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Moyen Orient et Monde - Interview

Michel Wieviorka : Il faut « réfléchir à une sortie de la violence telle qu’on la connaît »

Le sociologue français est l’initiateur d’un projet pour faire de la « sortie de la violence » un véritable domaine de recherche pour les sciences humaines et sociales.

Le sociologue français Michel Wieviorka, le 3 février 2016. © Matthieu Alexandre/AFP

L’Institut Issam Farès de l’Université américaine de Beyrouth accueille depuis le 20 juin un colloque portant sur la sortie de la violence dans le monde. Il regroupe un grand nombre de chercheurs venus du monde entier, réunis au sein de l’IPEV (Panel international pour la sortie de la violence). Ces derniers ont analysé les phénomènes tels que la déradicalisation, le peace-building, la justice transitionnelle, la réconciliation ou encore la construction de l’État. Leur but : construire la « sortie de la violence » comme un véritable domaine de recherche pour les sciences humaines et sociales.
Cet événement précède la publication officielle d’un rapport qui sera remis à Paris au sein de la Fondation maison des sciences de l’homme (FMSH), à l’automne 2018. Michel Wieviorka, sociologue français et directeur de la FMSH, est l’un des initiateurs de ce projet. Il a accepté de répondre aux questions de L’Orient-Le Jour.

Quand et pourquoi avez-vous commencé à imaginer un projet tel que l’IPEV ?
L’idée du projet date de 2015, mais sa réalisation effective a commencé en 2016, le temps de trouver des financements et des chercheurs, et de constituer des groupes de travail. Car construire un panel international qui regroupe des chercheurs du monde entier et qui s’intéressent à des questions relativement diverses demandait beaucoup de temps et beaucoup d’investissement. Et nous arrivons en ce moment à la phase finale de ce panel tel qu’il a été constitué. Par ailleurs, la qualité des relations avec l’Université américaine de Beyrouth, et en particulier avec Tarek Mitri (directeur du Issam Farès Institute for Public Policy and International Affairs de l’AUB et ancien ministre et diplomate), a été déterminante pour la tenue de ce colloque.

Pourquoi avez-vous commencé vos travaux en 2015 alors que des mouvements de terrorisme et de violence étaient visibles auparavant ? 
Deux événements m’ont marqué cette année-là. Étant d’abord très lié à l’Amérique latine, j’ai été tout à fait passionné quand j’ai vu qu’un processus de paix allait peut-être mettre fin à la guérilla avec les FARC en Colombie. J’ai rencontré des chercheurs très compétents du Centre national sur la mémoire historique à Bogota, qui travaillaient sur ce sujet de « la sortie de la violence ». Puis il y a eu les attentats terroristes de janvier 2015 (contre la rédaction de Charlie Hebdo et une supérette casher, NDLR) à Paris. Et lorsque j’entendais les experts ou les responsables politiques s’exprimer, j’ai réalisé que tout cela était loin de nous expliquer ce qui est vraiment en jeu. D’un côté, la Colombie œuvre pour une sortie de la violence, et en France, des formes lourdes et brutales de violence étaient présentes. À partir de là, je me suis dit qu’il faut reconstituer une capacité d’analyse de ces questions. C’est alors que l’idée de faire des recherches et de travailler sur ce sujet était devenue une évidence.

Quels ont été les résultats de vos recherches ? Vous êtes-vous concentré sur une région particulière ?
Je pense que le problème de la sortie de la violence est un problème qui concerne le monde entier et pas uniquement une région spécifique. Les recherches que j’ai faites, que ce soit dans mon propre pays sur les violences urbaines ou la violence des jeunes, ou sur le terrorisme où j’étudie ce phénomène depuis les années 80 quand il était encore totalement différent de ce qu’il est devenu aujourd’hui, m’ont conduit à une certaine conclusion. À la lumière de mes observations, j’ai constaté qu’il fallait vraiment lancer un programme de recherches.
Il fallait tout d’abord approfondir les connaissances sur les nouvelles formes de violence. Les choses ont changé. Par exemple, il y a quelques années, la violence n’avait pas autant ce caractère religieux qu’elle a de nos jours. Il y a 30 ans, il y avait moins ces phénomènes que l’on voit aujourd’hui où la violence politique classique laisse la place à du terrorisme d’un côté et de la criminalité organisée de l’autre. Donc il fallait analyser et rentrer dans des recherches qui n’existaient pas jusqu’ici.
Enfin, il fallait réfléchir à une sortie et à la prévention de la violence telle qu’on la connaît. Or je me suis aperçu que c’était un domaine avec beaucoup de compétences, mais pas assez de recherche proprement dite. Il y avait des gens qui appartenaient à des organisations humanitaires, des grandes ONG, des magistrats, des médecins psychiatres, etc. Et tous ces gens ont accumulé beaucoup de savoir empirique du fait de leur profession mais ne faisaient pas de la recherche en sciences humaines et sociales. J’ai donc pensé qu’il était temps de réorganiser ces connaissances et de construire cet ensemble de préoccupations comme un champ pour les sciences sociales en m’appuyant sur mes expériences mais aussi celles des autres.

L’expérience libanaise a-t-elle été un exemple ou un contre-exemple de cette sortie de la violence ?
À une certaine époque, le Liban a malheureusement été un laboratoire de la violence. Aujourd’hui, les choses se sont énormément calmées. J’ai été très attentif à cet épisode de la guerre civile et à ce qui s’est ensuivi, et j’ai bien vu comment ça s’est terminé. Le Liban est un cas intéressant où on est sorti d’une certaine époque de violence. Mais cela ne signifie pas pour autant que la violence ne rôde pas ou qu’elle a disparu. On sent bien qu’elle n’est jamais très éloignée. C’est un pays qui n’est pas sorti complètement de la violence car on n’en sort jamais complètement, et le pays est entré dans une phase historiquement autre que cette phase paroxystique de la guerre civile.


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Après 3 ans de recherche cet homme n'a rien à dire d'autre….?

Beauchard Jacques

10 h 49, le 22 juin 2018

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Commentaires (1)

  • Après 3 ans de recherche cet homme n'a rien à dire d'autre….?

    Beauchard Jacques

    10 h 49, le 22 juin 2018

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