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Dans la tête de Ali Khamenei

Il n’est pas facile d’être l’Iran, aujourd’hui. D’être Iranien. D’être les descendants de Darius et de Xerxès. Pas facile de vouloir à tout prix conjuguer la puissance des Achéménides; la noblesse des Sassanides ; l’orgueil des Pahlavi ; l’héritage gigantesque de Khomeyni, à commencer par les diktats du Vilayet el-Faqih ; les célébrations zoroastriennes et la charia. Pas facile de vouloir réécrire l’histoire en gommant toutes ses vicissitudes et amplifiant ses bienfaits ; pas facile de dynamiter la géographie pour créer une néo-Perse qui s’étendrait de la province d’Ardabil jusqu’au caza de Bint-Jbeil au Liban, aux portes nord d’Israël – comme si les mers Caspienne et Méditerranée avaient fini par s’emmêler. Pas facile du tout.
Ce projet, que tous ceux qui se sont succédé au pouvoir à Téhéran partagent, chahs et ayatollahs confondus, avec des moyens et des méthodes, certes, différents, un homme voudrait le voir sérieusement avancer tant qu’il est encore temps : Ali Khamenei. L’ancien président de la République de 1981 à 1989, sayyed de son état, papa-Gepetto d’un certain Hassan Nasrallah, aujourd’hui Rahbar, c’est-à-dire guide suprême de la Révolution islamique, sait que le destin est gueux. Qu’à une ou deux lettres près, il aurait pu s’appeler Khomeyni. Être celui grâce à qui tout a commencé. Être omniscient et omnipotent, religieusement et politiquement. De ce handicap originel, il veut pourtant tirer une force. Un titre. Celui de remodeleur, justement, des frontières, toutes les frontières, de l’Iran. Celui d’interlocuteur absolu et privilégié des grands de ce monde. Celui de faiseur.
Mais rien désormais ne va comme il le veut. À son pied déjà, une sacrée épine : l’Irakien Moqtada Sadr, tout près de lui, un des grands vainqueurs des dernières législatives dans son pays. Pas loin, le tsarévitch de toutes les Russies, Vladimir Poutine, vient de lui décrocher une jolie flèche de Parthe en lui faisant clairement comprendre qu’il ne veut pas de lui et de ses hommes en Syrie. Pas loin non plus, de l’autre côté, ces satanés Arabes du Golfe, qu’il déteste par-dessus tout, et qu’il lui faudra de plus en plus prendre au sérieux, contre lesquels il lui faudra de plus en plus se défendre. Par-delà, Israël, l’ennemi absolu et ultime officiellement, mais avec qui, parce qu’il est redoutablement intelligent et pragmatique, Ali Khamenei accepterait bien de corégner, officieusement, sur le Proche-Orient. Il y a aussi, tapi dans l’ombre, cette tête de Turc d’Erdogan, qui veut exactement la même chose pour sa Turquie que lui pour son Iran – sauf que l’un des deux seulement pourrait mathématiquement, éventuellement, vaincre. Plus à l’Est, il y a ces Européens, ces « barbares » qui « portent des costumes et des cravates fraîchement repassés », qui « sentent l’eau de Cologne, mais qui, au fond, ont toujours la même nature barbare connue de l’histoire : ils tuent avec facilité, ils assassinent les gens sans aucun problème », mais avec lesquels il est obligé de négocier, de faire des compromi(ssion)s, de commercer. Et enfin, le Mal absolu, l’axe à lui tout seul, celui-là même qui lui fait regretter non seulement Barack Obama (qu’il adorait détester et qu’il détestait adorer), mais aussi George W. Bush et sa Condoleezza Rice eux-mêmes : Donald Trump.
D’autant que le locataire de la Maison-Blanche vient d’avoir la meilleure fausse-bonne illumination de sa jeune carrière de président : le changement en Iran ne peut venir que de l’intérieur, a-t-il pensé comprendre, avec ou sans l’aide du gendre (il y a toujours, quelque part, un gendre…). À la bonne heure : le brave Ali Khamenei le sait bien. Il sait bien à quel point, aussi, il est dangereux pour lui de se pencher au-dedans : ses compatriotes bouillonnent. Économiquement, c’est un enfer, et les sanctions US ont fini de vampiriser un Iran exsangue. Les Iraniens n’ont plus peur de le hurler sur tous les toits, ensemble, groupés : ils n’en peuvent plus et ils exigent que cela cesse, et change. Drastiquement. Déjà, au lendemain du tremblement de terre meurtrier de Bam en 2003, ils rageaient contre tout cet argent qui, au lieu de les aider, s’en allait dans les poches et les armes du Hezbollah. Parce qu’il faut rappeler que les Iraniens n’ont pas beaucoup d’estime pour leurs coreligionnaires non-iraniens, qu’ils soient d’Irak, du Golfe, d’Afghanistan et d’Azerbaïdjan, ce nouvel ami d’Israël, ou, bien sûr, du Liban… Et Ali Khamenei mieux que quiconque sait de quoi est capable son peuple, si tant est que les bons grains sont semés, si tant est que les outils de la récolte sont disponibles, si tant est, surtout, que ce soit le bon timing. Pour des femmes et des hommes qui ont pu vaincre la Savak du chah, en finir avec les pasdaran n’est pas mission impossible, loin de là.
Heureusement, dans tout ce noir, il y a un peu de lumière. Il y a le fils. « L’une des grandes grâces de Dieu, aux côtés de la République islamique, est la présence du chef (NDLR : Ali Khamenei) – ce grand chef qui jouit de la grâce de Dieu. Je dis cela par expérience, pas comme un geste de politesse. Ils devraient être conscients de la valeur de ce grand chef, et savoir comment tirer le meilleur parti de cette grâce et remercier Dieu pour cela. Ils devraient préserver cela. Avec l’aide de Dieu, ils devraient bénéficier le plus de cette grande personnalité. » Le fils, c’est naturellement Hassan Nasrallah. L’auteur de ce dithyrambe public. Un Hassan Nasrallah qui n’hésitera pas, une seule seconde, à sortir le père de l’hyperpétrin dans lequel il se trouve. Il suffit que le père le demande – qu’il lui demande, par exemple, de kidnapper de nouveau deux soldats israéliens, ou, variante sympathique, d’allumer quelques feux en terres syriennes, les possibilités sont désormais plus nombreuses.
Et comme d’habitude, les Libanais en sont réduits à attendre, désespérément, dans l’espérance ou la terreur, cela dépend, que des fils tuent leur père. Ou, parfois, leur beau-père.
Il n’est pas facile d’être l’Iran, aujourd’hui. D’être Iranien. D’être les descendants de Darius et de Xerxès. Pas facile de vouloir à tout prix conjuguer la puissance des Achéménides; la noblesse des Sassanides ; l’orgueil des Pahlavi ; l’héritage gigantesque de Khomeyni, à commencer par les diktats du Vilayet el-Faqih ; les célébrations zoroastriennes et la charia....

