée de créer un centre culturel à Souleimaniyeh a germé en 2014 et a commencé à se concrétiser en 2016. Nous souhaitons utiliser cette ancienne friche urbaine située en plein cœur de la ville pour développer la scène culturelle locale. Nous avons monté une association locale, l’organisation Karga (“atelier” en kurde), et, avec des professionnels du management culturel, nous avons proposé notre projet à la mairie de Souleimaniyeh. Depuis, le gouvernement régional finance les rénovations. Il y a un budget pour la culture à Souleimaniyeh et chaque année, la ville doit verser une part pour le projet “Cultural Factory” que nous représentons. Les élus de la ville ont pris conscience qu’elle a besoin d’un espace polyvalent pour stimuler la création artistique et la connaissance en ciblant particulièrement la jeunesse. »


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Centre artistique ou commercial ?
Enthousiaste, Rasho ne doute pas une seconde que le centre culturel verra le jour malgré les obstacles qui se dressent encore sur sa route. « Il y a de nombreux blocages au niveau administratif. Les principaux partis politiques et plusieurs businessmen sont réticents face à ce projet car ils ne voient pas l’utilité financière pour la ville. Ils essayent d’obtenir la destruction de l’usine pour construire des tours ou un centre commercial à la place. Le gouvernement a aussi envisagé d’aménager un espace vert, mais la ville ne veut pas se lancer dans de tels projets. Pour sauver l’usine et l’idée d’un centre culturel, nous avons mobilisé la communauté locale qui soutient le projet. Par la suite, après avoir fini les rénovations de plusieurs bâtiments, nous comptons mobiliser des soutiens internationaux. »

Shirvan, un autre des concepteurs de ce projet sans parallèle dans la région, balaie d’un revers de la main les arguments de l’absence de rentabilité du projet. « En Allemagne, l’industrie de l’automobile est la principale source de revenus, avec 77 milliards d’euros en 2017. La culture, elle, a rapporté 63 milliards. C’est tout simplement faux de penser que la culture n’est pas une source de richesse. » Mais pour ce Kurde irakien formé en Allemagne au management culturel, l’essentiel est ailleurs : « Le grand site de l’usine à tabac va s’articuler autour de quatre pôles : la culture, le management artistique alternatif, l’économie créative et enfin l’environnement/développement durable. » Lorsqu’il parle d’art, il souligne qu’il s’agit nécessairement d’art public, pour le peuple et la jeunesse, dans un espace ouvert et autonome. « Notre objectif est de créer des vocations, de stimuler la production artistique chez la jeunesse. Souleimaniyeh prétend déjà être la capitale de la culture, mais si peu est fait aujourd’hui pour la promouvoir. »

Tout en arpentant les allées du site, Shirvan décrit les ambitieux travaux qui vont y voir le jour et la diversité des activités qui vont se développer dans les installations rénovées. « L’art et la culture vont être mis à l’honneur. Les bâtiments auront différentes vocations mais permettront également de croiser les domaines. Pour la culture et la connaissance, nous envisageons la création d’un musée de la Mésopotamie pour mettre le berceau de la civilisation à l’honneur. L’ancienne bibliothèque municipale qui jouxte l’usine va être raccordée à un nouveau bâtiment moderne et nous allons y ajouter de nouveaux rayons. Pour l’art et la création, la liste est longue : galeries d’exposition artistique, théâtre, salle de concert, le tout centré autour de l’éducation. Il va aussi y avoir un centre pour les médias indépendants, où pourront se faire des enregistrements. Avec cela, un studio de production de cinéma et plusieurs ateliers de création artistique en plus de ceux qui existent déjà. Différentes ONG vont venir prendre part au projet, comme le Water Conservation Center, qui œuvre à la création d’un parc naturel dans les montagnes du Kurdistan irakien ou encore une ONG qui promeut l’éducation et la formation des femmes des campagnes dans plusieurs domaines. »


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Projet pharaonique
C’est un groupe d’architectes autrichien, Chalabi Associates and Partners, qui est à l’origine du design du centre culturel. Le projet pharaonique va complètement remodeler l’image et l’usage du site. « Les murs qui entourent l’usine vont disparaître. L’idée, c’est d’ouvrir le centre vers la ville. Les façades vont être remodelées et nous allons augmenter la superficie des espaces verts de 20 à 50 %. Plusieurs bâtiments vont disparaître, d’autres vont les remplacer, mais nous tentons de préserver les structures initiales au maximum. La rénovation devrait coûter environ cinquante millions de dollars dans le plan initial, même si celui-ci est constamment revu à la baisse pour contenter les autorités.
Projet sans équivalent dans la région, la “fabrique culturelle” de Souleimaniyeh permettra à la ville de vivre à la hauteur de la réputation qu’elle entend avoir. » « Une fois que les autorités auront intégré l’idée d’automanagement que nous promouvons, ce centre culturel volera de ses propres ailes, conclut Shirvan. Les politiciens ici ont du mal à saisir ce que cela veut dire et veulent avoir leur mot à dire sur l’évolution du projet. Mais nous tenons absolument à ce que la gestion soit autonome, sinon l’esprit de création va disparaître. » Dans un pays où la violence et le radicalisme font encore des ravages, ce genre d’initiative de la société civile en partenariat avec les autorités locales est très prometteur et peut servir d’incubateur artistique tout en encourageant à l’avenir le développement de sites similaires dans les autres villes du pays, voire au-delà.



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