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Culture - Entretien

Thierry de Gorostarzu ouvre grande sa fenêtre sur la mer

Les toiles lumineuses de l’artiste français sont autant de « Rêveries » à la galerie Cheriff Tabet.

Une toile de Thierry de Gorostarzu exposée à la galerie Cheriff Tabet.

L’idée de consacrer sa vie à la peinture était un évidence. Pourtant, lorsque Thierry de Gorostarzu a été en âge de choisir, il s’est tourné vers un métier qu’on qualifierait « de raison ». Heureusement, le cœur prend toujours le dessus chez qui sait l’écouter. Voilà comment ce Français a récupéré in extremis la voie pour laquelle il se savait destiné depuis sa plus tendre enfance : la peinture. Depuis, il rend hommage à son pays en peignant ses plus belles plages, par une fenêtre intérieure. Ses peintures prennent la forme d’une invitation à découvrir son univers intime, et pourtant, elles sont familières. La Bretagne, le Cap-Ferret, Venise, la côte amalfitaine, autant de paysages qui ont conditionné un geste pictural plein de douceur. Une identité forgée par un dense passé et, coûte que coûte, par une volonté de vivre le moment présent. Un rapport à la temporalité particulier, façonné par la découverte des plus grands, grâce à ce que les musées comme le Louvre et L’Orangerie offrent à voir. Entretien.

Pourquoi intituler l’exposition « Rêveries » et comment êtes-vous arrivé au Liban?
Ma venue au Liban est le fruit d’une rencontre avec Cheriff Tabet, il y a un an, alors que j’exposais à Paris. Séduit par mon travail, un projet d’exposition à Beyrouth s’est rapidement dessiné. Cet accrochage s’articule autour de thèmes qui constituent mon identité picturale depuis mes débuts. Il y a une continuité dans mon travail que l’on remarque avec l’omniprésence de l’eau notamment, ou avec ce principe de vues d’extérieur peintes de l’intérieur. Ainsi, le regard se perd sur l’horizon, laissant aller nos pensées à l’évasion. C’est de là qu’est venu le titre Rêveries.

Vos peintures semblent détenir un rapport au passé très fort…
À travers des prétextes actuels, des lieux que je découvre aujourd’hui, certaines émotions ressenties résonnent en écho avec d’autres plus anciennes. Il arrive que l’on découvre un endroit pour la première fois et qu’on y éprouve pourtant une sensation de bien-être comme si on l’avait toujours connu. Cette sorte de connexion avec nos souvenirs enfouis fait partie de ma démarche. Par exemple, lorsque je suis arrivé dans ce véritable théâtre qu’est Venise, cela a réveillé en moi des émotions d’autrefois, étroitement liées à mon adolescence. Ce n’est pas pour autant qu’y peindre s’est avéré plus simple… Pour peindre ce que je voyais là-bas, j’ai été un peu ennuyé car ces paysages ont été le sujet d’innombrables œuvres. Je me suis alors demandé comment j’allais pouvoir peindre Venise à ma propre manière. J’ai finalement décidé de garder mon modeste regard de promeneur et de peindre ce que j’y voyais avec la plus grande des simplicités. La vue qui a retenu mon attention est celle avec la grue qui inscrit la scène dans le présent. En réalité, je ne veux pas que mes peintures soient particulièrement tournées vers le passé, mais je crois que tout est un peu passéiste… Passéiste dans le sens où il est vrai que je ne peins pas des lieux d’une franche modernité et pourtant, la présence d’éléments comme le soleil, l’eau et la sensation, que l’on peut à tout moment faire notre entrée sur la scène, ancre profondément le spectateur dans le présent. C’est cette relation d’universalité, du passé avec le présent qui m’intéresse.

Les personnages sont rares dans vos peintures. Pourtant, certaines de vos toiles sont centrées sur un seul et unique individu...
Si j’évite de peindre des personnages, c’est pour ne pas perturber l’imaginaire du spectateur. Comme un privilège, on s’approprie le lieu alors qu’on n’y a jamais mis les pieds. Un peu comme si on était seul la nuit dans un musée et qu’on avait la chance d’avoir cet espace rien que pour nous. C’est ce côté intimiste qui me tient à cœur et auquel j’insuffle toujours une optique réaliste rendant possible le voyage dans la toile. Les personnages que je peins le sont de façon individuelle pour permettre au public une identification. Le fait que cette personne soit dans ce lieu, sur ce plongeoir, avec la chaleur suggérée et l’eau tout autour fait qu’elle pourrait être n’importe qui. On retrouve cette idée qui m’est chère : la possibilité de se retrouver seul avec soi-même.

Votre démarche est d’offrir au spectateur un espace de liberté pour son imaginaire ?
Je cherche à offrir au public une sensation d’instantanéité, qu’il puisse créer sa propre relation au tableau. Comme devant une pièce de théâtre, des actions peuvent se dérouler, des personnages peuvent surgir, et le spectateur, lui-même, peut franchir le pas de la porte. Il y a toujours de la théâtralité dans les scènes que je peins. Grâce à un oncle comédien, j’ai très tôt découvert la scène et je crois que mon imaginaire a été conditionné par cette idée que lorsqu’on est assis à la place du spectateur, le rideau s’ouvre et tout devient possible. Cette dimension contemplative a tendance à me ramener à l’enfance et à me remémorer le souvenir de cette vue de la mer que j’admirais de ma maison de vacances près d’Hossegor. Je souhaite que chacun puisse s’approprier le lieu pour y retrouver ses propres sensations, y ressentir des émotions toutes personnelles. J’associe beaucoup la liberté et l’imagination aux petits bureaux. Ils ont pour moi une importance particulière et symbolique, toujours liée au passé. C’est un flash d’enfant où je me trouvais dans une maison de campagne, et près d’une grande fenêtre, il y avait ce fameux petit bureau. J’avais l’impression qu’en m’asseyant à cette chaise, j’allais pouvoir écrire, mieux comprendre et apprendre. J’imaginais que tout allait s’éclairer et devenir simple car j’avais devant moi un espace qui allait remplir mon imaginaire de l’immensité du paysage.

Auriez-vous souhaité  être écrivain ?
Tout à fait, je crois que cela m’aurait plu. Au lieu de cela, j’écris les choses autrement, avec une autre forme de langage, mais la démarche reste la même. Les vues que j’ai peintes du Liban, le restaurant Chez Maguy à Batroun et le petit fort à Byblos, diffèrent des paysages que je peins en France et en Italie, et pourtant, ma façon de faire reste la même. Comme un style d’écriture, les lieux changent, mais je ne peux pas peindre les choses d’une autre manière. Au début, quand je peignais, je n’avais pas les idées aussi claires, mais avec du recul, je parviens à analyser davantage mon travail.

Alors, pourquoi peignez-vous ?
Pour me retrouver moi-même, avoir la sensation d’exister, me ré-approprier mon passé et ainsi, exister dans le présent. Finalement, ce sont des sensations qui nous habitent tous, et mon souhait est, à travers mes peintures, de rendre ces émotions éternelles.
C’est un réel plaisir de se sentir exister face à un tableau qui nous est familier. Je crois que c’est en ce sens qu’on dit d’un tableau qu’il est habité. S’il est habité par l’artiste qui l’a peint, eh bien il peut tout autant l’être par la personne qui l’observe, qui n’a pourtant rien à voir avec le tout… C’est ce bien-être que je cherche à transmettre.

« Rêveries », à la galerie Cheriff Tabet, D Beirut, jusqu’au 29 juin.

L’idée de consacrer sa vie à la peinture était un évidence. Pourtant, lorsque Thierry de Gorostarzu a été en âge de choisir, il s’est tourné vers un métier qu’on qualifierait « de raison ». Heureusement, le cœur prend toujours le dessus chez qui sait l’écouter. Voilà comment ce Français a récupéré in extremis la voie pour laquelle il se savait destiné depuis...

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