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Culture - Littérature

Regards libanais sur l’œuvre océan de Michel Butor

Pendant deux jours, l’Université libanaise consacre un colloque en hommage à l’homme de lettres français dont la vie a été dédiée à une quête acharnée et délibérée de la diversité.

Michel Butor. Michel Lunardelli/AFP/Archives

Voyageur du corps et de l’esprit, Michel Butor est un artiste, philosophe et écrivain majeur du nouveau roman, qui a obtenu en 1957 le prix Renaudot pour son roman La Modification, et en 2013 le Grand Prix de littérature de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre. Monumentale, sa production littéraire est composée de 2 000 titres, ainsi que de 3 000 livres d’artiste dont il a été l’instigateur. Si ses travaux demeurent aujourd’hui encore mal connus du grand public, leur portée est néanmoins considérable. Romancier, poète et essayiste, Butor est surtout un artiste polyvalent, valorisant et défendant la pluridisciplinarité, notamment avec ses livres-objets, œuvres d’art à part entière. Explorant et interrogeant les quatre coins du monde, sa production protéiforme et transculturelle est composée de romans, de poésies, de livres d’artiste, mais aussi de nombreux travaux consacrés à littérature et la langue, à la stylistique et à la sémiotique ainsi qu’à toutes les formes artistiques et hétérogènes. Faisant toujours résonner par métonymie les arts entre eux, ce théoricien et technicien des mots interroge dans ses écrits les frontières du monde dans toute leur complexité et ce pour mieux les repousser.

Ce colloque, organisé par le département de langue et de littérature françaises de la faculté des lettres et des sciences humaines (section I) de l’Université libanaise, en collaboration avec Macharef, fondation du doyen Assaad Zoubiane pour la culture de la paix, propose pendant deux jours de découvrir cette œuvre importante, mais aussi l’homme qui se cache derrière, notamment grâce au témoignage de sa fille, Cécile Butor, qui, à l’occasion de sa première venue au Liban, a livré un témoignage touchant. Chercheuse et responsable d’un master de biologie à l’université Paris-Diderot, cet esprit scientifique confie s’être tournée vers ce domaine pour avoir son « propre » univers. Pas évident de se faire une place aux côtés d’un père au savoir encyclopédique, qui parlait très peu, mais ne cessait de réfléchir. C’est grâce à la curiosité qu’il lui a léguée qu’elle s’est inévitablement tournée vers ce métier. De son enfance particulière, elle raconte les anecdotes, comme les grandes figures du (beau) monde artistique qui déambulaient dans son salon. Aujourd’hui, elle n’a pas honte de dire qu’elle ne s’est pas aventurée à lire une grande partie de l’œuvre de son père, et ce pour une raison plus ou moins évidente. « L’œuvre de mon père me raconte trop, c’est ma propre vie en pleine frontalité », a déclaré Cécile Butor. Le professeur d’archéologie et de langues à l’UL Fady Stephan a par ailleurs raconté les 41 ans d’amitié qui l’ont lié à l’écrivain français, épris des cèdres du Liban.
En marge de l’événement, L’Orient-Le Jour a posé quelques questions à Roula Zoubiane, chef du département de langue et de littérature françaises, à l’initiative de ce colloque.

Comment est venue l’idée de ce colloque, ici à Beyrouth ?
L’idée de ce colloque est venue dans le cadre des activités culturelles que le département de langue et de littérature françaises de l’Université libanaise organise, contribuant à enrichir les connaissances de nos étudiants et à élargir leurs horizons au-delà des unités d’enseignement consignées dans le curriculum. Nous tenons à ces activités quelles que soient les conditions qui prévalent.

C’est l’Institut français qui nous a offert il y a quelques années les œuvres complètes de Michel Butor. Nos professeurs, intéressés par ce foisonnement de textes et de genres, se sont penchés sur ces écrits et les ont jugés intéressants à plusieurs niveaux, notamment grâce à leur pluridisciplinarité. L’autre facteur qui a contribué à organiser ce colloque est la mort de l’écrivain survenue en juin 2016. Nous, Libanais, sommes très sensibles à ces grands de la littérature française qui ont forgé notre intellect, notre sens critique et notre culture. Naturellement, nous avons voulu honorer sa mémoire et l’introduire dans l’univers de nos étudiants.


