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Culture - Entretien

Jean-Marc Nahas ou l’art de renaître de ses cendres

On le croyait disparu du paysage, pour n’avoir pas su enterrer la colère de ses cerbères. Que nenni. C’est vivant et recyclant son mal au profit d’un art toujours engagé et décomplexé que l’artiste libanais revient – presque apaisé – à l’Espace 9, pour une exposition éclectique et placée sous le signe de la musique.

Quel est le thème de cette exposition ?
Le thème de cette exposition est la musique. C’est à la fois une donation et un encouragement pour les Musicales de Baabdate, grâce auxquelles j’ai (re)découvert il y a un an la musique classique. Depuis, j’en écoute tous les jours et j’y suis presque accro. Cet accrochage est donc le fruit d’un trio composé par la galerie Espace 9, les Musicales et moi-même, l’artiste, qui tente de transmettre avec presque rien – un stylo, une feuille blanche et du travail – toute l’intensité du classique et du jazz.

On constate une grande disparité entre les œuvres que vous présentez. Comment ont-elle été réunies ?
Cela faisait 5 ans que je n’avais pas exposé à Beyrouth. Cette exposition est en quelque sorte un « come-back » où je présente plusieurs séries que j’ai réalisées au cours de cette dernière année. Avec différents supports et techniques, j’aborde divers thèmes. Cependant, j’ai souhaité consacrer une large place au dessin car je pense que le papier est à tort mal considéré. Le dessin, c’est une économie de moyens pour raconter un maximum avec un minimum. En Europe, c’est une discipline à part entière mais ici, en Orient, il n’a pas sa portée méritée. Je me considère avant toute chose dessinateur, j’ai le noir et blanc dans l’âme. Je veux donc ici redonner au trait ses lettres de noblesse. La couleur ne doit venir que lorsqu’elle a vraiment son utilité, elle ne doit pas être gratuite dans le simple but de séduire. Au moins, avec le dessin, il n’y a pas de triche possible… Dans cet ensemble, certains célèbrent la musique, d’autres rendent hommage à mes racines traditionnelles. Mes dessins de petites poupées orientales donnent un effet contemporain au côté kitsch de l’orientalisme. Je veux faire revivre l’Orient et raconter son sublime. Les Arabes ont tout inventé et sont dans la subtilité. Malheureusement aujourd’hui, on a perdu notre aura et on ne sait plus comment mettre en valeur cette richesse.

Pouvez-vous expliciter vos dessins de corps féminins nus entourés de loups… ?
Ça, c’est ma petite violence d’avant qui n’arrive pas vraiment à s’éteindre et qui réapparaît de temps à autre, tel un soubresaut. Ces dessins sont le reflet des atrocités que j’ai pu voir pendant la guerre, ils sont profondément métaphoriques. Cette rancune que j’ai envers l’homme est toujours présente en moi et même si elle tend à se dissiper, elle n’est pas complètement guérie. Grâce à la musique notamment, j’apprends à pardonner davantage. Ma bataille d’antan a désormais pris une autre forme, celle d’une force tranquille. J’ai bien compris que ce n’était pas l’affrontement direct qui allait me mener quelque part. Durant mon absence – involontaire – de la scène artistique pendant ces années, j’ai développé une expression nouvelle, tout en conservant toujours mon identité originelle.

Cette violence de laquelle vous peinez à vous enfuir, c’est elle qui constitue – malgré vous – votre identité artistique ?
À la base, travailler sur la violence est un choix à part entière car étant un enfant de la guerre, je l’ai vécue mais, surtout, je l’ai subie. Je l’ai peinte et dépeinte pendant des années dans un travail qui, je le sais, a beaucoup fait peur, allant même jusqu’à faire pleurer les gens. Toutes ces émotions, je les provoquais sans jamais dessiner une arme ou une goutte de sang. Tout réside dans la suggestion. Aujourd’hui, même si mon travail continue à être violent, il l’est dans sa forme la plus subtile. La vie m’a donné ce passé qui fait toute cette différence à laquelle je fais face en tentant de m’y échapper à ma propre manière, par le rire par exemple. Je veux désormais mettre en valeur ce côté positif de moi, être plus tolérant et toujours voir les choses en grand. Vivre le mieux possible ce monde qui va mal sans pour autant vouloir à tout prix le combattre comme avant. Je pense que l’optimisme peut, malgré tout, participer humblement à changer les choses.

Parlez-nous de vos portraits ?
J’aime beaucoup l’autoportrait car il me permet de me dépeindre dans toute mon « excessivité », dans la tendresse comme dans la dureté. J’y décris cette douleur d’enfant, celle qui mit tant de temps à se dissiper. C’est vraiment cette frayeur de gamin devenu adulte qui est déversée dans ces portraits. Après un gros travail d’introspection, aidé du dessin et de la musique, je suis désormais un homme encore sur ses pieds, pouvant continuer à faire ce métier ingrat (que j’adore), qui nécessite une volonté d’acier mais que je ne laisserai pour rien au monde !

Comment décririez-vous votre travail ?

Mon travail vient d’un dur labeur de cinquante années. Je crois encore en la nature morte, en le paysage et en le nu. Et plus que tout, je crois encore en la peinture et le dessin. Je suis un iconoclaste, je n’ai jamais voulu et su faire comme tout le monde. Je tente sans cesse de rendre hommage à une certaine tradition laissée par des artistes comme Picasso ou Cézanne. Je me contente de faire mon travail le plus consciencieusement possible et, surtout, sans superflu. Montrer qu’une simple grappe de raisin peut exprimer toute cette violence qui m’a toujours accompagné. Mon travail parle beaucoup de la société et de ses privilégiés. Je dénonce ce monde où les gens sont soit des héritiers, soit des gens qui crèvent de faim. C’est cette injustice là qui me révolte et que je combats. Heureusement, l’art me sauve et m’aide à surmonter les épreuves. Mon travail, c’est le reflet de ma conception de la vie.

À la galerie Espace 9
Centre Anis Assaf, Verdun, Beyrouth. Jusqu’au 31 mai
Tél : +961 (1) 810877
Horaires d’ouverture : du mardi au vendredi de 13h à 19h, samedi de 12h à 17h.

Quel est le thème de cette exposition ?Le thème de cette exposition est la musique. C’est à la fois une donation et un encouragement pour les Musicales de Baabdate, grâce auxquelles j’ai (re)découvert il y a un an la musique classique. Depuis, j’en écoute tous les jours et j’y suis presque accro. Cet accrochage est donc le fruit d’un trio composé par la galerie Espace 9, les...

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