Après plusieurs jours de confusion et d’atermoiements, le ministère de l’Intérieur a procédé à la publication sur son site électronique du décret sur la naturalisation d’environ 400 ressortissants arabes et étrangers, dont une centaine de Syriens et une autre de Palestiniens. Cette publication, qui ne lève pas pour autant les interrogations au sujet de cet épisode obscur, intervient après les requêtes incessantes du parti Kataëb, des Forces libanaises et du Parti socialiste progressiste en vue d’obtenir des éclaircissements au sujet du décret élaboré, selon eux, en coulisses pour en faire bénéficier des personnes soupçonnées de faire l’objet de poursuites ou de condamnations judiciaires ou encore de graviter dans l’orbite du président syrien, Bachar el-Assad.Mercredi dernier, Nadim Gemayel, député Kataëb, avait dévoilé l’existence du document sur son compte Twitter, sachant que jusqu’ici il n’est pas publié au Journal officiel, bien qu’il porte la signature du ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, du Premier ministre, Saad Hariri, et du président de la République, Michel Aoun.
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L’information de M. Gemayel a aussitôt provoqué auprès de plusieurs parties politiques ainsi que parmi la population une vive indignation véhiculée par les médias. L’affaire est devenue d’opinion publique, comme l’a reconnu hier le ministère de l’Intérieur dans le texte présentant les noms des bénéficiaires. Parmi ces noms figurent ceux du financier syrien Moufid Karamé, des hommes d’affaires syriens Assaad Abdel Kader Abdallah Sabra et ses deux fils, et Khaldoun Mohammad Zoabi, ainsi que les membres des familles de l’ancien ministre syrien de l’Éducation, Hani Mortada, et de Farouk Joud, qui serait vice-président de la Chambre de commerce et d’industrie de Lattaquié. Tous sont considérés comme des proches du régime. Une centaine de ressortissants palestiniens et une dizaine de personnes sans papiers ont en outre été naturalisés, ainsi que l’ancien Premier ministre irakien Iyad Allaoui, son épouse et ses trois enfants.
Une société américaine « naturalisée » !
Les autres pays dont sont issus les bénéficiaires sont notamment la France, le Canada, la Suisse, l’Italie, la Grande-Bretagne, l’Argentine, la Grèce, l’Arménie, les Philippines, la Russie, la Suède, le Soudan, l’Arabie saoudite, la Jordanie, l’Iran, la Tunisie et les États-Unis. Et fait insolite, parmi la vingtaine d’Américains qui ont obtenu la nationalité, figure sur la liste « Star Skylights », une société de consultations dont les activités se trouvent en Afrique du Sud.
Aussitôt après la publication du décret, le ministère de l’Intérieur a lui-même affirmé dans un communiqué que certains de ces noms suscitent des doutes et qu’un supplément d’enquête va être mené. Mais cette affirmation n’a fait que rajouter à l’aspect ubuesque de l’affaire, le ministère étant censé avoir vérifié lui-même ces données avant que le décret ne soit signé.
Beaucoup de questions se posent en outre autour de la publication tardive du document. Il est vrai que la crise que le décret avait suscitée a commencé à trouver dimanche sa solution à travers la convocation par le chef de l’État du directeur général de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim. M. Aoun lui a demandé d’enquêter sur les noms des bénéficiaires, alors que, note-t-on, cette enquête aurait dû être menée avant la signature du décret, sachant que la SG comporte un département en charge de la naturalisation. M. Aoun avait dans le même temps voulu apaiser les esprits, demandant aux citoyens de fournir au ministère de l’Intérieur et à la Direction générale de la Sûreté générale toute information selon laquelle les personnes concernées par le décret ne méritent pas la nationalité. Mais comment les citoyens allaient-ils formuler leurs plaintes tant que le décret n’était pas publié ? Il a fallu deux jours, c’est-à-dire mardi, pour que M. Ibrahim indique
que le document allait paraître dans les 48 heures, c’est-a-dire hier. Ce qui fut fait. Entre-temps, le président Aoun s’était entretenu à Baabda avec le ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, mercredi, et avec M. Ibrahim, hier, réunions au menu desquelles devait vraisemblablement figurer la question du décret contesté.
