Rechercher
Rechercher

Passeports en passe-passe

Fuite éperdue en avant, ou alors peu glorieuse marche arrière? Quel que soit le sort que connaîtra le projet de décret sur les naturalisations, les autorités ne sortiront guère grandies de cette ahurissante pantalonnade.


Bien mauvais timing, pour commencer. C’est bien vrai que l’octroi de la citoyenneté libanaise est absolument un privilège dont jouit tout président de la République; mais ce n’est jamais qu’en fin de règne, et non en pleine période de grâce, que le chef de l’État en fait usage. Et surtout pas en remuant, deux fois plutôt qu’une, le fer dans la plaie, à l’heure où la femme libanaise revendique le droit de transmettre sa nationalité à ses enfants ; et où le pays tout entier vit dans la hantise d’une installation permanente d’un million de réfugiés syriens venus s’ajouter à leurs compagnons d’infortune palestiniens. C’est d’extrême justesse, d’ailleurs, que le Conseil constitutionnel invalidait, tout récemment, un article scélérat de la loi du budget gratifiant d’un permis de séjour à tout étranger acquérant un appartement au Liban.


Procédé peu digne ensuite, que ce texte trois fois signé à la sauvette par nuit noire, loin de toute transparence et toute honte bue, un texte dont l’objet, de surcroît, ne saurait passer pour une de ces affaires courantes que se charge d’expédier l’actuel gouvernement démissionnaire. Mais si cette inconcevable cachotterie fait scandale, c’est surtout en raison de ses implications politiques, auxquelles vient inévitablement s’ajouter – aux yeux (et aux narines !) d’une opinion publique traumatisée par la corruption ambiante – une forte odeur d’argent. D’argent sale, comme de bien entendu.
Éminemment syrienne est la connexion politique, même si on a eu tout le temps d’en faire disparaître la trace. Noyés dans la masse des postulants, figuraient en effet des proches du régime de Damas objets de sanctions financières US, ou bien alors servant de prête-nom à des personnages plus haut placés. En faire des citoyens libanais eut valu à notre pays les foudres d’une Amérique qui s’alarme déjà du score électoral réalisé par le Hezbollah. Une fois la manœuvre éventée par le député Kataëb Nadim Gemayel, ces messieurs ont publié des démentis en rafale, protestant de leur attachement exclusif à leur patrie d’origine : trop verts étaient soudain les raisins de la fable…


Ce n’est qu’au lendemain du scandale que l’on s’est avisé de confier à la Sûreté générale, première concernée mais inexplicablement ignorée, l’examen de la liste des bénéficiaires. Et ce n’est qu’au terme d’un long silence que le chef du gouvernement sortant et le ministre de l’Intérieur, les deux autres signataires du document, ont volé au secours du soldat Michel Aoun. Qui, seul à meubler quelque peu le lourd silence officiel, avait abordé le problème par le mauvais bout en invitant les contestataires à faire part de leurs réserves sur les noms litigieux, à un moment où le simple accès à ceux-ci était interdit, même aux parlementaires : appel repris hier par la Sûreté, visiblement soucieuse d’aider la présidence à sauver la mise.
Des décennies durant, l’occupation baassiste s’est acharnée à asservir notre pays, à en diluer la spécificité, à le syrianiser. Un seul peuple dans deux États était alors le slogan de l’heure, en attendant sans doute le jour où il n’y aurait plus qu’un État. Piètre consolation, ce sont aujourd’hui des Syriens aux abois qui convoitent le titre de voyage frappé du sceau du cèdre.


Reste à rappeler que dans un pays au tissu socioculturel aussi extraordinairement délicat que le Liban – un pays où l’on ne craint pas d’afficher son obédience à l’une ou l’autre des puissances régionales – ce sont des responsables d’exception, eux-mêmes entourés de lieutenants à l’intégrité sans tache, qu’exige toute initiative à connotation démographique. Que les intérêts politiques ou bassement matériels s’en mêlent, et ce sont les gouvernants eux-mêmes qui auraient bien besoin alors de sauf-conduits, passeports et autres visas pour se gagner la considération, le respect, le soutien des citoyens.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Fuite éperdue en avant, ou alors peu glorieuse marche arrière? Quel que soit le sort que connaîtra le projet de décret sur les naturalisations, les autorités ne sortiront guère grandies de cette ahurissante pantalonnade.Bien mauvais timing, pour commencer. C’est bien vrai que l’octroi de la citoyenneté libanaise est absolument un privilège dont jouit tout président de la République;...