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Culture - Disparition

May Arida a rejoint le panthéon des déesses de Baalbeck

C’est une icône de l’âge d’or du Liban qui s’est éteinte hier. May Arida s’en est allée rejoindre le firmament des déesses protectrices de Baalbeck, le festival le plus prestigieux du pays, dont elle était devenue au fil des années la figure emblématique.

Jusqu’à ces toutes dernières années, on pouvait la croiser dans les divers festivals d’été. Un soir à Baalbeck, le lendemain à Beiteddine, le surlendemain à Zouk… Sa curiosité pour les arts du spectacle, son goût prononcé pour la musique la portaient. Son énergie d’ancienne sportive aussi – elle a été l’une des premières championnes de ski nautique de la région – ne lui faisait rater aucun programme de qualité.

Sa beauté altière, son profil de médaille romaine, son chignon impeccable (qui fera d’ailleurs la renommée du figaro Naïm auprès des élégantes du tout-Beyrouth d’avant-guerre), son élégance en Dior (qui s’affichait dans les pages des magazines internationaux) semblaient immuables. Certains, impressionnés par sa beauté, l’avaient même surnommée « La divine ». Comme Greta Garbo... Et pourtant, même les mythes ont une fin.

Celle qui a d’abord été l’icône glamour avant de devenir la figure emblématique du plus prestigieux festival du Liban et de la région, May Habib Khoury Saadé Arida, est décédée hier à l’âge de 93 ans. Elle aura été présidente du Festival international de Baalbeck de 1973 à 2011, année où elle remet le flambeau à Nayla de Freige. Mais elle aura surtout accompagné au plus près – et même joué un rôle indirect dans sa création – cet événement prestigieux, qui a lui-même changé le visage touristique du Liban, le faisant entrer de plein pied dans son âge d’or. 

Car tout commence en 1955, lorsque May Carlos Arida entraîne sa cousine, Zalfa Camille Chamoun, à Baalbeck pour assister à une pièce de Corneille, Polyeucte, présentée dans le temple de Bacchus par Jean Marchat, de la Comédie-Française. Enthousiasmée par le spectacle dans ce site magnifique, sitt Zalfa en parle à son président de mari. Lequel a alors l’idée d’y créer un festival artistique de niveau international. Pour le financer, il réunit 70 personnalités qu’il met à contribution et fonde un comité de 12 personnes, à la tête duquel il nommera Aimée Kettaneh. Il confie à May Arida, alors membre assidu des Jeunesses musicales, la direction de la section musique, et à Salwa el-Saïd celle de la section théâtre.



Son ami Mstislav...
C’est ainsi que débute l’histoire de May Arida avec Baalbeck. Membre du comité fondateur du festival, elle a d’abord été responsable des commissions de musique, de ballet et de l’opéra. Parmi ses « hauts faits d’armes », son choix, avec son complice Gabriel de Saab, de faire du Martyre de Saint-Sébastien de Debussy « l’appel » du festival, sa magnifique signature d’ouverture.
Elle s’occupera longtemps des contacts, de l’accueil et de la prise en charge des vedettes. Ce qui lui fera côtoyer les plus grands artistes du XXe siècle, d’Herbert von Karajan à Richter et Rostropovitch, en passant par Élisabeth Schwarzkopf, Noureev et Margot Fonteyn, Cocteau, Maurice Béjart, Jean-Pierre Rampal, Ella Fitzgerald, Joan Baez entre autres…

En 1967, elle devient la vice-présidente du festival, avant d’en prendre la direction en 1973. Deux ans plus tard, avec l’éclatement de la guerre, le festival est suspendu. Mais le lien avec May Arida ne sera jamais rompu. De figure iconique de sa période glorieuse, elle devient la gardienne fervente de ses archives. Et l’infatigable, l’opiniâtre artisane de sa reprise.

Elle qui avait tissé des liens d’amitié avec nombre d’artistes internationaux – Béjart, von Karajan, Aragon, entre autres, qu’elle écoutait « des nuits entières déclamer Le Fou d’Elsa », avait-elle un jour confié en interview – veut, malgré toutes les difficultés, organiser une prestigieuse reprise du Festival de Baalbeck en 1997, après 22 ans d’interruption. Elle sollicitera son ami Mstislav Rostropovitch qui, à sa demande, bousculera son calendrier chargé pour venir se produire en concert inaugural…


(Pour mémoire : La divine May Arida)


Égérie fatale et énigmatique
Au fil des ans, elle était devenue l’égérie du Festival de Baalbeck. Sa figure emblématique, sa mémoire, l’un de ses plus fermes piliers, son étoile. Des étoiles, d’ailleurs, elle en avait plein les yeux, lorsqu’elle racontait des épisodes de « son » festival. Elle aimait se souvenir de cette fameuse nuit de 1969. « À 20h25, juste avant le début du spectacle du Dance Theater or Alvin Nikolais, l’ambassadeur des États-Unis monte sur scène pour annoncer au public que dans cinq secondes, les astronautes US atterriront sur la Lune. Les 2 500 spectateurs alors présents ont tous levé les yeux vers le ciel. Ils ont compté jusqu’à cinq et ont applaudi à tout rompre. » Mais aussi de grands moments d’émotion, du public en délire, envoûté lors des passages de Oum Kalsoum ou d’Ella Fitzgerald…


(Pour mémoire : « May Arida. Le rêve de Baalbeck » de Nabil el-Azan)


Mère de quatre filles, Amal, Joumana, Linda (nées de son premier mariage avec Ibrahim Sursock) et Carla Maria (de son second époux Carlos Arida), elle restait plus discrète sur sa vie privée et familiale. Même dans le livre May Arida : le rêve de Baalbeck (éditions de la Revue phénicienne), que lui a consacré Nabil el-Azan, elle n’est abordée que par touches succinctes et allusives. Dans cet ouvrage, sorte de portrait hommage, elle y livre plutôt ses souvenirs de quelques-uns des grands événements de l’histoire du Liban contemporain, elle qui les a vécus aux premières loges. Préférant laisser à la postérité le masque d’une beauté fatale et énigmatique, à jamais liée à ce site et à cet événement artistique d’envergure qu’elle aura accompagné sur près de six décennies…


Pour mémoire
Festival de Baalbeck May Arida : moments forts et souvenirs étoilés

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