Les deux jours de vote des émigrés libanais ont valu aux autorités libanaises d’être saluées pour cette démarche inédite et d’essuyer en même temps de nombreuses critiques.
La première de ces critiques porte sur la manière dont le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, s’arroge la paternité de ce travail, comme pour en recueillir des bénéfices individuels. « C’est une réforme que toutes les parties politiques ont approuvée et qui doit attendre 2022 pour revêtir toute sa raison d’être, à savoir permettre aux émigrés d’élire leurs propres députés à l’étranger (aux six nouveaux sièges prévus par la nouvelle loi, NDLR) », selon des milieux politiques hostiles à M. Bassil. Par ailleurs, « il y a eu très peu d’inscrits, et encore moins d’électeurs. Cela n’est pas sans soulever plus d’une question sur l’organisation du scrutin », ajoutent-ils.
La plupart semblent toutefois vouloir accorder le bénéfice du doute aux ministères des Affaires étrangères et de l’Intérieur, en parlant d’erreurs d’amateurisme, plutôt que d’erreurs volontaires.
Pourtant, de nombreux indices semblent mettre en doute la transparence du scrutin. D’abord la fréquence de certaines erreurs : de très nombreux inscrits n’ont pas trouvé leur nom sur les listes des électeurs. Le ministre des AE en a énuméré, parmi les raisons possibles, le fait que le formulaire en ligne n’ait pas été complété jusqu’au bout, ou qu’il n’ait pas été validé, sans que l’usager ne s’en rende compte. Comment expliquer toutefois qu’un bloc d’électeurs, sympathisants d’un candidat en particulier, ait eu le même problème dans un même pays ? À titre d’exemple, la majorité des inscrits de Tannourine au Canada, qui auraient voulu donner leur vote au député Boutros Harb, candidat à sa propre succession dans le Nord III, ont découvert sur place que leur nom n’était pas inscrit sur les listes, comme le confie l’intéressé à L’OLJ. D’autres en revanche ont été inscrits à l’étranger à leur insu, a-t-il relevé, à l’issue d’un entretien avec le mufti de la République à Dar el-Fatwa hier.
Sur une note similaire, le président de la Chambre, Nabih Berry, a eu un problème notoire : les bulletins de vote sur lesquels sont imprimées ses listes n’ont pas atteint certains pays, comme la Suède ou la Côte d’Ivoire.
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« Deux poids deux mesures »
D’autres zones d’ombre sont révélées par des cas de figure contradictoires : un électeur en France est interdit d’exercer son droit pour invalidité de ses pièces d’identité, et un autre à Abou Dhabi se voit renouveler son passeport sur place.
Le ministre de l’Intérieur Nouhad Machnouk a reconnu que 400 électeurs sur les 6 000 qui avaient demandé le renouvellement de leur passeport n’ont pu obtenir leur document à temps, sans toutefois expliquer les raisons de ce retard, ni pourquoi ces électeurs n’ont pu bénéficier des exceptions accordées à d’autres. « Les deux poids deux mesures » avaient déjà été constatés par Boutros Harb dans les tarifs de renouvellement de passeport, réduits à « 1 000 livres libanaises » pour les électeurs « privilégiés » par le ministère des Affaires étrangères, et corollairement, de l’Intérieur. « Les passeports ont été renouvelés en fonction des orientations politiques de leur détenteur », résume M. Harb.
Une autre question se pose sur les critères de répartition des centres de vote. Dimanche dernier, Gebran Bassil avait déploré le nombre limité de 200 centres de vote à l’étranger autorisés légalement, pour expliquer les difficultés logistiques ayant limité le taux de participation des inscrits, ou ayant dissuadé certains émigrés de s’inscrire. Pourtant dans certains pays, comme les États-Unis, où des centres de vote supplémentaires ont pu être aménagés en plus de ceux indiqués au moment de l’inscription – ce qui aurait dû être une aubaine pour les électeurs – ceux-ci n’en ont pas été notifiés officiellement, même quand leur nom a été transféré in extremis vers l’un de ces nouveaux centres de vote.
Il n’est toujours pas clair pourquoi certaines ambassades, comme à Londres, étaient aux abonnés absents lorsque des électeurs potentiels tentaient de les contacter pour des informations.
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Compensation aux inscrits qui n’ont pas voté
Lors d’une conférence de presse hier au palais Bustros, Gebran Bassil a fait un rappel succinct des raisons possibles ayant empêché certains inscrits de voter : « Certains n’avaient pas sur eux des pièces d’identité valides, d’autres ne savaient pas à qui recourir pour voter, d’autres encore s’étaient vu contraints de faire des trajets de deux heures pour atteindre les centres de vote ». Ces raisons trouvent des contre-exemples énumérés plus haut.
