Il y aurait donc des gens prêts à payer cher pour obtenir leur petit carnet bleu frappé d’un cèdre doré. Quitte à faire des neuvaines pour décrocher un visa, patienter jusqu’à l’épuisement aux douanes des aéroports dans les files « non européens » ou se faire carrément jeter dans un avion de retour après avoir été fouillé jusqu’à l’os aux postes de contrôle américains. Les a-t-on prévenus, ces imprudents candidats à la nationalité libanaise, qu’à l’étape suivante, il leur faudra, comme le martèle une réclame à la radio, « investir à Chypre » ou au Belize, ou encore en Grèce, au Portugal, ou dans quelque île oubliée de l’ancien Empire britannique, encroûtée de lave ou harcelée par les cyclones, sachant qu’ils n’y mettront jamais les pieds ? Ou s’exiler quelques années au Canada, sans céder à la tentation de revenir au Liban en catimini avant d’avoir accompli leur durée de résidence obligatoire. Car ici, ce n’est un secret pour personne, les « doubles nationaux » sont plus nombreux que les « seulement » Libanais. Une amie me racontait à ce propos l’hilarité d’un contrôleur égyptien à la porte d’embarquement de la MEA à Paris quand, dernière à présenter son document de voyage, un passeport français, celui-ci lui avait demandé, non sans humour : « Mais c’est quoi cet avion ? Ils se disent tous libanais, mais aucun n’a le bon passeport ! » Et comment oublier, à une époque où toute tentative d’organiser dans notre pays ne serait-ce que des élections municipales semblait impossible, le nombre de députés libanais qui faisaient la queue pour accomplir leur devoir citoyen aux élections présidentielles françaises.
Malgré cela, nous trouvons vexante la légèreté avec laquelle « notre » nationalité aurait été octroyée à des personnes dont on ignore si elles la méritent (et puis d’ailleurs, il existe des distinctions pour remercier ces gens, s’ils ont fait quelque bien au pays, manière d’y aller un peu avec le dos de la cuiller avant de les intégrer à notre impossible famille). À part que ce geste ne rend que plus criante l’injustice faite aux Libanaises qui ne peuvent toujours pas transmettre leur nationalité à leurs enfants, notre colère vient de plus loin. Elle vient de toutes les batailles que nous continuons à mener, de toutes les souffrances, toutes les humiliations que nous avons endurées, tous les sacrifices que nous avons consentis, tous les dangers que nous avons courus pour mériter d’appartenir à cette terre, même s’il nous a fallu parfois chercher la sécurité ailleurs. Au nom de notre jeunesse perdue et de notre avenir bouché, au nom de nos jours poussifs et de nos nuits décadentes, au nom de tous les talents que nous avons développés pour survivre et de nos enfants au loin que nous aimerions voir revenir, il nous serait pénible de voir notre passeport servir de couverture, comme cela semble le cas, à des hommes d’affaires dont le document personnel serait entaché, en contrepartie d’une somme d’argent, quand nous avons nous-mêmes payé le prix du sang pour conserver le nôtre. Libanais, nous dit-on, ce n’est pas une nationalité, c’est un métier. Qu’ils l’apprennent d’abord.
commentaires (3)
C'est le énième article qui traite le même sujet , et quasiment de la même façon (un peu trop soûlant non ?) depuis l'octroiement de la nationalité libanaise à quelques dizaines d'étrangers . Sachant quil y aura une révision dudit décret et sachant aussi que des milliers de syriens et palestiniens ont eu ce privilège sous tous les mandats précédents . Mais il faut toujours ergoter et chicaner quand une affaire touchèrent près ou de loin le président et surtout ... surtout le chef de la diplomatie .
Hitti arlette
17 h 16, le 07 juin 2018