Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole - par Lucien RAFFOUL

Biens immobiliers contre séjour

Le Liban va toujours à contre-courant. Une loi qui invite les gens très peu fortunés à venir densifier le Liban. Cela rappelle une autre aberration en cours. Quand, dans le monde, on cherche à réduire la circulation des voitures en faveur du rail et du transport en commun, au Liban on pense faire superposer des routes en prévision de l’augmentation des immatriculations !
Les investissements étrangers sont toujours les bienvenus pour soutenir la croissance d’un pays. Le Liban vient de se lancer sur cette voie – un appartement acquis à plus de 300 000 dollars permettra un droit de séjour permanent.
Cette offre est pratiquée dans beaucoup de pays avec des fourchettes allant de 90 000 dollars pour la Lettonie à 10 millions d’euros pour la France, en passant par l’Espagne à 160 000 euros.
Chaque pays a une vision de ses intérêts et de sa politique. L’Espagne a un stock de près d’un million d’appartements à écouler (le chiffre laisse imaginer l’intérêt d’un tel investissement). La France invite les très riches au train de vie conséquent. Quand on investit 10 millions d’euros pour l’appartement, on peut imaginer le faste à côté et les dépenses induites – c’était l’idée derrière notre loi, j’imagine. Ces résidents français s’ils n’habitent pas l’appartement (considéré dans ce cas comme une résidence secondaire) payeront des taxes annuelles qui s’élèvent à l’équivalent de quatre mois de loyer. Dans le cas où ils habiteraient l’appartement, ils subiront une taxe équivalente à 2 mois de location et se verront appliquer l’impôt sur le revenu, lequel sera calculé sur la valeur locative du bien, et cela même s’ils ne travaillent pas. À ajouter les charges et frais de ravalement qui restent obligatoires dans les deux cas. De surcroît, ce genre de clientèle est gourmand de décorations, d’aménagements luxueux et de services qui laisseront beaucoup de plumes.Au Liban et pour différentes raisons, nous assistons à une énorme demande étrangère potentielle sur l’immobilier. Vu la taille du pays et la saturation en termes de densité d’occupation, on aurait plutôt intérêt à vulgariser le bail emphytéotique. Oui, ce mot « étonnant encore au Liban » existe de par la loi. Il consiste à louer son bien à 40 – 50… 80 ans, ce qui est pratiqué essentiellement par les religieux au Liban mais qui fait l’essence des ventes-locations à Londres et même dans certains pays du Golfe. Mais comme les projets simples et la vision à long terme (qu’on va acheter) ne sont pas le point fort de nos politiques, revenons aux conséquences de la loi ainsi proposée au Liban, à savoir « un séjour permanent contre achat d’un appartement à partir de 300 000 dollars ».
Pour un tel avantage, un appartement à 250 000 dollars, voire moins, sera déclaré à l’achat à 300 000 dollars pour obtenir le sésame. Pour une telle offre à 250 000 dollars, il y a toute la classe moyenne syrienne, palestinienne et irakienne réfugiée au Liban, en Jordanie et en Turquie (et même encore en Syrie) qui serait preneuse. La guerre en Syrie n’est pas encore terminée. Avec la paix on ne sait pas si le pays va être reconstruit, dans tous les cas on ne sait pas qui va financer la reconstruction et dans combien de temps ? À ajouter que les « réfugiés » qui se sont habitués au niveau de vie libanais se feront difficilement aux quelques dizaines de dollars que représente le salaire d’un employé, voire d’un enseignant. Cette offre de séjour, je ne sais pas si elle donne aussi le droit de travailler. Mais dans tous les cas, nous avons vu nombre de ces immigrés transformer leur appartement en atelier.
Pour toutes ces raisons et pour bien d’autres je présume qu’il y aura une très grande affluence pour l’acquisition d’appartements à 250 000 dollars. Mais lorsqu’on sait que c’est la tranche la plus recherchée par nos jeunes Libanais accédant à la propriété, on va assister à une concurrence déloyale qui fera monter les prix de l’immobilier. Cela va dynamiser l’immobilier et encourager les Libanais appauvris à vendre aux promoteurs leurs terrains dans les zones rurales, où se trouve la réserve de notre jeunesse et où l’immobilier est moins cher. On consolidera ainsi le transfert choquant et rapide de populations qui a cours sous nos yeux depuis 7 ans dans les pays voisins contre un transfert joyeux et doux de nos derniers jeunes Libanais ainsi enrichis de la manne immobilière.
Pas besoin de payer Mackenzie pour une telle « vision ». En tant qu’économiste, je propose de modifier ce projet en ajoutant le zéro que je lui donne, à droite des 300 000$.
S’il faut appliquer à tout prix ce projet et rester libanais ce sera, dans tous les cas, « séjour contre bail emphytéotique ». Nous soutiendrons ainsi financièrement les Libanais propriétaires, nous ferons rentrer la coutume du bail emphytéotique – les acheteurs dans ce cas étant obligés de l’accepter – et garderons la terre à nos enfants.

Lucien RAFFOUL
Économiste

Le Liban va toujours à contre-courant. Une loi qui invite les gens très peu fortunés à venir densifier le Liban. Cela rappelle une autre aberration en cours. Quand, dans le monde, on cherche à réduire la circulation des voitures en faveur du rail et du transport en commun, au Liban on pense faire superposer des routes en prévision de l’augmentation des immatriculations !Les...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut