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Liban - Portrait

Nabih Berry, l’homme qui estime avoir « encore à faire »

Le président de la Chambre se livre à « L’Orient-Le Jour » et affirme que s’il est toujours là, c’est qu’il « a encore à faire ».

Nabih Berry, chef du Parlement. Photo d’archives

Il ressemble à cette terre du Sud, assoiffée de liberté, généreuse et en même temps exigeante, bafouée, attaquée, méprisée, convoitée, mais toujours là, inébranlable. De sa longévité au pouvoir et dans la politique, Nabih Berry déclare avec cet humour qui chez lui est comme une seconde peau : « En politique, il n’y a pas de passage à la retraite. On ne la quitte que dans deux cas, pour des raisons de santé ou lorsqu’on a le sentiment qu’on ne peut plus servir son pays. Moi, j’ai encore à faire... »
 Entre proverbes du terroir et grandes idées, incidents politiques et rencontres avec les grands de ce monde, Nabih Berry montre sa personnalité complexe, un mélange de bon sens rural, de ruse et en même temps de principes et de dignité. Des histoires, il en a des centaines à raconter, toutes plus intéressantes les unes que les autres, ayant, grâce à son parcours politique hors normes, non seulement vécu les principales étapes de la vie du Liban au cours des quatre dernières décennies, mais il en a été aussi un des principaux acteurs. Ses détracteurs critiquent sa présence dans le paysage politique depuis le début des années 80, mais ils oublient le fait que Nabih Berry a réussi à marquer la vie libanaise et, comme il le dit lui-même, sa personnalité aujourd’hui est le fruit de toutes les expériences qu’il a vécues, qu’il s’agisse de succès enregistrés ou d’épreuves traversées.
Il y a pourtant des constantes. Comme par exemple sa dévotion pour l’imam Moussa Sadr, fondateur du mouvement Amal. Nabih Berry n’oublie pas sa première rencontre avec lui, lorsqu’il était venu présenter ses condoléances à Tebnine, village natal du président de la Chambre. Il a tout de suite senti qu’il était en présence d’une personnalité impressionnante, dans la lignée de Jamaleddine al-Afghani, Mohammad Abdo ou Thomas d’Aquin. Mais ce jour-là, il n’y a pas eu de véritable échange entre eux. Quelque temps plus tard, un marchand de glace chrétien a ouvert une échoppe à Tyr. Un cheikh chiite a aussitôt déclaré que manger de la glace chez lui est prohibé par la religion. Ayant appris cela, l’imam Sadr décide de marcher à Tyr, un vendredi après la prière. Toute la ville marche avec lui. Il s’arrête devant le glacier et lui demande de le servir avec ceux qui l’accompagnent. Le vendeur lui murmure : « Je suis chrétien ! » Et l’imam lui répond : « Je ne vous demande pas quelle est votre religion, mais de me servir de la glace ! », et il déguste ensuite la glace dans la rue. Le message est ainsi passé. L’histoire est rapportée à Nabih Berry. On lui dit aussi que cet imam a interdit aux mendiants de rester dans la rue, leur faisant parvenir de la nourriture chez eux. Il décide alors de mieux le connaître. Il monte dans sa « Opel Record » et se rend chez l’imam Sadr à Tyr. Berry était déjà un activiste connu, notamment dans les milieux estudiantins. Il était président de l’Union des étudiants de l’Université libanaise et il avait mené les manifestations qui réclamaient la construction d’un bâtiment de l’UL à Hadeth pendant le mandat de Fouad Chéhab. Il s’était d’ailleurs rendu chez le président (qui était à Sarba) avec Pierre Gemayel dans ce but et ce dernier avait demandé à Élias Sarkis de s’entretenir avec eux. Ce qui avait irrité le jeune Nabih et l’avait poussé à partir... « J’étais jeune et fougueux », dit-il dans un sourire. Il est donc arrivé au siège de l’imam Sadr à Tyr, et ce dernier lui a demandé de s’asseoir à ses côtés. « Je n’ai plus jamais quitté cette place », dit-il simplement. En parlant de l’imam Sadr, l’émotion de Berry est intacte...