(Pour mémoire : Le dernier voyage de Michel Butor)


En quoi résident l’originalité et l’universalité de l’œuvre de Michel Butor ?
L’originalité de Butor réside en la couleur. Pour lui, elle est assignée à l’homme, comme lorsque l’on veut parler de l’homme ou de la femme de couleur. La couleur signifie l’autre et est cette voie qui mène à lui. En effet, dans l’univers butorien, les couleurs sont non seulement celles de l’arc-en-ciel, mais aussi celles des souches infernales. Dans le sens où il s’adresse à l’homme dans son essence et son entièreté. Même s’il diversifie les genres et les thèmes, son objectif premier et ultime est l’être humain dans ce qui le distingue des autres créatures, dans ce qui le valorise, dans ce qu’on désigne par le terme humanitude. Un terme forgé par Albert Jacquard, auteur de Cinq milliards d’hommes dans un vaisseau, qui a calqué ce terme sur celui de négritude introduit par Aimé Césaire, ou encore Léopold Sédar Senghor, pour designer la nécessité de valoriser les singularités de l’homme africain. Pour Butor, cette humanitude est essentielle, elle est la capacité à raisonner, à inventer, à créer ; la présence à soi et la présence à l’autre. L’œuvre de Butor est si monumentale qu’on peut la qualifier d’océan, un océan composé de multiples îlots où il est possible de vivre de nouvelles expériences et existences. Son originalité réside vraiment en l’aspect protéiforme de son œuvre car il s’est essayé à tous les genres, notamment les essais, qui sont une réflexion sur les genres ainsi que les livres d’artiste, tels qu’il a fini par les appeler, lui qui les nommait au départ « livres-objets ». C’est cela la singularité de Butor, il crée des espaces où plusieurs œuvres, celles de l’écrivain et de l’artiste, s’embrassent pour devenir un écho partagé.

Quels sont les moments forts de ce vendredi ?
La première moitié de la journée est réservée au livre d’artiste et à la transculturalité. Nous allons étudier comment le livre d’artiste traverse les cultures. Nous présenterons les travaux du graveur français Marc Pessin ainsi que les livres d’artiste de Butor issus de la collection de la Fondation Martin Bodmer à Genève. Dans le cadre de l’exposition qui lui est consacrée pendant les deux journées du colloque, le poète Alain Tasso expliquera au public la conception, les thématiques et les modes de fabrication artisanaux de ses recueils de poèmes convertis en livres, dont il est lui-même l’artiste et l’éditeur.
La seconde partie de la journée est animée par les étudiantes de l’université, qui se sont elles-mêmes laissé motiver par cette œuvre universelle. Il y aura un récital de textes de Butor dont certains seront traduits en arabe, un poème écrit et interprété par une étudiante à la manière de Butor ainsi que plusieurs présentations de livres d’artiste. Enfin, un extrait de Votre Faust, des lectures à la manière de Butor et une clôture en beauté avec le poème Le Phare naufragé, extrait du recueil L’Horticulteur itinérant (2004).

Une œuvre de Michel Butor à connaître absolument ?
La Modification (1957), car ce prix Renaudot a constitué un réel tournant dans l’écriture romanesque. Je recommande aussi Matière de rêves (1975), qui est une œuvre monumentale où vous trouverez aussi bien des textes philosophiques en prose que des textes poétiques.

« Regards sur l’œuvre », colloque consacré à l’écrivain Michel Butor.
Vendredi 11 mai à la faculté des lettres et des sciences humaines, section I, de l’Université libanaise, rue el-Mama, Mazraa, Beyrouth.

Voyageur du corps et de l’esprit, Michel Butor est un artiste, philosophe et écrivain majeur du nouveau roman, qui a obtenu en 1957 le prix Renaudot pour son roman La Modification, et en 2013 le Grand Prix de littérature de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre. Monumentale, sa production littéraire est composée de 2 000 titres, ainsi que de 3 000 livres...

commentaires (1)

L'héritage culturel de Michel BUTOR est magnifié davantage sous la plume de Noémie de Bellaigue. Quel plaisir de vous lire Madame. Il y a une statue en fer, à l'échelle 1/1 , de ce grand professeur de l'Université de Genève (de 1977 jusqu'à sa retraite en 1991) à l'arrêt du tram de plainpalais à Genève. Personnage singulier et extraordinaire. Bravo aux organisateurs du colloque de l'Université libanaise !!!

Shou fi

15 h 53, le 11 mai 2018

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Commentaires (1)

  • L'héritage culturel de Michel BUTOR est magnifié davantage sous la plume de Noémie de Bellaigue. Quel plaisir de vous lire Madame. Il y a une statue en fer, à l'échelle 1/1 , de ce grand professeur de l'Université de Genève (de 1977 jusqu'à sa retraite en 1991) à l'arrêt du tram de plainpalais à Genève. Personnage singulier et extraordinaire. Bravo aux organisateurs du colloque de l'Université libanaise !!!

    Shou fi

    15 h 53, le 11 mai 2018

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