Un texte signé le 11 mai
On craint dans certains milieux à ce propos que le document ait pris du temps à paraître parce que les responsables devaient y apporter des modifications. En tout état de cause, pense-t-on, le texte n’aurait pas été diffusé, n’était la fuite dont il avait fait l’objet, sachant qu’il avait été signé le 11 mai, au lendemain des législatives et avant la transformation du gouvernement en cabinet sortant.
Sans nier le pouvoir constitutionnel que détient le chef de l’État pour l’octroi de la nationalité, ce projet de naturaliser des centaines de personnes n’aurait-il pas dû être examiné par le Conseil des ministres et par le Parlement ? Certaines sources affirment à cet égard que ce sont les milieux de Aïn el-Tiné qui auraient fuité la liste. La raison en serait que le président de la Chambre, Nabih Berry, aurait été irrité du fait qu’il n’a pas été consulté sur le projet de naturalisations. Si ces informations sont vérifiées, on se retrouverait devant une nouvelle étape du bras de fer qui perdure entre les deux premières présidences.
Joint par L’Orient-Le Jour, pour savoir sa réaction sur la publication du décret, un cadre FL estime qu’« il s’agit d’une démarche positive », estimant toutefois que « le retard est dû à la réticence des responsables à diffuser parmi les noms des bénéficiaires certains noms suspects ». « Or le pouvoir ne peut regagner la confiance des gens en adoptant une attitude qui suscite l’inquiétude et de nombreux points d’interrogation », note-t-il, indiquant par ailleurs que son parti « va s’atteler à l’examen des noms et étudier le cas échéant la possibilité de recours auprès du Conseil d’État ».
Quant à Nadim Gemayel, également contacté par L’OLJ, il reste indigné de ce que « les noms des bénéficiaires n’aient pas fait l’objet d’investigations préalables adéquates », soulignant que « c’est la SG et non Interpol qui a qualité à mener ces enquêtes ». Le ministre de l’Intérieur avait déclaré la semaine dernière qu’il avait soumis les noms notamment à Interpol avant la signature du décret. Tout en indiquant qu’il n’a pas eu le temps d’étudier minutieusement la liste publiée, Nadim Gemayel constate que « parmi les bénéficiaires figurent des personnes qui portent atteinte à la sécurité financière du pays, d’autant que l’octroi de la nationalité à ces personnes court-circuite les mises en garde des États-Unis concernant l’ouverture de comptes appartenant à des Syriens ». « Ces personnes vont s’ouvrir au marché international et constituer donc un danger financier et économique pour le pays », ajoute-t-il, déplorant que « les investissements saoudiens aient été abandonnés pour être remplacés par une injection dans le secteur financier de fonds relevant du régime syrien ». « En plus de l’identité politique et culturelle du pays, on cherche maintenant à changer l’identité financière et économique », avertit M. Gemayel. Mais pour d’autres parties, les protestations contre cette mesure de naturalisation sont infondées. Edgard Traboulsi, député de Beyrouth et membre du bloc parlementaire aouniste, a appelé hier, dans une déclaration, à « mettre un terme aux surenchères qui exploitent le décret de naturalisation en vue d’intérêts politiques consistant à prendre pour cible la présidence et provoquer son échec ».
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J'espère que les américains ne vont pas s'inviter dans ce dossier et considérer que le Liban détourne, en quelque sorte, par la naturalisation, certaines sanctions contre certains hommes d'affaires arabes et autres. La plus belle était la naturalisation d'une société, ne fallait-il pas accorder à celle-ci le passeport diplomatique tant qu'à faire? !!!! Par ailleurs combien ont-ils payé de frais ces naturalisés?. Tout le monde paye de frais partout dans le monde, pour obtenir une nouvelle nationalité. Peut-être nos dirigeants ont payé de leurs poches à ces hommes d'affaires pour les supplier de devenir libanais. Il faut qu'ils nous disent pour faire une quête et leur rembourser ce qu'ils ont déboursé.
12 h 27, le 10 juin 2018