Nabih Berry a fait un séjour aux États-Unis et c’est pendant cette période que l’imam Sadr a disparu (en 1978). C’est Hussein Husseini qui a pris la relève et Berry était le vice-président. Au bout d’un an, il y a eu des protestations contre la direction de Husseini et les cadres ont demandé à Berry soit de prendre sa place, soit ils voulaient en élire un autre. Il a donc pris la tête du mouvement, sans remous. Il continue d’ailleurs à avoir, dit-il, de bonnes relations avec Hussein Husseini. Critiqué ou porté aux nues, il reste égal à lui-même, un homme proche du peuple, qui sait se mettre au niveau de ses interlocuteurs. Il précise ainsi qu’il est modeste avec ceux qui le sont et arrogant avec ceux qui le sont aussi. C’est ainsi que pendant la guerre de 2006, la secrétaire d’État américaine Condoleezza Rice avait rendez-vous avec lui. Mais auparavant, elle devait rencontrer le Premier ministre Fouad Siniora. Berry voit à la télévision Rice dans l’enceinte du Sérail, attendant que Siniora l’accueille à sa sortie de voiture. Il considère que c’est une insulte pour le Liban. Au lieu de l’accueillir devant l’ascenseur à Aïn el-Tiné, il l’attend donc devant son bureau. Une fois à l’intérieur, il étend les jambes (qu’il a longues) avec négligence, pour faire passer le message. Il parle ensuite des fermes de Chebaa et Rice lui demande pourquoi il évoque toujours ce sujet. Berry répond : « On m’a dit que vous aimiez faire du ski. Je voudrais donc que vous puissiez aller là-bas en faire ! »

De son propre aveu, Berry est intraitable lorsqu’il s’agit de la dignité du Liban. Il est aussi un fervent défenseur de la résistance contre Israël, dans ses entretiens politiques ou même dans ses écrits, car il est aussi un poète. Avec modestie, il précise que la poésie est dans les gènes de sa famille. Deux de ses oncles, Ibrahim Berry et Abdallah Berry, sont des poètes connus. Lui-même a publié des recueils et certains de ses poèmes ont été mis en musique, comme celui consacré à Bilal Fahs, un de ses gardes du corps tué par les Israéliens...

Un interlocuteur agréé
Malgré ses positions tranchées sur la résistance, Nabih Berry est un interlocuteur accepté de tous, notamment des Américains. Il précise à ce sujet qu’il n’a pas la nationalité américaine. Il avait une « green card » qu’il a déchirée et renvoyée au président Ronald Reagan, lorsque les médias américains l’avaient critiqué alors qu’il avait sauvé 39 otages américains lors du détournement d’un avion de la TWA sur Beyrouth, en 1985. Parmi les otages, il y avait aussi le chanteur Demis Roussos, qui est par la suite revenu chanter à Tyr en disant : « J’accepte si Berry me le demande ! » Berry rejette les accusations de corruption, précisant que lorsqu’il était en Sierra Leone, il gagnait 10 000 livres sterling par jour, car comme son père, il travaillait dans le commerce du diamant. Il affirme qu’il a toujours réclamé un État laïc car cela limite la corruption, mais le système libanais a été le plus fort. Il avait dit au président Élias Hraoui et au Premier ministre Rafic Hariri en 1992 : « Si vous vous basez sur le critère de la compétence, je ne veux rien. Mais si vous voulez le clientélisme, je veux ma part et je veux tout voir. » Malheureusement, c’est la seconde option qui a été choisie et qui continue d’être appliquée. « Hier, dit-il, le directeur des FSI est venu me voir. Il m’a expliqué qu’ils veulent enrôler 2 000 personnes alors qu’il y a 40 000 demandes. Autrement dit, la part des chiites est de 400. Je lui ai proposé de prendre les 400 meilleurs dans toutes les confessions, car je ne veux pas avoir à choisir. En réalité, j’ai toujours fait la même proposition, mais elle n’a jamais été retenue jusqu’à présent. »

