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Liban - Interview

Intelligence artificielle : Pour Joseph Aoun, la seule certitude à l’avenir, c’est le changement

Joseph Aoun. Photo Matthew Modoono/Northeastern University

L’impact de l’Intelligence artificielle (IA) sur l’éducation et la formation professionnelle nécessite des changements profonds dans le système éducatif, afin que le plus grand nombre de personnes bénéficie de la nouvelle donne. « La seule certitude, à l’avenir, c’est le changement. Tout le monde devra se rééduquer et se recycler, » affirme le Dr Joseph Aoun, septième président de Northeastern University et membre du conseil stratégique de l’Université Saint-Joseph (USJ), dans une interview accordée à L’Orient-Le Jour, à New York.

Figure emblématique de la diaspora académique libanaise, Joseph Aoun est un leader incontesté en politique de l’enseignement supérieur, un érudit de renommée internationale en linguistique et une voix très respectée sur l’éducation globale et d’expérience. Invité d’honneur de l’« USJ Alumni New York », cet ancien de l’USJ est l’auteur de nombreux articles et ouvrages. Dans son dernier livre qui connaît un succès retentissant, publié au MIT Press 2017 et intitulé Robot Proof : Higher Education in the Age of Artificial Intelligence, il préconise un nouveau modèle éducatif face aux changements systémiques sur le marché du travail, l’éducation et la formation professionnelle.

Préparation pour « toute une vie »
« Nous vivons une époque de merveilles technologiques », dit-il. Les voitures sans conducteur prennent la route, alimentées par l’intelligence artificielle. Les robots peuvent monter les escaliers, ouvrir des portes, analyser des stocks, travailler dans les usines et conseiller. Par le passé, l’automatisation était considérée comme une menace pour la main-d’œuvre peu qualifiée. Maintenant, les nombreuses fonctions hautement qualifiées, y compris l’interprétation d’images médicales, le diagnostic des symptômes de la maladie, la recherche juridique et l’analyse de données, font partie des compétences des machines. Il est difficile de ne pas se demander quelles sont les limites de leurs capacités. C’est pourquoi de nombreux observateurs croient que le potentiel de la technologie à perturber notre économie – et notre civilisation – est sans précédent.

Comment l’enseignement supérieur peut-il préparer les étudiants à leur vie professionnelle lorsque les professions elles-mêmes disparaissent ? L’essor de la robotique entraîne une obsolescence des compétences, de sorte que le monde du travail doit se réorienter, se recycler pour acquérir de nouveaux talents. Le modèle de carrière que nous connaissons est de moins en moins pertinent. Joseph Aoun propose un modèle éducatif « à l’épreuve des robots », axé sur un apprentissage continu tout au long d’une vie et une réorientation des compétences. L’éducation universitaire doit enseigner la polyvalence, la capacité d’adaptation aux changements et la maîtrise d’une nouvelle discipline intégrée qu’il appelle « humanics », un nouveau néologisme, qui prépare les étudiants à être compétitifs sur un marché du travail où les machines intelligentes côtoient les professionnels de l’humain.


Discipline intégrée
« La révolution de l’IA va changer la société d’une manière radicale. Les machines vont être de plus en plus performantes ; elles remplaceront les humains dans plusieurs fonctions », prédit ce visionnaire. « Ce ne sont pas simplement les professions appelées aux États-Unis “blue collar jobs”, c’est-à-dire les emplois manuels, mais aussi certains aspects de la médecine, du droit, de la comptabilité et des finances qui subiront de grands changements. C’est pour cela qu’il est important de se concentrer sur comment les machines fonctionnent, comprendre ce qu’elles génèrent et réfléchir sur le côté humain que ces machines ne peuvent pas dupliquer », explique-t-il.
Comment la sphère éducative peut-elle s’adapter ? « L’idée, c’est de préparer les étudiants pour toute une vie et pas simplement pour une carrière spécifique », observe-t-il. « Chaque étudiant doit comprendre “l’humanics”, c’est-à-dire avoir trois sortes d’éducation intégrées : une éducation où l’on comprend la technologie, une éducation où l’on comprend les données, les “big data”, et une éducation qui intègre le facteur humain aux deux autres. C’est ce que nous pouvons faire en tant qu’humains, comme la capacité d’être créatif, d’innover, de travailler en équipe, d’avoir de l’empathie, une agilité culturelle, d’être global, d’être entrepreneur, de faire preuve d’une grande capacité d’adaptation. Les machines deviendront plus intelligentes, mais l’apprentissage d’expérience donne un avantage », poursuit-il.

70 % des professions disparaîtront
« Le système d’enseignement universitaire a érigé des barrières entre les différents domaines, alors qu’il faut les intégrer », relève encore Joseph Aoun. « Les études des universités d’Oxford, Mac Kinsey et Accenture prévoient que dans le monde occidental 50 % des emplois que nous connaissons disparaîtront », note-t-il. « Dans le monde émergent – et le Liban est un pays émergent – la Banque mondiale prévoit que 70 % des emplois n’existeront plus », poursuit-il. « On ne peut donc pas préparer les étudiants à une profession qui va disparaître. Il faut les préparer pour la vie entière. Les implications sur la société sont énormes », ajoute-t-il.

Pour Joseph Aoun, « il ne faut pas créer des barrières entre la science, le génie, la médecine, les réflexions et la pratique humaine qui va dans ces domaines ». « Chaque profession sujette à un processus va être remplacée par les machines. Mais ce que les machines ne peuvent remplacer, c’est la possibilité qu’on a de non seulement nous limiter à la technologie et aux données “big data”, mais aussi de réfléchir et d’être innovateurs et créateurs, d’avoir des émotions. C‘est cela qui est important », ponctue cet éminent linguiste.

Détenteur de nombreux prix, le président Joseph Aoun a occupé des positions académiques prestigieuses dont la chaire de la doyenne Anna H. Bing au Collège des lettres, des arts et des sciences de l’Université de Californie du Sud. Détenteur d’un PhD, doctorat en linguistique et de philosophie de MIT, et d’un doctorat en linguistique et DES de l’Université de Paris VIII, cet ancien élève du Collège de Jamhour est diplômé en langues et littératures orientales de l’USJ (1975). Chevalier dans l’ordre des Palmes académiques, Joseph Aoun est membre de l’Académie américaine des arts et des sciences, membre de l’Association pour l’avancement des sciences. Il était ancien président du conseil sur l’éducation et membre du conseil stratégique de l’USJ.


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commentaires (1)

Très intéressant. Une mutation mondiale qui paraît compliquée mais inévitable. La science au service de l'homme ... Certes, mais ne finira-t-elle pas, par apprivoiser l'homme ? Alors qu'on pensait le contraire ?!

Sarkis Serge Tateossian

07 h 40, le 21 juin 2018

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Commentaires (1)

  • Très intéressant. Une mutation mondiale qui paraît compliquée mais inévitable. La science au service de l'homme ... Certes, mais ne finira-t-elle pas, par apprivoiser l'homme ? Alors qu'on pensait le contraire ?!

    Sarkis Serge Tateossian

    07 h 40, le 21 juin 2018

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