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Économie - Focus

Liban : L’agriculture, grande oubliée du gouvernement sortant

Les agriculteurs rencontrent toujours autant de difficultés pour exporter, tandis que leurs produits sont concurrencés sur le marché local.

Un champ de tomates dans le Kesrouan. L’agriculture libanaise est dans un état catastrophique, selon le Creal. Photo: PHB

En poste depuis 2016, le gouvernement sortant assume depuis la semaine dernière la gestion des affaires courantes en attendant que les consultations parlementaires débouchent sur la formation d’un nouvel exécutif. Sur le plan économique, l’équipe dirigée par Saad Hariri – qui a été reconduit à son poste la semaine dernière – a réussi à avancer sur certains dossiers pendant son mandat, comme celui des hydrocarbures offshore ou de l’adoption du budget de l’État. Il s’est en revanche montré beaucoup moins actif dans d’autres domaines, notamment en matière de politique agricole.
En janvier dernier, ce désintérêt a même conduit le ministre sortant de l’Agriculture, Ghazi Zeaïter, à quitter le Grand Sérail au cours d’une réunion du Conseil des ministres en signe de protestation.

PIB agricole en baisse
Sur le terrain, c’est le sentiment d’abandon qui domine, dans un secteur qui représente moins de 5 % du PIB libanais (15 % en comptant les filières non agricoles qui en dépendent) et qui fait vivre environ 200 000 familles directement ou indirectement, selon les estimations du Centre libanais de recherche et d’étude agricoles (Creal). Ce centre s’applique depuis des années à pallier l’absence de statistiques officielles complètes et centralisées du secteur. « En 2016, le PIB agricole avait le même niveau qu’en 1962. Aujourd’hui, le secteur est dans un état catastrophique, et l’État ne réagit toujours pas », alerte Riad Saadé, qui dirige le Creal.

Un constat partagé par le président de l’Association des agriculteurs (AA), Antoine Hoyek, pour qui le gouvernement sortant a été encore moins réactif que le précédent. L’AA a été à l’origine de plusieurs mouvements sociaux lancés par les agriculteurs ces dernières années. Leur mobilisation a été variable en fonction des filières et des revendications. « L’exécutif dirigé par Tammam Salam avait été obligé de débloquer des subventions pour calmer la colère d’une partie des agriculteurs après le blocage des voies d’exportation terrestres vers le Golfe en 2015, suite à la fermeture du poste-frontière syro-jordanien de Nassib en marge du conflit syrien qui a éclaté en 2011. Le gouvernement sortant n’a, lui, manifesté absolument aucun intérêt pour le secteur, dont la situation continue d’empirer », résume M. Hoyek. « Or, la majorité des exportations agricoles libanaises était traditionnellement expédiée vers les pays arabes », ajoute-t-il.

Une situation qui se vérifie à travers les données disponibles. Selon les dernières chiffres du Creal, le PIB agricole a ainsi baissé entre fin 2014 et début 2017 (-16 % en 2015 et -5,4 % en 2016), une tendance qui touche toutes les filières, animale et végétales. M Hoyek souligne que les exportations agricoles du pays, à 353 000 tonnes en 2017, sont en baisse de plus d’un tiers par rapport à leur niveau avant la fermeture de Nassib. Les exportations d’agrumes (-54 % entre 2014 et 2017), d’oignons (-82 %) ou encore de bananes (-53 %) font partie des produits les plus touchés, selon un rapport publié par l’AA en 2018.


(Lire aussi : La pomme de terre libanaise tente un retour en Europe)


Aides insuffisantes
Pour le Creal comme pour l’AA, l’absentéisme de l’État aggrave les difficultés de l’agriculture libanaise. « Ce n’est pas un phénomène nouveau », regrette M. Saadé, qui rappelle qu’alors que le PIB agricole a reculé de 10,45 % entre 1962 et 2016, celui des États-Unis a par exemple progressé de 384 % sur la même période, une progression qui grimpe à 686 % pour le Japon. « C’est d’autant plus grave que l’agriculture impacte le fonctionnement du pays aux niveaux économique, social, environnemental, et enfin en matière de sécurité sanitaire des aliments », explique-t-il.

De fait, de nombreuses voix dénoncent depuis des années l’absence de stratégie nationale pour coordonner le développement du secteur, le protéger en cas de catastrophe naturelle et limiter les importations de produits concurrents. « L’exemple le plus flagrant est le programme d’aides aux exportations maritimes lancé en 2015 par le gouvernement pour apporter une réponse à la fermeture de Nassib et dont les résultats ont été plus que mitigés », martèle M. Hoyek.

