La liberté de l’homme est fondée sur le droit à la différence et la liberté d’expression et de croyance. L’unanimité, quant à elle, va à l’encontre de la nature humaine et n’est généralement acquise que par le biais de l’intimidation, de la menace ou de la répression. Il s’agit d’une situation éphémère et maladive, corollaire des dictatures.
Voilà que l’astre de l’unilatéralisme brille aujourd’hui de mille feux dans la vie politique libanaise. Il est devenu l’objectif à atteindre par des formations politiques qui se veulent seule détentrice de la représentation confessionnelle ou sectaire. Ainsi la représentation chiite est-elle hypothéquée par le duopole Amal-Hezbollah et un quasi-monopole chrétien cherche-t-il à se confirmer. Seule la communauté libanaise sunnite semble être perdante à ce jeu, pour n’avoir pas consacré lors des dernières législatives son alignement, faisant montre au contraire d’un pluralisme saisissant.
Pour ceux dont la mémoire serait défaillante, la mainmise sur la représentation de la communauté chiite n’a pas été effectuée par la persuasion et les moyens démocratiques, mais par les liquidations et les guerres fratricides. Quant aux guerres chrétiennes d’unification du fusil, leurs séquelles sont encore apparentes dans la communauté chrétienne, à l’heure où l’accord de Meerab, reflet d’une mentalité clanique, trébuche.
On ne le dira jamais assez : les alignements des Libanais, surtout de nature confessionnelle, sont dangereux et destructeurs. L’unilatéralisme chiite a donné naissance à la fameuse ritournelle d’une soi-disant mithaqia, qui a engendré à son tour des gouvernements « consensuels », suspendant la pratique démocratique et torpillant le principe du règne de la majorité politique et de l’opposition de la minorité.
Or seul un Liban au sein duquel les citoyens seraient égaux en tant qu’individus, et non en tant que groupes, est à même d’entretenir la démocratie et de protéger le régime politique. De même, toute majorité démocratique est certainement plus solide et plus saine qu’une unanimité imposée par la force, l’intimidation et le fanatisme. Preuve en est, la hâte avec laquelle Hassan Nasrallah s’est précipité, haletant, à Baalbeck et ses environs, faisant usage de tous les moyens afin d’absorber un ressentiment de plus en plus répandu chez les habitants de la région, et de circonscrire la libération de la parole chez ces derniers… de peur que sa liste ne soit percée, ne fut-ce qu’au niveau d’un seul siège.
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Comme dans tout régime répressif, la situation de mainmise totale sur la représentation chiite au Liban ne sera pas modifiée par les moyens démocratiques, mais elle implosera à la première occasion. Quant à l’unanimité au niveau de la représentation sunnite, elle n’a heureusement jamais été possible dans la mesure où aucune force n’a jamais réussi à l’imposer – ce qui est une aubaine. Même Rafic Hariri n’a pu compter, avant son assassinat, sur un unilatéralisme qu’au prix de certains députés et un cahier des charges imposés par Damas.
C’est pour cela que Saad Hariri ne devrait pas être triste de ne pas être parvenu à limiter la représentation sunnite à son propre courant. Il s’agit là de la règle du jeu démocratique et de la proportionnelle. Il ferait mieux, comme tout leader démocratique, de chercher les causes du recul de sa représentativité, malgré ses tentatives de mobiliser sa base populaire au dernier moment de la bataille électorale. Cette base fidèle ne l’a jamais trahi, mais s’est éloignée de lui en raison des pratiques de certains de ses conseillers, d’une loi électorale qu’il n’aurait jamais dû accepter, et, surtout, parce qu’elle s’est retrouvée, au cours des deux dernières années, soit étrangère à ses choix politiques peu convaincants, soit parce qu’il n’a pas cru bon de devoir justifier suffisamment ces choix.
Son slogan de la « protection du Liban » ne saurait être réalisé à travers la soumission d’une partie pacifiste au diktat d’une autre partie armée. Il ne saurait non plus être réalisé par le biais d’alignements confessionnels, mais à travers la protection des droits et de la dignité du citoyen, quelle que soit sa religion, par un État fort et juste. Cela, le compromis présidentiel, dont nous attendons toujours la preuve de la justesse, n’a pas su l’assurer… Les exemples sont légion : la mise à feu de permanences politiques, les atteintes à la dignité des citoyens, ou encore la propagation de voyous dans les rues sous l’étendard de la résistance et de son parti, avec lequel nous avons effectué un jour une liaison de contentieux et qui ne cesse aujourd’hui de multiplier les agressions, en estimant sans doute que sa route vers les hameaux de Chebaa passe par Beyrouth…
Quant au slogan de la « distanciation », dont le Hezbollah a fait fi dès le premier jour, ses effets se sont limités à justifier le retour de Saad Hariri sur sa démission de Riyad, et à édifier le « règne des forts », comme le prône aujourd’hui le ministre Gebran Bassil. Alors qu’en fait, ce n’est autre que le règne des « princes des communautés », aux dépens d’une situation socio-économique de plus en plus alarmante.
Hassane Rifaï est avocat, ancien membre du bureau politique du courant du Futur
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commentaires (12)
Cher Hassane Rifaï, J'ai omis d'ajouter ceci sur la route des Hameaux de Chébaa, si elle passe par Beyrouth, Damas ou Tel-Aviv. Israél les avait occupés en 1967 soit depuis 51 ans au même titre que le Golan syrien parce que l'Etat de Syrie n'a jamais reconnu leur appartenance à l'Etat du Liban. Déduction : Leur route passe par Damas. Débat clos définitivement.
Un Libanais
16 h 09, le 28 mai 2018