En dépit des critiques qui lui sont adressées, Berry affirme qu’il n’a aucune rancœur. « Quand on veut faire de la politique, on ne doit pas être rancunier », dit-il, avant d’ajouter : « Pour moi, la principale valeur de l’islam, c’est le pardon, et celle du christianisme, c’est l’amour. » Il reprend aussi une phrase de l’imam Ali : « Quand Dieu aime quelqu’un, il le rapproche des cœurs. » Il espère ainsi avoir gagné les cœurs de ses gens, en tout cas, ceux de sa communauté, rappelant que c’est grâce à lui que le Sud a été reconstruit, avec un budget annuel pour le Conseil du Sud de 40 millions de dollars. « Et on dit encore que ce conseil est un symbole de corruption ! Il faudrait reprendre ce modèle pour le Akkar et Baalbeck-Hermel. Il y aurait alors un développement équilibré en quatre ans. » Son rêve, c’est de voir le Liban devenir un État laïc tout en respectant la parité entre chrétiens et musulmans, un pays où la loi est appliquée et où les jeunes et les femmes ont tous leurs droits. Selon lui, il y a actuellement au Liban 38 lois qui ne sont pas appliquées, dont l’une porte sur la formation du conseil d’administration d’EDL.

Comme il est souvent enfermé pour des raisons de sécurité, il regarde de nombreuses séries télévisées. Il suit actuellement al-Haybé et il répète une des phrases-clés du héros : « Ceux qui connaissent le plus le droit chemin, ce sont ceux qui ont commis des erreurs ! »
Berry espère toutefois ne pas en avoir commis un grand nombre. Une de ses réalisations, c’est son accord avec le Hezbollah (intervenu après un conflit armé entre les deux formations dans les années 80), qui est une option stratégique que beaucoup, dit-il, envient. À la tête d’Amal, M. Berry a aussi mené une guerre contre les Palestiniens. Cette page est désormais tournée. Aujourd’hui, sa plus grande fierté reste le fait qu’il n’a pas créé une dynastie politique. « Toute ma vie, j’ai lutté contre le féodalisme, qui régnait en particulier au Sud pendant 400 ans. Je n’allais donc pas trahir tout ce que j’ai fait pendant toutes ces années. C’est Amal qui prendra la relève, et comme on dit chez nous, dans une dernière boutade : “Le Prophète est mort mais la oumma a survécu.” »


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commentaires (5)

il n'est pas encore assez riche L'Etat Libanais peut se passer de lui depuis des dizaines d'années

FAKHOURI

17 h 03, le 08 juin 2018

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Commentaires (5)

  • il n'est pas encore assez riche L'Etat Libanais peut se passer de lui depuis des dizaines d'années

    FAKHOURI

    17 h 03, le 08 juin 2018

  • COMME IL LE DIT, IL A TOUJOURS À FAIRE. PEUT ÊTRE IL Y A DES POSSIBILITÉS ENCORE DE CRÉER QUELQUES POSTES DE FONCTIONNAIRES POUR CASER LE RESTE DE SES HOMMES, EN DOUANE PAR EXEMPLE.

    Gebran Eid

    13 h 43, le 08 juin 2018

  • Oui c vrai il y a toujours qqchose a voler...alors ...pourquoi se priver...

    Houri Ziad

    11 h 01, le 08 juin 2018

  • On peut l'accuser ce tout sauf de népotisme. En près de 40 ans d'exercice il aurait pu former un de ses enfants, neveux ou pourquoi pas épouse ( d'autres le font et sont respectés pour autant ) pour prendre la relève. ON ne peut pas dire qu'il est l'exemple type de ce qui pourrait faire le grandeur du Liban, mais il est le poisson dans l'aquarium libanais et ma foi il sait y faire avec les moyens de bord .

    FRIK-A-FRAK

    09 h 41, le 08 juin 2018

  • LA PRETENTION EST UN VICE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 29, le 08 juin 2018

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