Piloté par l’Autorité de développement des investissements au Liban (IDAL), ce programme a pour objectif de financer le surcoût provoqué par la réorientation de leurs exportations vers les pays du Golfe par voie maritime. Cela via l’Égypte et à bord de rouliers, des navires transportant des camions. Lancé avec un budget initial de 14 millions de dollars, le programme a été renouvelé pour un an en mai 2017 pour près de 10 millions de plus, et il est donc en principe arrivé à sa fin. IDAL avait alors révélé qu’un peu plus de 100 000 tonnes de produits avaient pu être acheminés entre septembre 2015 et mars 2017. L’autorité devrait communiquer les chiffres les plus récents ainsi que sur l’avenir du programme lors une conférence de presse prévue mercredi. Dans une interview accordée en octobre au Commerce du Levant, Riad Saadé évoquait un programme maintenu par l’État comme un « cache-misère ».


(Lire aussi : Agriculture : au Liban, les femmes gagnent toujours moitié moins que les hommes)


En l’absence de politique agricole cohérente, les agriculteurs ne peuvent compter que sur eux-mêmes, lorsqu’ils ne bénéficient pas des quelques programmes d’aide lancés par des organisations internationales, à l’image de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture – FAO ; de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USaid) ou encore de certains gouvernements européens (Italie, Autriche, etc.). Des initiatives jugées insuffisantes par le Creal et l’AA. « Ces programmes se concentrent généralement sur une poignée d’agriculteurs dans des régions données et se focalisent sur la diffusion de nouvelles variétés de produits sans s’attaquer aux problèmes plus globaux », juge par exemple M. Hoyek.

L’AA reproche en outre au gouvernement de contribuer à aggraver la situation en ne faisant pas respecter la loi, notamment en matière de contrôle des importations illégales. « Par exemple, les importations de tomates syriennes ne sont pas en principe autorisées, mais on en trouve partout au Liban », relève-t-il.

La situation des agriculteurs pourrait enfin empirer cette année en raison des caprices du climat, marqué notamment par un déficit de précipitations. « Pour l’instant, seules certaines cultures ont été touchées, par exemple les cerises ou les prunes vertes, dont la production est en baisse. C’est en revanche mieux pour les pêches et les nectarines qui se sont maintenues cette saison », conclut-il.

Sollicité à plusieurs reprises par L’Orient-Le Jour depuis le début du mandat du gouvernement sortant, le ministère de l’Agriculture n’a jamais fourni de réponse précise concernant les différents points soulevés par l’AA et le Creal.



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En poste depuis 2016, le gouvernement sortant assume depuis la semaine dernière la gestion des affaires courantes en attendant que les consultations parlementaires débouchent sur la formation d’un nouvel exécutif. Sur le plan économique, l’équipe dirigée par Saad Hariri – qui a été reconduit à son poste la semaine dernière – a réussi à avancer sur certains dossiers pendant son...

commentaires (3)

Liban vert que de crimes en ton nom nos responsables commettent oubliant ta terre si fertile pour toucher des commissions au nom des importations.

Antoine Sabbagha

20 h 16, le 28 mai 2018

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Commentaires (3)

  • Liban vert que de crimes en ton nom nos responsables commettent oubliant ta terre si fertile pour toucher des commissions au nom des importations.

    Antoine Sabbagha

    20 h 16, le 28 mai 2018

  • QU,EST-CE QUI N,A PAS ETE OUBLIE DES GOUVERNEMENTS SUCCESSIFS DEPUIS L,INDEPENDANCE ET JUSQU,AUJOURD,HUI ! ESPERONS AU VRAI CHANGEMENT MAINTENANT QUE LES FINANCIERS DE -CEDRE- CONTROLERONT TOUS LES PROJETS, SUIVRONT LES CORRUPTIONS ET IMPOSERONT LES REFORMES NECESSAIRES !

    MON CLAIR MOT A GEAGEA CENSURE

    17 h 25, le 28 mai 2018

  • Malheureusement avec la globalization c'est un peu partout difficile pour les agriculteurs. Par exemple en pensant que j'achetais un produit grecque; je vois en petite lettres sur le sac "origin: Mexico" pendant que l'emballage dit "produit grecque" (en lettres grecques en plus). La même chose pour les espagnols, il y a beaucoup de difficultés pour les agriculteurs espagnols qui ne savent pas produire à un prix compétitif; les espagnols ont des lègumes délicieuses mais ca vient de plus en plus du Perou ou du Canada ou Chine. C'est une mauvaise évolution et comme consument il faut être attentif à ce qu'on achète. Je veux bien acheter des produits libanais comme par exemple des noix mais aussi pour ces produits là, c'est possible que le produit vient d'autre part que les amandes et pistaches ne sont pas libanais, mais que c'est juste le marketing et la boite qui sont libanaises ...

    Stes David

    16 h 03, le 28 mai 2018

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