commentaires (7)

Le nouvel empire perse à la recherche, dit-on, d'un débouché sur la Méditerranée. Ceci est la cause de sa mainmise sur le Liban après l'Iraq et la Syrie, ce qui a provoqué un immense malaise chez 80% de la population libanaise. Je profite de l'occasion pour dire aux dirigeants iraniens qu'il existe une solution plus facile : Un débouché pour l'Iran en Territoire des Alaouites, c'est un espace de 6600 km2 avec 150 km de côtes avec en face l'ïle de Rouad. Je n'attaque personne, je n'insulte personne, mon idée est uniquement pour la pais et la fraternié dans mon pays.

Un Libanais

16 h 41, le 28 mai 2018

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Commentaires (7)

  • Le nouvel empire perse à la recherche, dit-on, d'un débouché sur la Méditerranée. Ceci est la cause de sa mainmise sur le Liban après l'Iraq et la Syrie, ce qui a provoqué un immense malaise chez 80% de la population libanaise. Je profite de l'occasion pour dire aux dirigeants iraniens qu'il existe une solution plus facile : Un débouché pour l'Iran en Territoire des Alaouites, c'est un espace de 6600 km2 avec 150 km de côtes avec en face l'ïle de Rouad. Je n'attaque personne, je n'insulte personne, mon idée est uniquement pour la pais et la fraternié dans mon pays.

    Un Libanais

    16 h 41, le 28 mai 2018

  • Dans la tête de Ali Khamenei? Tout comme dans la tête de bien de nos dirigeants : plein d'espace (vacant, on présume) et des dollars.

    Wlek Sanferlou

    15 h 55, le 28 mai 2018

  • Oui, c'est vrai Monsieur Zyad Makhoul, les vrais Perses ont une très longue et magnifique histoire... Ali Khamenei et consorts...que quelques années d'obscurantisme négatif qui n'ont pas servi à faire avancer leur pays, mais à le faire reculer vers le néant ! Irène Saïd

    Irene Said

    14 h 57, le 28 mai 2018

  • Très amusant Ziad ! Dans le style , je préfère Gaby Nasr . Soyez pas jaloux Ziad, je parle de l'Iran de Khamenei, de Darius et de tous ceux que vous avez évoqué comme étant les dirigeants historiques de cet empire perse . Restons dans l'histoire, les perses ont 10.0000 ans d'histoire, soyez pas jaloux Ziad, on aurait aimé nous autres les pheniciens , les caneens name it ...etc.... leur ressembler aujourd'hui, pourquoi pas , puisque même les juifs se sont inspirés d'eux et de leur civilisation Zoroastienne pour apporter à notre civilisation le monothéisme. Soyez pas jaloux Ziad , l'Iran NOUVELLE PUISSANCE RÉGIONALE l'est devenu sous des sanctions , des embargos des boycotts douloureux, 40 ans de cure aussi amaigrissante , aurait dû la faire disparaître, ne pensez vous pas ? Allez consolez vous avec ce que je vais vous dire , si l'Iran NPR est arrivée à ce stade , c'est sûrement parce qu'elle ne s'est jamais découragée face à l'adversité et qu'en plus avoir traversé les siècles avec autant de courage devrait les rendre un plus sympathiques , même si on a une facilité déconcertante à les regarder comme des personnages bourrus. Al dynia douleb !

    FRIK-A-FRAK

    12 h 46, le 28 mai 2018

  • Le pire c'est khomeini

    Eleni Caridopoulou

    12 h 17, le 28 mai 2018

  • Ali Khamenei, "guide suprême" pour dominer et usurper d'autres pays à l'aide de guerres en Syrie, Irak, Liban et Yémen...et combien de vies déjà sacrifiées pour atteindre ses buts ? Où se trouvent la miséricorde et l'aide au prochain enseignées aussi dans la religion que représente ce "guide suprême" de l'Iran ? Irène Saïd

    Irene Said

    10 h 01, le 28 mai 2018

  • TURCS ET IRANIENS, DEUX VAMPIRES QUI REVENT D,EMPIRES !

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 26, le 28 mai 2018

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