Mais le ministre a appelé les électeurs de l’étranger qui n’ont pu prendre part au scrutin à « se rendre au Liban à cette fin ». Il semblait faire écho aux propos du ministre de l’Intérieur qui avait annoncé la veille la possibilité de permettre à des inscrits qui n’ont pu, pour des raisons techniques, comme la non-obtention de leurs passeports dans les délais, à prendre part au scrutin au Liban. Le comité de législation et de consultation devrait émettre un avis sur la question. Sceptique, Boutros Harb précise à L’OLJ que « la loi est claire : celui qui s’est inscrit à l’étranger renonce à son droit de voter au Liban. La clarté de la loi nécessite une jurisprudence solide pour justifier des exceptions ». Il laisse entendre que la volonté n’est pas de rectifier les erreurs commises, mais de les maintenir.
Il reste que M. Bassil a veillé à mettre en avant hier les aspects positifs du scrutin dans sa globalité. D’abord, il a défendu l’idée de procéder avant l’heure aux votes des émigrés, c’est-à-dire avant qu’ils n’aient leurs propres sièges parlementaires en 2022, en faisant valoir que ce premier essai devrait « limiter les erreurs au prochain scrutin, et donc le nombre de recours en invalidation qui risquent de le compromettre ». En outre, le chef de la diplomatie a tenu à révéler le coût « très bas » du scrutin. « Nous avons loué des espaces, eu recours à du personnel dans 40 pays et cela nous a coûté 1,5 million de dollars environ, a-t-il dit. Tout le système de communication et de réseaux a coûté 120 000 dollars dans les 40 pays. »
Il a par ailleurs anticipé sur le ministère de l’Intérieur dans l’annonce des taux de participation, se trouvant « dans l’obligation de prouver que l’afflux des votants était bon et meilleur que ce que d’aucuns avaient prévu ». Le chef de la diplomatie a ainsi partagé les chiffres définitifs des taux de participation : en Australie 58 %, en Europe 59,5 %, en Afrique 68 % et dans les pays arabes 69 %.
Les chiffres non définitifs sont de 45 % en Amérique latine et d’environ 55 % en Amérique du Nord.
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Le prétexte DHL
S’il est enfin une plus-value, saluée par plus d’un observateur, c’est le recours à une technologie de pointe via une société d’informatique locale qui a permis aux fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères et du ministère de l’Intérieur de piloter le déroulement du scrutin dans chaque bureau de vote à l’étranger, et de contacter directement, si besoin était, le responsable du bureau.
Mais les évaluations positives de ce scrutin semblent se concentrer sur l’image, sans s’approfondir dans les détails. Et l’image semble camoufler à certains endroits de possibles dérapages, parfois graves. Certes, Gebran Bassil a multiplié les assurances et réassurances sur la sécurité des colis transportant les bulletins de vote depuis l’étranger jusqu’à Beyrouth. Que dire toutefois du “faux prétexte” invoqué pour justifier officiellement le report d’un jour du transport des enveloppes, en l’occurrence la prétendue fermeture des bureaux de la société de courrier rapide DHL dans les pays arabes les vendredis, alors qu’il n’en est rien ? Que penser enfin du fait que le propriétaire de la branche libanaise de DHL n’est autre qu’Henri Chedid, candidat au siège maronite de la Békaa-Ouest-Rachaya, proche du Hezbollah et du Courant patriotique libre, qui a été retenu sur la liste du courant du Futur au grand dam des Forces libanaises ?
Les Libanais de Côte d'Ivoire votent avec l'espoir d'un changement au Liban
commentaires (9)
Mais Mr Harb a parfaitement raison! Des élections pareilles, organisées à grand tapage par Mr Bassil, en ameutant ses troupes et sympathisants à l’étranger, faisant sa campagne et celle de son parti aux frais de l’état, à quelques mois des élections, à la va-vite sont suspectes d’être biaisées! Beaucoup de Libanais de l'étranger n’ont pu ni s’inscrire, ni retrouver étrangement leurs noms après qu’ ils l’aient fait, alors que d’autres, aux sympathies bien connues ont été rappelés, et même s’ils n’avaient pas les documents requis, recevaient un passeport fictif valable juste le jour du vote à 1 $! Non, Mr Harb n’est pas du tout un « loser », n’ayant pas perdu une seule élection après plus de 40 ans de vie politique, et qui a fait mordre la poussière à deux reprises au gendre Bassil... C’est son droit de dénoncer cette mascarade, créée de toutes pièces par son ennemi juré direct, désespéré de se faire élire à tous prix... Oui, ces quelques dizaines de milliers de vote de l’étranger peuvent faire la différence dans certaines circonscriptions et nous espérons savoir après le jour des élections quel pourcentage le CPL et le Hezbollah ont obtenus!
Saliba Nouhad
14 h 55, le 01 mai 2018