Alors que le monde entier a commémoré, mercredi, la Journée mondiale des réfugiés, le pays qui en détient le ratio (par rapport à sa population) le plus important de la planète reste englué depuis des semaines dans une polémique irresponsable qui a dégénéré en crise stérile. Accusé par le palais Bustros de freiner toute démarche de retour volontaire en Syrie des déplacés, le Haut-Commissariat pour les réfugiés des Nations unies (HCR) doit même subir le gel du renouvellement des permis de séjour de ses employés !
Une bataille qui, en dépit de son apparence existentielle au vu de la situation particulière du Liban, s’avère d’autant plus absurde, voire virtuelle, que l’ensemble des acteurs s’accorde sur le principe de la nécessité d’un retour à terme de ces déplacés. Dans le respect, toutefois, des critères de dignité et de sécurité exigés par les conventions internationales et le droit humanitaire. Naturellement, le Liban reste souverain dans la définition de sa politique en la matière. Mais celle-ci ne saurait déroger à ces critères, ni faire l’objet d’une confrontation avec la communauté internationale et les Nations unies, dont le Liban est membre et dont il a besoin du soutien.
Certes, le Liban ne peut supporter éternellement ce fardeau, d’autant que l’épuisement des analgésiques humanitaires et des bailleurs de fonds, comme la situation régionale et les développements en Syrie, rend la situation encore plus difficile. On songe notamment au tri démographique à caractère confessionnel effectué par Damas et à l’entrée en vigueur, en avril, du décret présidentiel n° 10 permettant de facto les expropriations arbitraires des biens-fonds des déplacés qui ne sont pas en mesure de faire valoir leurs droits dans des délais très courts.
(Lire aussi : Face à Merkel, Aoun et Hariri affichent leurs discordances)
Échec patenté
Mais ne nous y trompons pas : en dépit de ces difficultés et de la polarisation politique interne sur ce dossier, ce bras de fer surréaliste sert surtout de paravent commode pour refuser d’assumer nos responsabilités et masquer notre échec patenté dans la gestion de la crise des déplacés syriens. En effet, tous les gouvernements qui se sont succédé depuis 2011 se sont contentés d’aborder ce dossier à travers une approche réactive, à coups de mesures urgentes et de tabous (comme l’interdiction de l’installation de camps, liée au précédent palestinien), plutôt qu’à travers une véritable politique publique planifiée. Il convient donc d’esquisser les grandes lignes d’une feuille de route nationale potentiellement applicable en la matière, aussi bien au niveau interne que diplomatique.
Au plan local, il semble indispensable de créer les conditions d’une entente transpartisane sur le passage d’une réponse à la crise à la gestion planifiée d’un dossier politique à caractère développemental, fondée sur des données factuelles et à travers laquelle le gouvernement déterminerait les priorités, les objectifs, les responsabilités, les cadres référentiels et le calendrier. Le tout dans un cadre permettant de préserver la sécurité nationale. Le gouvernement devrait également préparer et signer un protocole d’accord avec le HCR qui déterminerait les obligations et les responsabilités réciproques. Il faudrait également qu’ils harmonisent leurs statistiques – sur le nombre des déplacés et les registres d’état civil –, afin de faciliter la détermination de leur destination de retour, et en attendant, d’endiguer au mieux l’impact de la présence de ces déplacés sur le développement des zones urbaines et rurales qui les accueillent.
Par ailleurs, un calendrier du retour doit être établi en coordination avec l’ONU sur base de listes précises et de garanties internationales légales de sécurité. De même, les composantes économiques et sociales de ce retour doivent être garanties pour assurer le maintien des déplacés dans les zones de réinstallation. Les agences onusiennes concernées au Liban devront ainsi assurer la coordination avec leurs pendants en Syrie et leur fournir une estimation sur les possibilités, garanties et capacités de retour. Des centres d’accueil temporaires pourraient en outre être établis à la frontière, sous le contrôle de l’État libanais et le parrainage de l’ONU, en prélude à un retour progressif.
(Lire aussi : L’UE s’engage pour la santé et l’éducation des réfugiés au Liban)
Coordination
Cette redéfinition stratégique interne ne saurait cependant être disjointe de la mise en œuvre d’une diplomatie libanaise active et respectueuse de nos partenaires, internationaux comme arabes. Sur le plan international, Beyrouth doit continuer à militer pour que le retour des déplacés en Syrie figure à l’ordre du jour du Groupe international de soutien pour le Liban. Le Liban doit demander à prendre part au processus de Genève et que le retour des déplacés figure en tête de liste des priorités. Il pourrait également appeler le Conseil de sécurité à inscrire la question des déplacés à son ordre du jour, dans la mesure où il s’agit du droit des peuples à l’autodétermination ; et la communauté internationale à établir une instance commune – entre les pays hôtes, le HCR, le Comité international de la Croix-Rouge et la société civile en Syrie – afin d’assurer le suivi sur le sort des déplacés de retour dans leur pays.
Au plan régional, il est également nécessaire d’établir une plateforme de coordination avec la Jordanie et la Turquie, qui sont confrontées aux mêmes enjeux. Membre fondateur de la Ligue arabe, le Liban doit peser de tout son poids pour que celle-ci assure un suivi du droit des déplacés au retour avec toutes les parties concernées. En attendant, il pourrait également communiquer avec la Russie, compte tenu de son poids en Syrie, pour lui exposer sa vision – sensiblement différente de celle de Damas – concernant le retour des déplacés.
Certains pourraient considérer que ces composantes d’une feuille de route nationale relèvent de l’utopie. Soit, mais dans ce cas, qu’elles fassent l’objet d’un débat ouvert et public, basé sur une prise de conscience collective plutôt que sur le populisme et l’attisement des instincts sectaires. Notre mémoire collective a déjà son lot de vieux démons endormis.
Expert en matière de politiques publiques et de réfugiés.
Lire aussi
la présence massive de la main-d'oeuvre syrienne au Liban est doublement dommageable, puisque les libanais se trouvent ainsi au chômage, et des volumes monétaires importants de la richesse nationale sont partagés avec ces malheureux. La situation est unique au monde, insupportable aussi bien pour eux que pour nous. Les syriens ont tellement pris de place dans l'économie que les libanais risquent de ne pas savoir reprendre le relais après leur départ espéré. La montre joue contre le Liban. Il faut les remercier et les ramener chez eux afin de reprendre possession de notre territoire.
23 h 24, le 28 juin 2018