Autant il est insupportable de voir Nabih Berry, aussi brillant animal politique soit-il, continuer à (dé)faire le législatif libanais depuis 26 ans, autant il serait aujourd’hui sidérant d’imaginer quelqu’un d’autre que Riad Salamé, pourtant en poste depuis le 1er août 1993, à la tête de la Banque du Liban.
Naturellement, on pourrait, et on devrait, reprocher beaucoup de choses au gouverneur après 25 ans de bons et loyaux services. Ne serait-ce que sa politique monétaire hyperinterventionniste et ses opérations financières, notamment d’échanges de titres, qui exposent grandement le secteur bancaire au risque souverain sur le long terme. Ne serait-ce que sur sa douce addiction, celle qui consiste à pousser les banques libanaises à s’enrichir grâce à leurs dépôts à la BDL, plutôt que de les voir davantage financer les investissements et les secteurs productifs. Ne serait-ce que pour le manque de transparence presque total qui entoure parfois les transactions entre la BDL et ces grandes banques libanaises.
Sauf que tout cela est vite submergé, presque oublié, malgré les gentilles remontrances répétées du FMI, par le CV, les qualités, la performance, la compétence et l’insensée solidité de cet homme cent et une fois primé par ses pairs arabes et internationaux. C’est du bon sens tout simple, simpliste, certes, mais tellement réel : si le Liban et les Libanais sont encore debout, même boiteux, même claudiquant, même estropiés, même mendiants – mais debout, c’est en très grande partie grâce à Riad Salamé.
Dans un contexte métastasé par la rumeur (le Liban sera en faillite totale d’ici deux à quatre ans), colportée aussi bien par le citoyen lambda que par des experts pontifiants ; obscurci par les tous récents développements sociaux au Maroc et, surtout, en Jordanie (le jour où les Libanais, de plus en plus broyés par la paupérisation pourtant, feront de nouveau chuter un gouvernement à cause de la cherté de vie…), et, last but not least, plombés par une classe politique mafieuse et corrompue dans sa quasi-totalité, les dernières paroles publiques de M. Salamé font office d’oracle pythien. Interrogé par nos confrères de la LBCI, il avait balayé d’un revers de la main les prédictions de toutes les Cassandre qui parlent de difficultés majeures, de correction au niveau monétaire ou de scenarii à la grecque, en pire, prévenant toutefois que cela risque de devenir compliqué si les députés élus le 6 mai tardent à s’entendre sur la composition du nouveau gouvernement.
C’est déjà cela. Mais M. Salamé ne peut plus se contenter de simplement mettre en garde, en une phrase, entre la poire et le fromage. Il a beau se porter garant, et les Libanais le croient, d’une stabilité certaine, tous les voyants sont au rouge et tout porte à croire qu’ils le resteront et que cela va empirer. Quitte, au bout d’un quart de siècle, à sortir de la réserve imposée par la fonction, quitte, au bout d’un quart de siècle, à outrepasser ses prérogatives, Riad Salamé doit savoir qu’à circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles. Les Libanais attendent de cet homme qui n’a strictement plus rien à prouver qu’il ressuscite un concept assassiné depuis bien longtemps dans ce pays : la reddition de comptes – du moins sur le plan économique et financier. Ils attendent de lui qu’il les rassure, certes, mais aussi qu’il demande et redemande des comptes aux hommes en place. Qu’il dénonce, faits et exemples à l’appui, les gabegies innombrables, les faux emplois dans l’administration, les milliards de dollars dépensés inutilement au sein des différentes institutions étatiques. Ils attendent de lui, également, qu’il dénombre, un par un, chaque cas de corruption, chaque abus, quel que soit le ministre ou le député incriminé, quel que soit le parti qui les protège.
Il n’y a que lui pour remplir cette mission, et il y a très peu de chances qu’il le fasse. Mais se lancerait-il et irait-il jusqu’au bout qu’il deviendrait à la fois l’homme le plus haï par les politiques et le héros de tout un peuple. En remplissant cette partie, imposante, du cahier des charges d’un président de la République digne de ce nom, Riad Salamé serait bien plus qu’un chef de l’État. Il deviendrait ce qui manque cruellement, éperdument, au Liban : un homme d’État.
commentaires (8)
Heureux celui qui bénéficie de la manne prodiguee par M. Makhoul . Sacré Riad Salame et veinard de surcroît .
Hitti arlette
16 h 47, le 11 juin 2018